Facebook vient d’embaucher Nick Clegg comme directeur de la communication et des affaires mondiales. C’est peut-être l’un des principaux événements politiques de l’année. Avec ses milliards d’abonnés, le réseau social est potentiellement l’un des principaux agents d’influence politique mondiaux. Rien de ce qui concerne Facebook ne nous est totalement étranger. Et l’arrivée de Nick Clegg n’est pas anecdotique.
Le net a longtemps été un espace de liberté, au grand dam des milieux politiques et de la classe intellectuelle. Depuis une vingtaine d’années, ces derniers ont entrepris d’y remédier face à de grands acteurs technologiques qui soutenaient la neutralité du net, technologique comme intellectuelle. Google en particulier a longtemps résisté aux idéologues qui l’invitaient à censurer certains résultats de recherche. Cette période des pionniers s’achève. Loin de l’ancienne neutralité, Facebook commence à faire ses preuves comme censeur, ainsi que Breizh Info l’a déjà signalé. C’est dans ce contexte que s’inscrit la désignation de Nick Clegg. Aux côtés de Mark Zuckerberg et Cheryl Sandberg, garants de la technologie et des opérations, ce jeune ancien vice-premier ministre britannique sera désormais le visage politique de Facebook.
Avant de choisir le titulaire d’un poste aussi stratégique, il est évident que Facebook a longuement réfléchi à l’image officielle qu’il voulait se donner et à l’avenir de ses relations avec les pouvoirs publics à travers le monde. La nomination de Nick Clegg en dit beaucoup sur ce qu’est Facebook ou du moins sur ce que Facebook veut qu’on pense qu’il est.
Le n° 3 de Facebook a été n° 2 du gouvernement britannique
Nick Clegg est un homme politique de premier plan. Né en 1967, il s’est affirmé comme l’un des principaux animateurs européens du courant souvent qualifié de « libéral-libertaire » — syntagme (ou cliché ?) utilisé aussi bien par Alain Soral que par Daniel Cohn-Bendit. Il a été en 2004 l’un des co-auteurs de The Orange Book: Reclaiming Liberalism, manifeste en faveur d’un « libéralisme » post-moderne fort éloigné de celui théorisé par William Gladstone ou Raymond Aron. Son slogan post-soixante-huitard pourrait être : « Il est interdit d’interdire ».
Nick Clegg n’a fait qu’effleurer le pouvoir politique réel. Élu au parlement britannique en 2005 puis désigné comme leader des Liberal Democrats en 2007, il a conduit le parti à un succès électoral en 2010. Faute d’une majorité parlementaire, les Conservateurs ont dû cette année-là constituer un gouvernement de coalition. Ainsi Nick Clegg est-il devenu vice-premier ministre du Royaume-Uni aux côtés de David Cameron, de 2010 à 2015.
Bien entendu, les choses n’ont pas tourné comme prévu. Nick Clegg n’a pas pu réaliser son programme libéral. Écrasés aux élections générales britanniques de 2015, les Lib-Dems ont dû quitter le gouvernement. Nick Clegg lui-même a perdu son siège au Parlement en 2017. Mais s’il n’a pas eu la possibilité d’agir beaucoup, il a du moins pu exprimer largement ses convictions politiques.
Un eurocrate formé au lobbying
Nick Clegg est mu par des convictions internationalistes qu’explique en partie son histoire personnelle. Sa grand-mère paternelle était une aristocrate balte d’ascendance russe. Sa mère est hollandaise. Ses études ont été émaillés de longs séjour à l’étranger (Bavière, Finlande, Autriche, États-Unis) et couronnées par une scolarité au Collège d’Europe à Bruges, la pépinière des futurs eurocrates. il y a rencontré son épouse, une juriste espagnole. Embauché à la Commission européenne en 1994, il a participé à des négociations avec la Chine et à des programmes d’aide à des régions de l’ex-URSS. Il a siégé au Parlement européen de 1999 à 2004.
Nick Clegg a aussi mené carrière dans les cabinets de lobbying GJW Government Relations Ltd et Gplus. Il a eu des clients comme le gouvernement lybien ou British Gas. Il a aussi collaboré à plusieurs organes de presse comme le magazine progressiste américain The Nation, les quotidiens Guardian et Financial Times et la radio LBC.
Libéral sur le plan économique et politique, Clegg l’est aussi sur le plan culturel ou sécuritaire. Chez les Liberal Democrats, il a fait campagne contre la création d’une carte d’identité au Royaume-Uni, l’adoption d’une législation anti-terroriste ou les mesures anti-immigration. Surtout, il a plusieurs fois affirmé une conviction : les entreprises privées doivent jouer un plus grand rôle dans la vie politique via des activités comme la santé ou l’école. Ce qu’il n’a pu imposer par la loi dans une société traditionnelle, il pourrait désormais chercher à le réaliser par la pratique dans la société des GAFA.
E.F.
Crédit photo Nick Clegg : [cc] Chatham House via Wikimedia Commons
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