Pour la plupart d’entre nous, le monde actuel est en pleine décadence. Tout va de plus en plus mal. On n’a jamais connu autant de guerres, d’assassinats, de viols et d’intolérance. Il y a de plus en plus de pauvres, de moins en moins d’arbres. La promiscuité – déjà 7 milliards d’humains sur Terre – fait de nous des antisociaux et des êtres de plus en plus dangereux.
En fait, tout cela est faux ! Jamais nous ne sous sommes aussi bien portés, jamais nous n’avons été autant en sécurité partout sur la Terre (sauf quelques exceptions momentanées), jamais nous n’avons été aussi tolérants et généreux les uns envers les autres. Le taux d’homicide est passé de 100 par an pour 100 000 habitants au 14ème siècle à 10 par an au 17ème siècle et à 1 par an actuellement !
Plusieurs philosophes ou scientifiques du 21ème siècle, Steven Pinker en tête (dont le livre « La part d’ange en nous » inspire cet article) se sont émus de ce pessimisme injustifié. Ils ont compilé les statistiques d’homicides depuis la préhistoire et fait apparaître des résultats sans appel : les courbes montrent toutes une décroissance constante de l’insécurité rapportée à la démographie du moment. Les deux guerres mondiales du 20ème siècle, par exemple, ont fait 70 millions de morts soit 3 % de la population mondiale, mais la révolte d’An Lushan au 8ème siècle qui n’en a fait « que » 36 millions, a causé la disparition des deux tiers de la population chinoise.
Préhistoire
Il n’y a pas eu d’époque plus violente que la préhistoire ! Étonnamment, nous avons une idée assez précise du taux d’homicide au Néolithique grâce à l’étude des squelettes mais aussi à celle des tribus contemporaines ou disparues depuis peu vivant encore à l’âge de pierre (tribus arctiques, aborigènes, de Papouasie, d’Amazonie, d’Afrique, Indiens d’Amérique). Le mythe du bon sauvage cher à Rousseau en prend un sérieux coup. En effet, la « guerre tribale » est une habitude mortelle chez ces populations. La pitié n’existe pas. Génocider la tribu adverse est un sport glorieux. Les femmes sont du gibier sexuel. Leurs enfants sont sans valeur. L’esclavage est la règle.
Pinker cite le cas d’Occidentaux adoptés par ces tribus au 20ème siècle : Helena Valero chez les Yanomami d’Amazonie, Robert Nasruk Cleveland chez les Inuit de l’Alaska, William Buckley chez les Aborigènes d’Australie. Tous trois racontent les atroces tueries dont ils ont été témoins. Assassinats de toutes les femmes et enfants d’un village ennemi en l’absence de leurs guerriers, les plus petits étant pris par les pieds pour projeter leurs têtes contre les arbres. Découpage des vulves des mortes pour les enfiler sur une corde rapportée en trophée. Démembrement des cadavres avec des pierres et des coquillages, ramenés dans la tribu où les femmes les bastonnent en criant de joie.
La sauvagerie primitive est telle que chez certains peuples 60% de la population peut disparaître lors d’un conflit !
Antiquité (de -3 000 au 5ème siècle après JC)
Vers -3 000, des Etats comme Sumer, puis l’Egypte, l’Inde védique, la Grèce mycénienne, la Chine apparaissent. Ils se dotent de lois qui font baisser la criminalité mais aussi d’armées bien équipées pour conquérir leurs voisins, qui tuent à grande échelle. Voyez le célèbre Art de la guerre de Sun Tsu : « l’art de la guerre est vital pour l’Etat ». Rome en est un exemple bien connu avec ses 1 000 ans de guerres de conquête mais aussi les tueries qu’elle organise dans la cité : les « jeux » publics sanglants dans les arènes (« panem et circenses ») qui, selon Pinker, ont tué près de 500 000 gladiateurs.
« La violence guerrière était omniprésente au sein des grandes civilisations de la Méditerranée ancienne », notent Guilaine et Zammit (Le sentier de la guerre). La Bible ou l’Odyssée d’Homère montrent comme la vie avait peu d’importance, combien il était facile pour quiconque de devenir l’ennemi mortel d’un autre et comment on s’entretuait joyeusement, même en famille !
Moyen-âge européen (5ème-15ème siècle)
Les historiens dénombrent 1 148 conflits entre 900 et 1400, 1 166 entre 1400 et aujourd’hui note Pinker. Pour les classes dirigeantes « la paix est un bref intervalle entre deux guerres » (Michael Howard), elle est même honorable et glorieuse.
