Ils enchantent le public depuis tant d’années, en Bretagne comme à l’international, lorsqu’ils représentent fièrement notre petite nation celte : Dan Ar Braz, monstre de la musique celtique, et Clarisse Lavanant, qui a fusionné musicalement avec lui à partir de 2003.
Alors qu’une tournée se prépare pour l’année 2019, nous les avons interrogés sur leurs travaux actuels, sur les retours concernant l’album Harmonie, sorti en 2017, mais aussi sur leur relation à la Bretagne. Portraits croisés.
Breizh-info.com : Tout d’abord, pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Dan ar Braz : Daniel, juste un petit gars du quartier du Moulin Vert à Quimper, avec une maman du bord de mer, Douarnenez, et un papa de l’intérieur des terres bretonnes, Quéménéven.
Aucun doute possible, je suis d’ici, un pied dans l’eau, l’autre sur terre et la tête dans les nuages depuis toujours.
J’ai eu la chance de croiser la route de Stivell et tout s’est emballé, le reste c’est ma biographie.
Clarisse Lavanant : Je suis une auteur-compositeur-interprète du pays de Bretagne.
Breizh-info.com : Parlez-nous de votre rencontre mutuelle, en 2003, avec Clarisse.
Dan ar Braz : Clarisse le racontera mieux que moi je pense. Il aura fallu qu’elle insiste pour me faire descendre de mon nuage. J’ai toujours un peu la tête ailleurs et il faut me secouer de temps en temps ! Merci Michel Haumont ! J’ai fait de mon mieux pour la réalisation de son album Vers l’imaginaire notre première collaboration. Un très bel album je trouve.
Par la suite nous avons continué à écrire des chansons ensemble, j’ai souvent dit que c’était ma « Souchon » ! Une incroyable réactivité que la sienne et j’aime beaucoup quand les choses avancent de cette façon. Puis tout cela nous a naturellement amené au Duo pour la scène et, par ailleurs, j’ai aussi invité Clarisse pour différents projets comme les « Comptines Celtiques » et « Célébration ».
Aujourd’hui elle m’offre en plus en cadeau partage la langue bretonne et c’est un très beau cheminement que le sien, chapeau.
Clarisse Lavanant : Nous nous sommes rencontrés fin 2002 par l’intermédiaire du guitariste Michel Haumont qui avait réalisé mon premier album Où c’est ailleurs en 2001. Au moment d’élaborer mon deuxième album et alors que j’avais entre-temps intégré la comédie musicale « Les Dix Commandements » (Pascal Obispo-Elie Chouraqui), Michel m’a parlé de Dan avec qui il avait déjà travaillé en me disant que selon lui sa couleur musicale correspondrait bien à ma sensibilité artistique.
Il m’a donné son contact et quand je suis venue chanter à Brest avec la super-production, je l’ai invité. Nous nous sommes revus deux jours plus tard à Quimper pour discuter plus tranquillement et il m’a fait comprendre qu’il ne voyait pas trop ce qu’on attendait de lui ou craignait de ne pas être l’homme de la situation. Au moment de se quitter, je lui ai laissé un texte que j’avais écrit quand j’étais au Canada appelé « La Fin de la Terre » (dédié au Finistère car c’est souvent quand on est loin de chez soi qu’on se sent vraiment venir de quelque part). Le lendemain au plus tard, il m’a rappelée pour me dire qu’il venait d’écrire une musique sur mon texte, qu’il comprenait mieux ce que je lui demandais et que nous parlions la même langue : celle de l’imaginaire. Alors que je pensais qu’il allait poliment décliner ma proposition, il m’a demandé de lui envoyer d’autres textes ! C’était donc le tout début d’une collaboration qui dure maintenant depuis seize ans.
Breizh-info.com : Un an après sa sortie, quel bilan faites-vous de votre album commun, Harmonie ? Quel a été son accueil ?
Dan ar Braz : Sortie d’album exceptionnelle avec la Brittany Ferries qui nous a déroulé le tapis rouge avec cet aller-retour Bretagne Irlande. Vraiment un grand moment d’émotion.
Bel accueil du public, et bel accueil sur scène, ce sont les chansons plutôt mélancoliques qui semblent plaire le mieux curieusement.
Ce n’est sans doute pas à moi de le dire mais cet album contient de très belles chansons et je suis aussi très heureux de notre collaboration avec Philippe Guével aux claviers et aux manettes.
Cet album est enfin notre « carte de visite » commune.
