Marseille contient-elle cette « Suburre obscène » que dénonçait jadis un académicien qui n’était pas Goncourt, contrairement à Edmonde Charles-Roux ? Un académicien de l’Académie Française, oublié désormais par ces temps de mémoires courtes : Louis Gilet. Et c’est étonnant comme ça ressemble au contemporain… Qu’on en juge : « Sur la colline des Accoules, entre l’hôtel de ville et la Major, gîte une Suburre obscène, un des cloaques les plus impurs où s’amasse l’écume de la Méditerranée, triste gloire de Marseille, dans une décrépitude et un degré de pourriture dont à peine, sans l’avoir vu, on pourrait se faire une idée ; il semble que la corruption, la lèpre, gangrène jusqu’aux pierres. Cet enfer vermoulu, cette espèce de charnier en décomposition, est un des lieux du monde où la tuberculose fait le plus de ravages. C’est l’empire du péché et de la mort. Ces quartiers jadis patriciens, abandonnés à la canaille, à la misère et à la honte, quel moyen de les vider de leur pus et de les régénérer ? Le mieux qu’on puisse faire est de chercher dans cette sentine les quelques éléments qui méritent d’être conservés, d’organiser le sauvetage et de traiter cette partie de Marseille en musée où le promeneur cherchera des motifs de rêverie... » Ceci était publié dans un bulletin du 21 octobre 1942, par l’Administration municipale.
Vider la ville de son « pus »
Trois mois plus tard, profitant de l’invasion de la « zone sud » par les armées nazies, les autorités municipales trouvèrent la solution : l’anéantissement de la « Suburre » et, par procuration, vidèrent la ville de son « pus ». À la suite du décès du vieux maire, Siméon Flaissières, Marseille était sous tutelle, dirigée par un administrateur extraordinaire… autrement dit une jean-foutrerie. Le quartier en question fut démoli exactement selon les plans de 1938 établis par un architecte d’avant-guerre, Eugène Baudoin, grand prix de Rome. Le 10e régiment de police (des flics accomplissant leur « temps militaire »), commandé par le colonel et SS Bernhard Griese, vint même dare-dare du fin fond de la Russie blanche, pour se charger de la dépopulation. Personne n’allait moufter. Et la Propagandakompanie photographia l’événement.
Ces photos furent publiées trente ans plus tard, en 1973, par un jeune homme obsédé par la guerre[1]. Il les avait choisies à Coblence, aux Bundesarchiv, extraites de neuf bobines ayant subi les contrôles, dossier 27, bobines 1473 à 1481. Elles avaient été prises par un Leica. Elles étaient encore « anonymes », vu que personne ne les avait vues et ne revendiquait les droits d’auteur. Maintenant, on sait : l’auteur en est Wolfgang Vennemann. Les temps ont changé. Désormais, on peut saisir toutes les photos de Vennemann sur Google. Et ce grâce aux Bundesarchiv qui les ont offertes à la ville de Marseille, apparemment sans arrière-pensée (?).
L’impact de cet ouvrage fut relatif. Mais il était impossible de nier comment l’habitude de mentir était venue à tous ces gens. Le patron de la police de Vichy, et son col de fourrure, parlait avec Karl Oberg, patron de la police nazie : René Bousquet était pris en flagrant délit de collaboration pour sauver le peuple de la souillure, et, avec lui, des personnages moindres comme les préfets Lemoine et Barraud, ou encore Rodellec du Porzic, intendant de police. Bref, tout le contraire de la politique de réconciliation souhaitée par de Gaulle.
