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Les Traditions de Samhain (Samain), par Alain de Benoist

En fouillant des archives papier sur la Samain (Samhain) nous avons retrouvé ce texte, d’Alain de Benoist, que nous vous proposons ci-dessous en ce 31 octobre, date majeure s’il en est pour les Celtes.

samhain

En Angleterre, on appelle Halloween (ou All Hallows Eve) le début de la période dite Hallowtide, qui comprend la vigile et la fête de la Toussaint (31 octobre et 1er novembre), ainsi que la fête des Trépassés ou des Défunts (2 novembre). Depuis des temps immémoriaux, cette période a été associée à des récits de fantômes, de revenants et de morts. L’Église n’a fait, en instituant la Toussaint, que rependre une ancienne tradition païenne. Au VIIe siècle, la Toussaint – c’est-à-dire la fête de « tous les saints » du ciel – était encore célébrée le 13 mai. Elle fut transférée au 1er novembre en l’an 835. La Fête des Trépassés, le 2 novembre, date (sous sa forme actuelle) de l’an 988. À l’époque du paganisme, ce moment de l’année était celui où l’on honorait les ancêtres morts et tous les dieux de la communauté.

On disait qu’alors, le monde des morts et celui des vivants entraient en communication, les frontières entre les deux mondes se faisaient ténues et fragiles, favorisant le passage des esprits dans le monde des vivants ; les défunts sortaient de leurs tombes, les dieux souterrains se manifestaient. Fées et sorcières, parfois dissimulées sous l’apparence d’un chat, s’en donnaient à cœur joie. « En Bretagne, remarque Éric Martin, la Toussaint marque davantage la fête des trépassés que celle de tous les saints. Dans ce pays où le séjour des morts se confond avec celui des vivants, la Toussaint célèbre les âmes des disparus, des trépassés, et ces êtres d’outre-tombe sont désignés par un nom collectif : an Anaon, les Âmes (Anatole Le Braz) ».

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Samhain, Samain, nouvelle année pastorale

Chez les Celtes, cette solennité portait le nom de Samhain ou Samain (ou encore Samuhin) et marquait le début de la nouvelle année pastorale. Célébrée dans la nuit précédant le 1er novembre, cette fête était l’une des quatre plus importantes du monde celtique (les autres étant Imbolc, le 1er février, Beltaine, le 1er mai, et Lughnasa ou Lugnasad, au mois d’août). C’était un temps de « grand danger et de vulnérabilité spirituelle » (Anne Ross, Every day life of the pagan Celts, B. T. Batsford – G. P. Putnma, London – New York, 1970, p. 153) et l’occasion de rites importants à caractère divinatoire et magique, ayant pour but de « conjurer » le mauvais sort et de s’assurer le concours de l’Autre Monde. En Irlande, c’est à Samhain que le Dagda (le dieu « sage et droit » qui porte aussi le nom d’Eochu Ollathir Ruadrofessa) s’unit à la déesse Morigu, reine des spectres et des enfers, laquelle, un an avant la bataille de Mag Tured, lui donna les indications pour détruire les Fomore. Le sacrifice des nouveaux-nés à l’idole Crom Ruach avait également lieu ce jour-là, sans doute pour apaiser les puissances du monde inférieur et contribuer à la fertilité. Au Pays de Galles, la coutume était de dresser des bûchers sur les collines et de les embraser ; de même, en Irlande, on allumait le premier feu à un endroit qui rirait son nom de Tlachtga, fille de Mog Ruith, et avec ce feu, on rallumait tous les foyers de l’île. Il est intéressant de noter que les feux de Samain s’allument la nuit venue et non au lever du jour, contrairement aux feux de Beltaine. La symbolique du feu y subit évidemment un glissement notable du fait de ce déplacement. On retrouve bien dans tous les cas la mise en voisinage symbolique des deux mondes : l’ombre et la lumière, la mort et la fertilité, le monde d’en bas (les « enfers ») et le monde d’en haut (les « vivants »).