Clarisse Lavanant : Nous avons eu la chance de vivre une sortie d’album exceptionnelle grâce à la Brittany Ferries qui nous a permis de présenter ce disque à bord de leur navire le Pont-Aven lors d’une traversée aller-retour Roscoff-Cork. Une vingtaine de journalistes étaient présents ainsi que les voyageurs à bord bien-sûr et nous avons fait trois concerts (le premier à l’aller et l’autre au retour ainsi qu’un autre concert pour le personnel avant de prendre la mer) et toute une série d’interviews. Nous avons alors pu bénéficier de plusieurs très bons articles en même temps, l’album est donc bien parti et les réactions du public ont été très positives.
Ce qui est dommage c’est de ne pas avoir eu de couverture médiatique nationale car si c’est un album de chansons de Bretagne, les thèmes sont variés et il s’adresse à tout le monde. C’est dommage aussi de ne pas avoir pu enchaîner tout de suite avec une tournée pour rester dans cette dynamique car elle n’était pas encore prête à ce moment là (nous avions quitté notre tourneur d’origine et ne travaillions pas encore avec Nevez Productions) et aussi parce que d’autres concerts avec d’autres formules étaient déjà en cours à ce moment-là. En tout cas les gens nous en disent régulièrement de belles choses, que ce soit à la sortie des concerts, sur les réseaux sociaux ou nos sites internet respectifs où on peut aussi commander nos albums.
Breizh-info.com : Avez-vous des projets en commun pour l’année 2019 ? Parlez-nous également de vos projets solo ?
Dan ar Braz : Bien sûr nous allons continuer avec Clarisse , elle n’a pas fini de nous surprendre, par ailleurs nous avons chacun besoin de s’exprimer avec nos instruments respectifs, elle par la voix et moi la guitare. Quand je joue avec Clarisse ma guitare se met au service de sa voix, la souligne du mieux que je peux sans jamais déborder.
Pour le reste j’ai commencé un album en hommage à mon fils disparu mais j’ai du faire un break car c’était trop difficile… Il est là, tous les thèmes existent et de les avoir écrits est déjà une thérapie pour moi.
Cet été au festival de Cornouaille j’ai voulu dans mon concert, une fois encore, comme toujours, rendre hommage à Alan. Pour le faire nous avons joué un titre où ma guitare prédominait à l’époque, « Bal ha Dans Plinn » de l’album live à Dublin. J’ai pris un plaisir immense à le jouer. Cela m’a amené à une réflexion. Cette guitare aura œuvré au service d’une certaine musique bretonne depuis 50 ans de Pop Plinn à Green Lands entre autres. Je me suis dit que c’était peut être le temps de rendre hommage à cet instrument qui m’aura sauvé la vie en quelque sorte.
J’ai donc décidé de faire la fête à ma guitare. En plus, il aura fallu du temps, je comprends mieux aujourd’hui bien des choses concernant l’instrument lui même, les bois qui conviennent le mieux à mon touché, le son tout simplement. Revisiter donc des titres emblématiques avec cette compréhension du touché et du son mais les jouer tout simplement comme ils doivent l’être sans les ré-arranger. En pensant à tout cela un titre m’est venu à l’esprit « Dan Ar Dañs »… Danser pour ne pas sombrer dans la mélancolie, pour regarder devant et donner encore, autant que possible, du plaisir à partager. Cet album s’appellera donc Dan Ar Dañs, moi qui disais, et je le pensais vraiment, qu’après l’album Cornouailles soundtrack que je n’en ferai plus… Comme quoi on ne sait jamais…
Donc un album instrumental avec des titres emblématiques comme Pop Plinn et tellement d’autres, en fait toutes les danses que j’ai pu jouer ou composer. Un gros chantier avec quelques inédits, l’héritage d’une guitare en quelque sorte.
Et puis, curieusement, il y avait ici et là comme un appel à la danse, Jean-Charles Guichen qui m’a invité sur son album et les Eostiged ar Stangala qui eux aussi m’ont invité en septembre pour leurs 70 ans, un beau cadeau, tous les signes me mènent donc vers la danse, la fête, le partage et le Rock and Roll en quelque sorte.
Par ailleurs je vais procéder aussi à la mise en ligne de mes 18 albums. Pour le moment seul l’Héritage des Celtes s’y trouve. De quoi faire et m’occuper donc pour les années qui viennent.
Clarisse Lavanant : Le duo (devenu trio avec le guitariste David Er Port) continue sur scène en 2019 car c’est vrai que les concerts sont la meilleure façon de faire vivre un disque aujourd’hui et qui plus est dans la durée.