Il y avait eu un arrangement évident avec les Allemands. Tous les habitants du Panier et des Accoules sans exception, riches et pauvres, furent chassés de leurs appartements. Cela fit un grand vide. Un grand vide que peuplèrent aussitôt les récupérateurs de métaux non-ferreux : le plomb, le cuivre, le bronze, le maillechort, le laiton et le nickel. Ils démontèrent tuyaux et robinets, aussi bien d’eau que de gaz. Et cochon qui se trompait de tas. Le service d’ordre était assuré par les gangsters Carbone et Spirito, et leur homme à « tout faire », Simon Sabiani – des gens qui gouvernaient indirectement et sagement la ville. Ils mirent la main sur les tableaux, les meubles et les tapis qu’ils se partagèrent après inventaire. Et pendant les jours de la fin janvier 1943, le Génie nazi fit sauter une à une les maisons désignées par le plan d’Eugène Baudoin. Quelques unes en furent exemptées, dont la Maison Diamantée. Les habitants avaient eu deux heures pour dégager, avec un bagage n’excédant pas trente kilos par personne. Ils partirent en direction de la gare d’Arenc pour un camp de triage à Fréjus (dans le Var). Les juifs avaient ouvert le transit, mais pas pour la même destination.
L’ancien quartier chic de Noailles, désormais atteint par la lèpre des marchands de sommeil
On n’en est pas là aujourd’hui où un quartier ressemble au physique à s’y méprendre à celui décrit plus haut par Gilet [« jaune », pardonnez-moi]. Sauf que la tuberculose ne rôde plus dans les maisons – ça serait plutôt le « Virus de l’Immunodéficience Humaine ». Enfin, n’exagérons pas… Tous ne sont pas frappés. C’est juste au-dessus du Vieux-Port, 1er arrondissement, l’ancien quartier chic de Noailles, désormais atteint par la lèpre des marchands de sommeil, laquelle n’a rien à voir avec les pratiques bololiennes (Edouard Philippe dixit) de la sus-dite Suburre. Cette fois, il s’agit de ce qui met en colère le bon peuple, celui qui vote parfois pour les insoumis, pour le « jaune » universel – quand il vote. Ce qui donne une situation immobilière lamentable : les appartements délabrés ne sont pas chers et peuvent rapportés « gros » à des propriétaires au-dessous de tout éloge. Les pauvres gens n’hésitent pas : ils se précipitent. Jusqu’à ce que les maisons leur tombent dessus, un matin d’automne, quand le premier soleil vient réchauffer les vieilles pierres et rétracter le mortier ancestral à base de terre. Total : 8 morts !
Tout cela empègue le « vieux » de 79 ans qui dirige Marseille depuis 1995, après quatre décennies de « Defferrus-lex ». Au début de son règne, Marseille avait commencé par respirer, lassée de vivre sous la contrainte de ces trois piliers : la Mairie, le Milieu et les Cocos… L’homme, pas encore vieillard, était élégant, capable de citer Hérodote dans le texte, vu qu’il était aussi prof’ de lettres classiques. En plus, il était calme, rassurant avec sa façon d’adapter le célèbre accent sans imiter « César » dans les films de Pagnol – je dis bien « de Pagnol », pas de ces « rimèques » du n’importe quoi. Il fut si calme qu’il ne fit rien et que sa ville se mit à ronronner comme un tigre en sommeil laissant construire des merveilles, telle le « MuCem », et prolongeant ses deux lignes de métro.
« C’est un grand avantage de n’avoir rien fait mais il ne faut pas en abuser ». (Chamfort)
Dans sa longue carrière le « vieux » a oublié cet adage développé jadis par Chamfort : « C’est un grand avantage de n’avoir rien fait mais il ne faut pas en abuser ». Cela lui sera fatal. Les loups ont envahi Marseille par la fameuse « Porte d’Aix » et ne le lâcheront pas. D’autant qu’il n’a à sa disposition ni le Génie nazi, ni René Bousquet, l’intrépide souteneur de La Dépêche de Toulouse et du Midi…
MORASSE
[1] Gérard GUICHETEAU, Marseille 1943, la fin du Vieux-Port, Daniel & Cie-Le Provençal, 1973.
Crédit photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine
Une réponse à “Marseille en plein « bololo » !”
[…] (adsbygoogle = window.adsbygoogle || []).push({}); Lire la suite… […]