Jan de Vries signale qu’en Irlande, le mot sam-fuin signifie « la fin de l’été », mais qu’en réalité samuhin veut dire « rassemblement, réunion ». Il ajoute : « Que représente ce samuhin ? De quelle “réunion” s’agit-il ? Certainement pas le rassemblement des troupeaux parce que la saison des pâturages tire à sa fin. Ce serait un sens trop plat. Il ne suffit pas non plus de penser à un contact entre les vivants et les morts, bien que certainement de telles relations soient possibles » (La religion des Celtes, Payot, 1963, pp. 237-238). De Vries rappelle ensuite l’épisode de l’union de Dagda et de Morigu : « Une fois de plus, écrit-il, note fête est jointe à l’union d’un dieu avec la déesse des enfers. Cela n’exclut pas que, dans cette fonction précisément, elle ait pu dispenser la fertilité ; en ce cas, le samuhin compterait également au nombre des cérémonies agricoles d’Irlande » (ibid., p. 238). Christian Le Roux et Françoise Guyonvarc’h insistent sur cette fonction de transition : « Recoupée en Gaule par le Samonios du calendrier de Coligny, Samain est aussi la fête la plus importante puisqu’elle jouxte deux mondes et deux années : elle est le moment privilégié où le monde humain communique avec le sid parce qu’elle n’appartient, ni à l’année qui se termine ni à celle qui commence. Elle est à la fois la récapitulation de l’été (sam) par jeu paronymique en même temps que le début de l’hiver, fête de la grande divinité souterraine sous ses deux aspects, sombre et clair » (La civilisation celtique, Ogam – Celticum, 1986, p. 126).

Après la main-mise chrétienne sur l’ancien festival celtique, de nombreuses traditions se poursuivirent en changeant de sens. On continua, en particulier, d’allumer des feux sur les collines jusqu’au début du Xesiècle. Ces feux existent encore aujourd’hui en Angleterre, mais ont été reportés au 5 novembre (Guy Fawkes Day), avec une autre dénomination. Contrairement aux feux de Beltaine, qui étaient allumés à l’aurore, ceux du début novembre s’enflamment au crépuscule ; c’est, dit-on, un moyen d’éloigner les « fées » et les « sorcières », qui ont pris la place des mauvais esprits de l’époque païenne. L’allumage des bûchers se fait en grande cérémonie, au son des trompes et des clairons, et il est parfois l’occasion de danses. A. D. Cummings (Old Times in Scotland, 1910) rapporte que vers 1840, le shériff Barclay, voyageant de Dunkeld vers Aberfeldy (Écosse), le 1er novembre, ne vit pas moins de trente feux de joie environnés de danseurs se consumer sur les collines de la région ! À la fin du siècle dernier, les jeunes des villages se livraient aussi à des compétitions et des « combats » traditionnels – représentations probables d’un affrontement entre les « bons » et les « mauvais » génies.

http://gty.im/870390176

Les jeux de la pomme et de l’Autre Monde

En Écosse, les feux d’Halloween avaient pour but de « brûler les sorcières ». Dans la région d’Aberdeen, les garçons dansaient autour du bûcher en chantant : « Gie’s a peat t’burn the witches ! ». Les cendres étaient ensuite soigneusement dispersées sur la plus grande étendue possible. À Balmoral, à l’époque de la Reine Victoria, un grand feu était allumé en face du château, juste devant l’entrée principale, et les joueurs de cornemuse défilaient autour de lui, portant en effigie la tête d’une « sorcière » locale très connue, nommée Shandy Dann. Cette « sorcière » était ensuite solennellement jugée, non moins solennellement condamnée au bûcher – et finalement brûlée, à la grande joie de l’assistance (cf. Alexander Mac Donald, Scottish Notes and Queries, vol. III et IV, 1891-1901). Au Pays de Galles, on note des coutumes analogues ; à la fin de la cérémonie, les gars du village se livraient, en pleine nuit, à la chasse au hwcg ddu gwta, animal mythique (une truie noire) particulièrement redouté.

Tant chez les Gallois que chez les Écossais, une autre tradition d’Halloween veut que pendant la consomption du feu toutes les personnes présentes marquent une pierre blanche et la jettent dans le bûcher. Le lendemain matin quand les cendres ont refroidi, chacun doit retourner sur place pour tenter de retrouver « sa » pierre. On considère comme un très mauvais présage de ne pas pouvoir remettre la main dessus (ou de la retrouver en mauvais état, éclatée, etc.) Une variante de cette coutume se retrouve dans le nord du Lancashire et porte le nom de Lating the Witches : cette fois, il s’agit de gravir le flanc d’une colline un soir d’Halloween, entre 11 heures et minuit, en portant à la main une bougie allumée. Il est de mauvais augure que la bougie s’éteigne. On retrouve là les petits « jeux conditionnels » (« si je réussis ceci ou cela, je vais au ciel », « si je rate, je vais en enfer ») qui représentent l’un des plus « fructueux » secteurs du folklore populaire.