De mon côté je viens de sortir un nouvel album (mon dixième) autour des cantiques bretons car cela fait dix ans que je chante dans les églises et chapelles à chaque belle saison à travers une tournée intitulée « La Ronde des Chapelles ». C’est mon propre répertoire ou celui de Glenmor que j’interprète mais au fil des années les gens m’ont appris les cantiques de leur chapelle ou de leur village (ils ont aussi contribué à mon apprentissage de la langue bretonne) et je les ai trouvés si beaux, ils sont souvent écrits à partir de mélodies celtiques venant du fond des âges, qu’ils font aussi désormais partie de mon programme. C’était en même temps une façon de remercier ces comités de chapelle qui m’ont accueillie, qui ont tant oeuvré (et qui oeuvrent encore) pour la sauvegarde d’un patrimoine. Je suis le plus souvent a cappella, ce qui est idéal avec cette acoustique, faite pour le chant et l’écoute dans ces lieux, et très intense, la proximité avec les gens aussi. Ce spectacle du fait de sa spécificité n’est pas du tout en concurrence avec mes autres formations.
Je viens également de relancer mon groupe qui avait été créé pour le Festival de Cornouaille.
Enfin, j’espère sortir mon premier album de compositions personnelles tout en breton en 2020. J’ai terminé de l’écrire il y a déjà un moment mais comme j’enregistre pratiquement un album tous les ans j’essaie de laisser un peu de temps entre chaque
Breizh-info.com : Dan ar Braz, Comment parvenez-vous à vous renouveler, depuis toutes ces années ? N’est-ce pas difficile, au final ?
Dan ar Braz : Me renouveler ? Je n’en ai ni le besoin ni l’envie. J’essaye dans la mesure du possible de m’améliorer, je travaille ma guitare tous les jours dans le moindre détail avec un bonheur non dissimulé. Pour le reste je me sens souvent un peu dépassé par l’évolution des musiques aujourd’hui et je n’ai nullement envie d’essayer « de faire jeune » ou branché ou hip hop ou rap ou je ne sais quoi. Cela ne me dérange pas d’être un peu, beaucoup dépassé, j’ai juste envie de paix, de jouer ma guitare comme au premier jour et de rester à jamais « Rock et Folk » jusqu’au dernier jour de ma vie.
Breizh-info.com : Si vous deviez ne choisir qu’un endroit en Bretagne, lequel serait-ce ?
Dan ar Braz : La Cornouaille sans hésiter. Les départements ne sont qu’une invention française qui a pratiquement anéanti les vrais pays d’ici, alors oui La Cornouaille.
Comme je dis souvent, ce qui me plait à Quimper, c’est tout ce qu’il y a autour dans un rayon de 30 kilomètres
Clarisse Lavanant : Carantec (près de morlaix d’où je suis originaire) et ses plages cachées dont de magnifiques criques, à la fois abritées et sauvages : c’est mon havre de paix et j’ai l’impression de le redécouvrir à chaque fois même si j’y vais depuis ma naissance ! C’est aussi l’endroit où tous les gens que j’aime le plus sont passés un jour alors c’est une façon de ne pas rompre le temps.
Breizh-info.com : Et hors de Bretagne ?
Dan ar Braz : Je ne sais pas… quelque part vers le nord, en Ecosse, en Scandinavie… mais je crois que je ne suis bien qu’ici dans cette île de Bretagne
Clarisse Lavanant : La Corse où je suis allée pour la première fois il y a quelques semaines et où je rêvais d’aller depuis longtemps… Peut-être aussi l’Italie (berceau de ma grand-mère maternelle) qui est le pays du chant et qui peut être tellement variée selon la ville où l’on se trouve… Comme La Bretagne finalement !
Breizh-info.com : Y a-t-il selon vous, une forme de militantisme, dans le fait de faire de la musique bretonne, et de promouvoir un peuple, une culture à travers le monde ?
Dan ar Braz : Je milite comme je peux pour la vie chaque jour et je sais que je pourrais en faire bien plus. J’ai fait de mon mieux pour défendre cette culture quand l’occasion m’a été donnée. Je repense à l’Eurovision…
Aujourd’hui mon inquiétude pour la planète prédomine et mon destin personnel a bouleversé mon regard sur tout, et sur moi-même bien sûr aussi.
Quand j’ai écris le texte de Borders of salt j’exprimais mon rêve que la Bretagne soit une île avec pour seules frontières la mer et le sel… mais ce n’est malheureusement pas le cas.
