Le retour des Passagers du vent, de François Bourgeon (bande dessinée)

La série Les passagers du vent constitue l’un des chefs-d’œuvre de la bande dessinée. Dans le huitième tome de cette célèbre série, François Bourgeon conte les aventures d’une jeune bretonne à Paris à la fin du XIXème siècle.

16 février 1885, à Paris, gare d’Austerlitz. La bretonne Klervi Stefan, âgée de quatorze ans, arrive de Quimper en train. Munie d’une lettre de recommandation, elle cherche l’adresse de la famille bourgeoise qui lui propose un emploi de bonne négocié par son curé. Elle parvient place de la Bastille et se retrouve au milieu d’une foule de milliers de badauds brandissant des drapeaux rouges. C’est le cortège des obsèques de Jules Vallès, héros de la Commune, fondateur du journal d’extrême-gauche Le Cri du Peuple. Au son de l’Internationale, la foule se dirige vers le cimetière du Père-Lachaise. Vêtue de son magnifique costume bigouden, Klervi est importunée par deux révolutionnaires qui la soupçonnent de faire partie des forces réactionnaires. Ne connaissant que quelques mots de français, la jeune bretonne ne parvient pas à se défendre. Elle est sauvée par une femme un peu plus âgée, Clara… Trois ans plus tard, dans les allées d’un cimetière, Klervi est face à un homme qui la menace d’un couteau. Elle est de nouveau sauvée par Clara. Clara héberge alors Klervi chez elle. Elles vont vivre dans un appartement sur la butte Montmartre. S’étant retrouvée sans emploi, Klervi apprend le violon et le piano auprès de Clara et, dotée d’une très belle voix, devient chanteuse de cabaret. Elle sert également de modèle à de nombreux peintres, dont Toulouse Lautrec. La jeune bretonne découvre alors les idées de la Commune…

Entre 1979 et 1984, le premier cycle des Passagers du Vent raconte, à travers les aventures de l’héroïne Isabeau, le commerce triangulaire du XVIIIème siècle, entre l’Europe, l’Afrique et les Amériques. Trente ans plus tard, François Bourgeon poursuit sa série par un second cycle intitulé La petite fille Bois-Caïman : on retrouve Isabeau, centenaire en Louisiane, en pleine guerre de sécession. Elle prend soin de Zabo, sa petite fille qui prône les valeurs conservatrices du Sud. En 2018, Bourgeon entame un troisième cycle intitulé Le Sang des cerises. On apprend que Zabo, après son arrivée en France, a été condamnée au bagne de Nouvelle-Calédonie lors de la répression de « La Semaine sanglante », pendant la Commune., Revenue dans le quartier de Montmartre, vingt ans plus tard, Zabo a changé de prénom et s’appelle maintenant Clara, pour que l’on n’évoque plus son passé révolutionnaire.

En plus d’Isabeau et de Zabo, François Bourgeon a également créé des héroïnes charismatiques dans ses deux autres grandes séries. Dans la série médiévale Les Compagnons du Crépuscule, la jeune Mariotte évolue dans un XIVème siècle violent et superstitieux. Le Cycle de Cyann, série de science-fiction, raconte les aventures à travers le temps et sur différents systèmes planétaires de Cyann Olsimar, fille du dirigeant d’une planète. Ainsi, dans toutes ses œuvres, Bourgeon met en scène des héroïnes rebelles et libres, avec cependant un certain anachronisme.

Pour la suite des Passagers du Vent, il invente une nouvelle héroïne : la bretonne Klervi. Pauvres, pieuses et travailleuses, nombreuses étaient les jeunes bretonnes à trouver un emploi de bonne dans une famille parisienne aisée. Mais elles deviennent parfois la proie d’un maquereau guettant leur arrivée dès le quai de la gare et finissent par faire le tapin. Comme la plupart d’entre elles, Klervi ne parle pas un mot de français en arrivant à Paris. C’est pourquoi, dans cette bande dessinée, plusieurs dialogues sont en breton, les traductions ne figurant qu’en fin d’album. Les textes en breton ne sont pas l’œuvre de Bourgeon, lequel ne parle pas cette langue même s’il habite dans le pays bigouden depuis une trentaine d’années. Klervi devient chanteuse de cabaret. Elle ajoute au répertoire habituel des chants de son enfance, comme la complainte An hini a garan. Elle fréquente et pose même parfois pour des peintres restés célèbres : Renoir,  Toulouse-Lautrec, Steinlen…

Bourgeon ne raconte pas la Commune de Paris, à la différence de Tardi dans Le cri du peuple, mais décrit les cicatrices que les répressions de la Semaine sanglante ont laissé chez les parisiens de gauche. Il prend parti pour le camp des révolutionnaires. Les références culturelles sont innombrables : la chanson « Le Temps des cerises » composée par Jean-Baptiste Clément en 1866, le souvenir de la Semaine sanglante (du 21 au 28 mai 1871), la construction de la basilique du Sacré-Cœur critiquée par les forces de gauche qui l’appellent « Notre-Dame des briques »… Lorsque Bourgeon dessine des bourgeois versaillais recevant des cailloux, il s’amuse même à leur donner les traits de Pierre Gattaz et d’Anne Parisot, anciens présidents du Medef (p. 12).

Mais la vision politique de Bourgeon est moins caricaturale qu’on ne pourrait le croire. Rappelons par exemple que, dans le tome 6 des Passagers du vent, qui se déroule à La Nouvelle Orléans en 1863, la jeune Zabo Murrait porte le deuil des hommes de la famille, tués au combat dans le camp des confédérés, et de sa mère, morte de chagrin. L’occupation de sa propriété familiale par les troupes nordistes l’oblige à fuir. Elle conserve néanmoins toutes les idées pour lesquelles le Sud s’est battu. Au bout de son périple, Zabo se réfugie chez Isabeau, sa grand-mère. Celle-ci lui raconte le funeste jour où elle fut violée lors d’une révolte d’esclaves noirs à Saint-Domingue en août 1791. François Bourgeon montre ainsi la Louisiane ravagée par la guerre de Sécession, les exactions contre les populations civiles du Sud, le racisme des troupes nordistes…

 

Dans son atelier près de Quimper, il a construit avec minutie, pendant deux mois, une maquette « au centième » du quartier de Montmartre de l’époque. A cette fin, il a consulté d’innombrables documents : photographies, peintures et dessins de l’époque, plans de Paris… Il faut en effet effacer les constructions récentes et reconstituer celles qui ont été détruites. Ce qui lui permet de restituer fidèlement le quartier de Montmartre. Mais Klervi quitte parfois ce quartier, ce qui permet à Bourgeon de dessiner la Tour Eiffel illuminant le ciel, l’exposition universelle de 1889… La reconstitution porte également sur la langue bretonne et l’argot de Montmartre. On comprend que ce huitième tome ait nécessité trois ans de travail !

Agé de 73 ans, l’auteur n’a rien perdu de son art. La multiplication des plans (plan général, gros plan, plan rapproché et plan d’ensemble) donnent une grande variété de planches. La maquette lui permet en effet de varier les angles et d’étudier l’éclairage du soleil, de la lune ou des réverbères. Le graphisme à l’encre de chine est sublime. Ses couleurs sont splendides.

Bourgeon retrouve ainsi le souffle épique des premiers tomes des Passagers du vent.

Kristol Séhec

Les Passagers du vent, t. 8, Le sang des cerises : Rue de l’abreuvoir. 17,95 euros. Editons Delcourt.

Crédit photos : DR
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