Dimanche après-midi, aux abords de la porte d’Armor, à l’entrée ouest de Nantes. Là commence la route de Vannes. Là encore, il y a 150 Gilets jaunes, épars, qui filtrent le trafic et discutent entre eux, comme ils l’ont fait la veille. Mais pas la nuit – vers 22 heures ils ont été dégagés à grands renforts de gaz lacrymogène par les forces de l’ordre.
Un camion à benne basculante fait des aller-retours avec du bois pour le feu et les braseros. Tout près, sur une bobine et une table branlante, sont posés des vivres. Un jeune homme en ramène d’autres – pain et pâté en croute. Un pack de bières est à terre. Cependant, ce n’est pas une ZAD : les bouteilles vides sont soigneusement rangées dans un caddie, pas une ne traîne à terre.
La veille, par l’odeur de saucisses alléchés, une quinzaine de zadistes avaient tenté de récupérer le rassemblement – certains ont aussi déployé une banderole sur le périphérique et ont été en définitive les seuls à en troubler le caractère apolitique. Ce dimanche, un vent froid souffle et c’est loin de la préfecture et des vitrines du centre-ville : pas intéressant pour des militants d’extrême-gauche bien souvent issus des rangs des élites bourgeoises urbaines ou périurbaines qui n’ont que peu de difficultés à remplir leur réservoir.
Des ouvriers, des jardiniers, un employé d’abattoir, des motards qui travaillent dans le bâtiment…
En revanche, on trouve des ouvriers, des jardiniers, un employé d’abattoir, des motards qui travaillent dans le bâtiment et les industries des environs de Nantes, de jeunes intérimaires, un horticulteur, quelques retraités… là encore du bâtiment. Des routiers et des artisans taxis ou VTC passent, le gilet jaune sur le tableau de bord, et en klaxonnant. Certains affirment avoir posé un ou deux jours pour être dans le mouvement, d’autres viennent avant ou après le boulot.
Des gendarmes mobiles surveillent le filtrage. Vers 18 heures, la nuit tombe : ils arrivent, expliquent qu’ils ne chargeront pas si les manifestants restent sur le bord de la route et ne filtrent plus le trafic. Ces derniers reculent, les gendarmes mobiles s’en vont – deux fourgons sur le rond-point, quatre à Atlantis, applaudis par les gilets jaunes.
Un maçon met un groupe électrogène à disposition. Dessus sont branchés une sono, un ordinateur pour la musique et les infos, des téléphones en charge. Un motard apporte des saucisses. La nuit tombe, les Gilets jaunes sont encore 100, ils partagent les vivres. Un motard apporte et fait griller des saucisses. Des jeunes s’organisent pour ramener deux chariots de palettes, de quoi alimenter parcimonieusement le feu.
« Nous les Manouches on sait gérer le feu »
Vers 22 heures, alors que plusieurs dizaines de personnes sont rentrées chez elles – demain, c’est lundi, certains embauchent, d’autres reviendront ici – trois jeunes issus de la communauté des gens du voyage tentent de faire un feu d’enfer, et font mettre les Gipsy Kings à la sono. « Nous les Manouches on sait gérer le feu », le problème c’est que tout le stock de bois va y passer. Un retraité du BTP arrive du sud Loire : « ces trois-là, ils étaient déjà à mettre le bordel hier à porte de Rezé », où des affrontements ont eu lieu avec la police vers 18 heures.
Ils sont priés de s’éloigner. Ils partent, mais pour faire le tour du rond-point. Pile quand ils émergent, une ambulance s’arrête – l’ambulancier explique avoir pris un bloc de béton sur le pare-choc, du côté nord du rond-point. Deux voitures de police et un officier dans une voiture banalisée blanche arrivent par le boulevard de La Baule.
Compréhensifs, les policiers font déguerpir les intrus, constatent qu’une dizaine de Gilets jaunes commencent à ramasser les grilles et blocs pour les caler qui traînent, et les ramènent de leur côté du rond-point, pour pouvoir surveiller leur matériel, et s’en vont à leur tour l’esprit tranquille. L’officier ne sort même pas de sa voiture. Un camion de la DIRO de passage laisse quelques cônes : deux Gilets jaunes balisent un peu mieux leur dispositif, les rares voitures passent au ralenti.
L’organisation est embryonnaire, mais l’ordre, le travail bien fait et le principe de responsabilité y suppléent
L’incident évacué et le matériel ramené, une vingtaine de jeunes s’organisent pour ramener des palettes. Un stock est constitué, et des piles bien droites empilées, loin du feu. Des chariots sont laissés « pour les porter demain sur d’autres sites ». L’organisation est embryonnaire, mais l’ordre, le travail bien fait et le principe de responsabilité y suppléent. Sur ces entrefaites deux retraités arrivent en voiture avec du café chaud. Il est une heure et demie du matin, le vent froid recule.
Un camion pile près des Gilets jaunes, le routier descend, « je viens de Dijon, il y a eu du mouvement là-bas ! ». Samedi, la manifestation est entrée en ville – 6000 à 7000 personnes. « A Orléans il y avait du monde aussi ». Il discute un moment et repart vers Vannes en klaxonnant. D’autres camions passent sur le rond-point ou au-dessus sur le périph et klaxonnent presque toujours quand ils sont immatriculés en France.
Pendant ce temps la sono marche, une fois le groupe électrogène à nouveau ravitaillé vers une heure du matin. C’est éclectique, comme le mouvement : rap keupon anti-Macron, Antisocial, Indochine, Johny ou encore les Ramoneurs de Menhirs. Petit phare lumineux à l’entrée ouest de Nantes, avec ses Bretons déterminés bravant l’océan de la nuit noire et froide : la porte d’Armor porte pour une fois bien son nom…
Louis Moulin
Crédit photo : Breizh-info
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