Outre les guerres incessantes et sans pitié, dont la Guerre de Cent Ans, le Moyen-âge est l’époque d’atroces supplices sur la place publique. On brûle les sorcières sur le bûcher (et même Jeanne d’Arc), on empale sur le pal, on roue de coups sur la roue, on cloue au pilori, on grille dans l’huile bouillante, on écartèle entre quatre chevaux, on écorche vif, etc. sous les yeux d’une foule ravie. En Angleterre entre le 15 et 17ème siècle, 100 000 femmes accusées de sorcellerie sont brulées vives. On peut aussi estropier son prochain pour un oui ou un non. Voyez l’histoire bien connue d’Abélard, philosophe breton respecté de son temps, émasculé pour avoir aimé Héloïse, une jeune fille d’une condition supérieure à la sienne pourtant également amoureuse de lui.
Cette période est aussi celle des contes pour enfants où l’ogre dévore les petits enfants, le loup croque la grand-mère puis le petit Chaperon rouge, les parents abandonnent leurs rejetons dans la forêt (Le Petit Poucet), les méchantes sorcières vous transforment en crapaud ou empoisonnent les gentilles petites filles (Blanche Neige), etc. Quelle maman oserait aujourd’hui raconter de telles horreurs à ses petits avant d’éteindre la lumière ?
Les « Temps Modernes » européens (15ème-18ème siècle)
Le 15ème siècle est celui de la Renaissance avec sa vision optimiste de l’homme (humanisme) mais c’est aussi celui de la découverte de l’Amérique avec le début du génocide des Indiens et le point de départ des féroces guerres de religion en Europe (Guerre de Trente Ans) et de l’Inquisition : 3 millions de morts rien qu’en France selon Pinker. En 1789, la Révolution française innove : elle proclame les « Droits de l’Homme » tout en érigeant le terrorisme en institution (1,4 millions de morts sur une population de 27 millions) : c’est le règne de la « Terreur » qui causera beaucoup plus de morts (1 400 000 pour une population de 27 millions) que le terrorisme islamique actuel. Le seul génocide vendéen, décidé par la Convention et exécuté par les Colonnes infernales, fait au moins 170 000 morts soit un tiers de la population locale, femmes, enfants et bébés inclus.
Les guerres ne sont pas les seules à tuer, c’est aussi l’époque des duels, combats meurtriers à l’épée ou au pistolet « pour l’honneur » illustrés dans nombre de romans d’hier et de films d’aujourd’hui (« Les Trois Mousquetaires » d’Alexandre Dumas). Pinker souligne qu’au 15ème et 16ème siècle le quart des aristocrates anglais meurent de mort violente par assassinat, guerre ou duel. La proportion tombera à 10 % une fois cette pratique ridiculisée par les philosophes du Siècle des Lumières. La notion d’honneur est la cause d’une multitude de morts et de guerres, jusqu’aux 15 millions de morts de la première guerre mondiale il y a seulement un siècle et par répercussion les 55 millions de la seconde guerre mondiale !
Cette époque est aussi celle de la meurtrière traite des Noirs en Occident et en Orient, menée à grande échelle par les Occidentaux, mais aussi par les Arabes… et par les Africains eux-mêmes pour leurs besoins en esclaves. Sans oublier le cruel esclavage des blancs capturés en Méditerranée par les pirates barbaresques arabo-turcs, tout aussi meurtrier. Résultat : environ 37 millions de morts, qui équivaudraient aujourd’hui à 215 millions de morts, estime Pinker.
Heureusement les Etats, dirigés ou non par des dictateurs, cessent de tolérer les désordres qui nuisent à leur gouvernance. Ils interdisent la justice privée et condamnent ses auteurs même s’ils sont les victimes. Ca calme !
L’époque contemporaine (19ème-21ème siècle)
Tout le monde croit connaître cette période puisque c’est la nôtre. Nous la voyons comme celle des guerres mondiales, froides, commerciales, du terrorisme, du vandalisme, de la montée en puissance de la Chine et de la Russie, celle d’une extrême insécurité. Erreur ! Les faits sont têtus, la tendance des siècles précédents perdure. En 2016, on a 500 fois moins de chances de mourir d’un homicide que pendant la Préhistoire et, toujours selon Pinker, le nombre de morts au combat tend vers le zéro pour 100 000 habitants alors que lors de la préhistoire, rappelons-le, il pouvait s’élever à 60 % d’une population.
