La grande énigme de 14–18, par Dominique Venner

Il y a 10 ans, en 2006, La Nouvelle Revue d’Histoire consacrait son dossier à la bataille de Verdun. Nous reproduisons ici l’éditorial de Dominique Venner : La grande énigme de 14–18. À des années lumières de la vision développée récemment par Emmanuel Macron.

Depuis plus de quatre fois vingt ans, tout a été dit sur la Grande Guerre et ses conséquences néfastes. Tout a été dit et pourtant elle nous reste une énigme qui ne fait que s’obscurcir avec le temps. Pour nous qui vivons provisoirement dans un cocon abrité des fureurs habituelles du monde, il est de plus en plus difficile de comprendre le pourquoi et le comment de cette guerre. Comment la jeunesse européenne, jetée si longtemps dans les conditions épouvantables des tranchées, a-t-elle pu tenir sans se révolter ?

Parmi beaucoup d’autres, Louis Mairet, tué le 16 avril 1917 à Craonne, a répondu : « Le soldat de 1916 ne se bat ni pour l’Alsace, ni pour ruiner l’Allemagne, ni pour la patrie. Il se bat par honnêteté, par habitude et par force. Il se bat parce qu’il ne peut faire autrement. Il se bat ensuite parce que, après les premiers enthousiasmes, après le découragement du premier hiver, est venue la résignation. On n’imagine même plus que cela puisse changer… Il faut faire la guerre. À cause de quoi, pourquoi, on ne sait… La haine des embusqués, le droit de parler et de commander qu’il s’attribue pour plus tard, tel est le poilu de 1916 (1). »

« Nous avions récupéré notre saine animalité, ayant enfoncé et mis en morceaux les écrans protecteurs et les interdits d’une civilisation sans profondeur.»

A la contrainte de la société, à la lourde pesée des choses, d’autres raisons plus subtiles se sont ajoutées. Futur dirigeant socialiste, partisan de la Collaboration après 1940, mobilisé en 1914 alors qu’il venait de réussir le concours d’entrée à Normale supérieure, magnifique capitaine d’infanterie de 1915 à 1918, Marcel Déat résumera ce que fut pour une partie de sa génération l’expérience de la guerre : « Nous avions récupéré notre saine animalité, ayant enfoncé et mis en morceaux les écrans protecteurs et les interdits d’une civilisation sans profondeur. Nous n’étions pas du tout devenus des brutes. Nous avions au contraire étonnamment gagné en humanité véritable, mais les tabous factices ne projetaient plus aucune honte sur nos fonctions élémentaires. Nous avions refait connaissance avec notre corps. Nos sens émoussés étaient redevenus aigus et rapides(2) » Découverte décisive pour un futur agrégé de philosophie : « Surtout on agit et ce fut le salut. La philosophie de la pelle et de la pioche suffit presque toujours à tuer la métaphysique… » Venant d’un tout autre horizon, le jésuite Teilhard de Chardin ne dira pas autre chose, bien qu’avec des mots différents : « Le front attire invinciblement parce qu’il est, pour une part, l’extrême limite de ce qui se sent et se fait. Non seulement on y voit autour de soi des choses qui ne s’expérimentent nulle part ailleurs, mais on y voit affleurer en soi un fond de lucidité, d’énergie, de liberté, qui ne se manifeste guère ailleurs dans la vie commune (3)

Une vérité, quelque peu scandaleuse selon les critères d’aujourd’hui

Cette vérité, quelque peu scandaleuse selon les critères d’aujourd’hui, a été en partie révélée à ceux qui n’en avaient aucune idée par le film de Bertrand Tavernier, Capitaine Conan, tiré du roman éponyme de Roger Vercel, prix Goncourt 1934. Il s’agit de l’histoire romancée mais véridique d’un officier d’occasion, baroudeur-né, antimilitariste mais nullement pacifiste, bien au contraire. « Seuls ceux qui sont capables de tuer à l’arme blanche gagnent les guerres, prétend-il, les autres se contentent de les faire. » Pour Conan et les hommes de son corps-franc, la guerre est la chose la plus naturelle qui soit. A tel point que le retour de la paix sera pour eux une calamité, la fin de la vraie vie, la descente aux enfers du train-train ordinaire.

Sous prétexte que l’occasion n’est plus offerte, pour le moment, sous notre ciel, à ce genre de « vraie vie », peut-on croire que le type humain qui l’avait aimée ait définitivement disparu ? Autant imaginer que les loups, au motif qu’ils dorment, peuvent être changés en moutons.

Dominique Venner

Notes
  1. Cité par André Ducasse, Jacques Meyer, Gabriel Perreux, Vie et mort des Français, 1914–1918, Hachette, 1962, p. 97.
  2. Marcel Déat, Mémoires politiques, Denoël, 1989.
  3. Lettre à Claude Arragones. Citée par André Ducasse, op. cit.

Source : dominiquevenner.fr via l’Institut Illiade

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