Clarisse Lavanant : Oui certainement mais en même temps c’est quelque chose de naturel et d’évident. J’aime bien la phrase du musicien Jean-Félix Lalanne qui dit qu’« on joue comme on est » alors quand on vient d’ici, qu’on habite ici, qu’on porte les valeurs d’ici et qu’on aime cet ici qui ne nous appartient pas mais auquel on appartient de toute son âme, on ne peut que retranscrire cela à travers ce qu’on fait, ce qu’on dit, ce qu’on écrit ou ce qu’on chante. Si militer veut dire défendre sa culture et sa particularité (qui bien-sûr ne veut pas dire supériorité) et lutter contre un certain centralisme qui tend à uniformiser et amoindrir voire anéantir, eh bien oui « parler Bretagne » comme dit Dan est une façon de militer pour rester vivant et maintenir le lien d’or entre l’histoire passée et celle qui reste à écrire. Car pour citer Pierre-Jakez Elias : « Sans l’hier et sans demain, l’aujourd’hui ne vaut rien ».
« dd »
Il est aussi important pour moi de chanter à chaque concert, même au-delà des frontières, le texte « J’avais cinq enfants » que j’ai écrit il y a plus de dix ans à partir de la mélodie traditionnelle irlandaise « She moves through the fair » à propos de la réunification bretonne, sous un angle plus émotionnel que politique, mais sans laquelle il est difficile d’envisager plus d’autonomie. C’est pourtant une évidence, à la fois historique, économique et d’un point de vue sentimental. J’espère sincèrement qu’un jour nous serons là pour le voir et le vivre.
Breizh-info.com : Clarisse Lavanant, racontez-nous votre apprentissage de la langue bretonne avec Stumdi. Pourquoi cette démarche, quelles conséquences pour vous, quelle expérience ?
Clarisse Lavanant : Je crois que j’ai vécu l’une des années les plus exaltantes de ma vie parce que j’avais le sentiment de me réapproprier une partie de ma propre histoire et notamment une histoire un peu volée car le breton est une langue que nous aurions tous dû parler en basse Bretagne aujourd’hui s’il n’y avait pas eu l’interdiction et la volonté française de la faire disparaître. J’avais donc l’impression non pas de réparer l’histoire malheureusement mais de combler quand même un manque qui n’attendait que cela sans que j’en sois forcément consciente d’ailleurs. Mais en apprenant cette langue, je me suis rendu compte que je me sentais plus entière, plus vivante, plus riche intérieurement.
Aujourd’hui j’ai plus de mots et d’images pour essayer d’exprimer les choses et communiquer, je vis mon pays davantage de l’intérieur, sans pour autant fermer la porte aux autres, bien au contraire. C’est tout d’abord le chant qui m’a donné envie de l’apprendre (plus précisément les chansons de Glenmor) et c’est une langue bien vivante qui fait aussi désormais partie de ma vie quotidienne, par la parole, la lecture, l’écriture… Et la création. Parallèlement je me sens aussi plus proche de la nature depuis et je ne sais pas si c’est l’élément du bois mais le fait d’écrire des chansons en breton m’a donné envie d’apprendre la guitare et de m’intéresser davantage aux autres langues. Bref, c’est de toute façon une ouverture et en aucun cas un repli sur soi.
reizh-info.com : Quels sont les groupes, les artistes, que vous appréciez particulièrement aujourd’hui en Bretagne ? Y a-t-il certains Dan ar Bras en herbe sur qui vous mettriez une pièce ?
Dan ar Braz : En Anglais ils disent « too many to mention ».
Des groupes, bagadoù et des individualités de talent nous en avons en nombre, guitaristes, violonistes, accordéonistes, chanteurs et chanteuses… La différence se fait et se fera par la rencontre ou non avec le public. Les musiciens remplissent la scène mais le public lui remplit la salle et il fait ses choix comme bon lui semble. C’est à nous de lui parler et d’aller vers lui sans pour cela en faire des tonnes. Les anciens dont je fais partie sont toujours un peu là, mais on est aujourd’hui dans un monde bling bling de paraître, de selfies égocentriques and co, et les jeunes devront faire avec ce monde ou tout va bien trop vite et ne dure plus comme avant… Ne jamais oublier que c’est le public qui a choisi et fait cette incroyable fête à l’Héritage des Celtes dans les années 90.
Clarisse Lavanant : J’ai beaucoup aimé l’album de Youn Kamm (avec le Bagad du Bout du Monde) qui en quelque sorte réinvente la musique bretonne et j’aime aussi beaucoup le travail de « Fleuves ». C’est de la musique dite traditionnelle mais avec des sonorités qu’on n’a pas l’habitude d’entendre dans cette musique. Il y a aussi des chansons que je trouve absolument magnifiques dans le dernier disque de Denez Prigent.
Propos recueillis par Yann Vallerie
Crédit photo : DR
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