Il existe également de nombreux jeux d’Halloween. Dans certaines régions d’Angleterre, la nuit d’Halloween porte le nom de Nutcrack Night ou de Crab Apple Night, ou encore de Apple and Candle Night, par allusion précisément à ces jeux, qui font souvent intervenir des bougies (candles) et des pommes (apples).

La plupart de ces jeux sont très bruyants et correspondent aux traditionnels charivaris des fêtes populaires et rurales païennes. L’un des plus répandus, Bobbing (ou Ducking) for Apples, se joue avec une grande bassine remplie d’eau, où l’on met des pommes à flotter. Les joueurs, les mains attachées derrière le dos, tentent d’attraper les pommes avec leurs dents. Pour le jeu dénommé Ducking for Money, on procède à peu près de la même manière, à cette différence près que les pommes sont remplacées par des pièces de monnaie, que les participants doivent aller chercher en plongeant la tête dans l’eau – comme des canards (ducks). Le gagnant n’a pas seulement le droit de conserver la pièce qu’il a saisie ; il est également assuré d’avoir de la chance toute l’année (c’est en cela, précisément, que le jeu est… autre chose qu’un jeu). Parmi les jeux d’Halloween, citons encore : Bob’s Apple (des pommes suspendues à des poutres par des ficelles se voient imprimer un mouvement de rotation ou de balancier et il faut les saisir au passage avec les dents), Apple and Candle (on dispose aux deux bouts d’une planchette une pomme et une bougie allumée, la planchette est ensuite suspendue à une poutre, animée d’un mouvement et il faut s’emparer de la pomme avec les dents sans se faire brûler par la bougie) etc.

Beaucoup de ces « jeux » ont un aspect divinatoire qui, à l’époque du paganisme, était probablement pris très sérieusement (l’entrée en communication avec le monde des morts était l’occasion d’interroger le sort et de tenter de « lire l’avenir ». Les « questions » posées, comme de juste, concernent essentiellement les domaines amoureux et (para) conjugaux : sera-ton heureux en amour, se mariera-t-on dans l’année qui vient, etc. Quelques exemples : on place deux noix sur un gril porté au rouge (une noix pour le garçon, l’autre pour la fille) ; si elles « cuisent » ensemble sans éclater, l’union sera heureuse. On pèle une pomme avec attention de façon à obtenir un long « ruban d’épluchure » ; celui-ci est ensuite jeté sur l’épaule de l’intéressé, et l’on dit qu’il dessine l’initiale de celle qui deviendra sa femme. À telle heure de la nuit, on mange une pomme en regardant dans un miroir ; lorsque la pomme est mangée, l’image de la « future » apparaît dans la glace, etc. N’oublions pas que, chez les Celtes, l’Autre Monde – celui où Arthur est enlevé à la fin de son existence terrestre – est un vaste enclos planté de pommes. L’île d’Avalon est une pommeraie : en breton, « pomme » se dit aval. Cette île semble identique à l’île d’Abalum, qui est l’île de l’ambre des anciens Germains. Le nom d’Apollon (Abelio en Aquitaine, Beli dans la mythologie galloise), dont on connaît les liens avec les territoires nordiques et le « pays de l’ambre », contient le même radical que l’on retrouve dans le breton aval, l’allemand Apfe, l’anglais apple, « pomme ».

En Angleterre, comme nous l’avons dit, les festivités du Guy Fawkes Day (5 novembre) ont absorbé beaucoup de coutumes dérivées de Halloween / Samhain. Ces festivités sont marquées, entre autres, par des défilés aux flambeaux où les enfants utilisent des masques taillés dans des légumes tels que betteraves et citrouilles (et ajourés pour faire passer la lumière). Promenés au bout d’une pique, avec une bougie à l’intérieur, ces masques, censés représenter les « mauvais esprits », sont surtout destinés à « faire peur » aux passants. Aujourd’hui encore, dans quelques districts du Somerset, des masques de ce genre sont pendus aux réverbères, avec la bénédiction des pouvoirs publics, dans la nuit du 31 octobre, afin de porter bonheur à tous les habitants !

Alain de Benoist

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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