Au 20ème siècle une innovation radicale prend naissance : après deux guerres mondiales dévastatrices, les Etats décident de s’associer pour tenter de réduire les sources de conflits. Des organisations pacificatrices « inter-nationales » se créent : Société des Nations, Marché Commun, ONU, Unesco, Agence Internationale de l’Energie Atomique, Interpol, etc. et continuent à se créer aujourd’hui sur les thèmes les plus variés (pollution, réchauffement climatique).Le tableau de la mortalité causée par les guerres dans l’histoire et dans le monde (Contrepoints.org) montre que la mortalité guerrière au 20ème siècle, jugée insurpassable, est en fait toute relative rapportée à la population mondiale. Les deux guerres mondiales cumulées, avec leurs 70 millions de morts se révèlent moins meurtrières que neuf autres conflits dans l’histoire.
Par ailleurs l’incivilité sous toutes ses formes ne cesse de régresser. Les viols, les avortements, les homicides sont en forte baisse. L’intolérance aussi : envers l’homosexualité, des hommes envers les femmes, des adultes envers les enfants. Même les animaux voient leur condition s’améliorer. Dès le début du 19ème siècle (1822 au Royaume Uni) des lois apparaissent pour les protéger, puis des associations (la SPA en France en 1845). Ils ont aujourd’hui des droits alors qu’ils n’ont rien demandé… Quel chemin parcouru quand on sait qu’au Moyen-âge, rois et reines s’esclaffaient au spectacle du supplice d’un pauvre chat pendu par la queue au dessus d’un brasier en train de griller et de se débattre follement. Divertissement aujourd’hui totalement inimaginable (dans les pays occidentaux).
On évoque même désormais un droit des robots lesquels, eux aussi, n’ont rien demandé et dont nous sommes certains qu’ils ne peuvent souffrir puisque c’est nous qui les concevons ainsi !
Venons-en à ce phénomène récent qui nous inquiète tant : le terrorisme islamique. Une courbe publiée par Olivier Berruyer montre qu’il a presque disparu des pays occidentaux (2 % des victimes mondiales) et qu’en fait il concerne surtout – c’est un comble ! – les pays musulmans (75 % des victimes). Ceux-ci s’entretuent et se torturent comme nous le faisions il y a cinq siècles. Ce déficit d’humanisme est révélateur d’un retard évolutif par rapport aux sociétés occidentales, qu’ils finiront par combler puisque c’est la tendance de notre nature.
Conclusion : quelle est la cause profonde de cette baisse continue ?
Les sondages le révèlent : la société occidentale s’inquiète de plus en plus de l’insécurité. Pourquoi donc, puisqu’elle baisse ? Eh bien justement parce que sa rareté la rend de plus en plus spectaculaire et intolérable. Tel l’arbre qui cache la forêt de la multitude des actes généreux et du bonheur quotidien, nous ne voyons qu’actes d’incivilité et souffrances.
Il est temps de prendre conscience de la réalité. L’irrésistible croissance de la paix est indissociable d’une autre irrésistible croissance : celle de la démographie mondiale. Au Néolithique où il y avait très peu d’humains en vadrouille dans la nature, se trouver soudain face à un groupe armé à la langue et aux intentions inconnues était stressant. Des étrangers… Il suffisait d’un rien pour que tout parte en sucette. Aujourd’hui, nous rencontrons des dizaines d’individus par jour au cours d’une vie deux à trois fois plus longue sans être menacés ou agressés. Il est rarissime que nous nous sentions face à un « étranger ».
Tout jeunes, nous étions à l’école avec plein de « camarades ». Ensuite, beaucoup ont connu l’université où ils ont fréquenté un nombre encore plus grand d’adultes de toutes dégaines, provenances, confessions, langues et couleurs… Ces milliers de rencontres ont un effet civilisateur. Mieux que nos ancêtres, nous comprenons comment fonctionnent « les autres ». Nous découvrons la part d’innocence qu’il y a en eux, nous avons moins peur et nous faisons confiance. Nous sommes même devenus capables de souffrir de leur souffrance, de vouloir qu’elle cesse et d’agir pour qu’elle cesse (Croix Rouge, Restos du Cœur, Secours Catholique, Emmaüs, etc.)
La fréquentation croissante de ses semblables a révélé à l’homme la vertu pacificatrice qu’il porte en lui depuis toujours : l’empathie, sœur de l’intelligence. D’où le titre du livre de Pinker : « La part d’ange en nous ».
Jean-Philippe de Lespinay
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Crédit photo : La Bataille de Waterloo, par William Sadler, Pyms Gallery à Londres, via Wikipedia Commons, domaine public. Steven Pinker en février 2018, photo Bhaawest, [cc] via Wikimedia Commons.
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