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Laurent Cassiau, commandant de police : « La sécurité du quotidien n’est plus assurée » [Interview]

Laurent Cassiau-Haurie, commandant au sein de la police bordelaise est l’auteur du livre La police m’a tué… (Éditions Encre Rouge). Un livre qui retrace sa carrière, mais aussi la guerre des polices et la terrible bureaucratie qui règne au sein de la police nationale et qui broie les individus qui s’engagent pourtant, au départ, au service de la France et de la sécurité des citoyens.

On dénombre d’ailleurs plus de 20 suicides chez les gendarmes et policiers depuis le début de l’année 2018, signe de professions qui vacillent, alors qu’elles sont au centre de la solidité de l’État.

Présentation de l’éditeur :

Laurent Cassiau-Haurie est actuellement Commandant de Police au sein de la Police bordelaise. Cet Officier a subi une vague de bêtise, jalousie et amertume de la part d’une hiérarchie aveugle et incompétente au départ de son précédent Directeur, en 2014. Malgré une carrière riche, variée et exemplaire, cet Officier n’a pu échapper aux tenailles d’une administration représentée par des décideurs indignes, le conduisant à une placardisation en bonne et due forme après de nombreuses tentatives de nuisances en tout genre. C’est au travers de son cas, mis au rebut à 53 ans, qu’il décrit puis détaille les méandres d’une profession dont il décline l’ensemble des problèmes auxquels est confrontée la Police d’Investigation dans un silence savamment entretenu. Il ne fait pas de corporatisme, ne demande pas d’argent ni de moyens supplémentaires. Il évoque la perte de sens d’un métier aux abois. Plus d’âme, plus de tripes, plus aucune exaltation, l’investigation est robotisée, bureaucratisée pour aboutir à du paraître et du faux semblant. Les freins et blocages sont méticuleusement et techniquement décortiqués, car ponctués d’exemples précis. Fil conducteur de son propos, il indique que la délinquance moyenne notamment, n’est plus traitée à sa juste valeur, voire abandonnée en raison de difficultés administratives, juridiques et d’une mentalité peu à peu empreinte de découragement néfaste, sous couvert d’une philosophie moderne, mais injuste. L’obligation de réserve est transgressée, mais justement argumentée par M. Cassiau-Haurie qui ne craint pas les retours administratifs, certain d’être dans son bon droit au service d’une cause juste.

Dans ce livre sont également confirmées les zones de non-droit qui existent en France, le laxisme de la réponse pénale que subissent en retour chaque jour les policiers. Mais aussi, gravité suprême, l’auteur évoque la sécurité des Français qui, au quotidien, ne serait plus assurée, dans un pays qui se targue d’être une puissance mondiale.

Ainsi, le premier droit du citoyen, avant tout autre, son droit à la sécurité, serait aujourd’hui clairement remis en cause.

Nous vous invitons fortement à lire « la police m’a tué » de Laurent Cassiau-Haurie, car ces témoignages, à visage découvert, de policiers sont très rares.

Et pour achever de vous convaincre de le lire, nous nous sommes entretenus avec Laurent Cassiau.

La police m’a tué — Encre rouge — 20 € (à commander ici)

Breizh-info.com : Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?

Laurent Cassiau : Je suis Commandant de Police, âgé de 56 ans. J’ai constamment évolué à l’exception de deux ans en Algérie, dans le domaine de l’investigation, c’est à dire des enquêtes. J’ai officié dans nombre de services, Commissariat d’Évry Corbeil, Section criminelle à la PJ Ajaccio, Brigade des Stupéfiants de la PJ Versailles, puis sur Bordeaux dans une Brigate Territoriale à Cenon tout en faisant des piges de plusieurs mois pour le compte du GIR de Bordeaux. J’ai ensuite pris la direction de plusieurs brigades : Auto, Violences, Criminelle, avant de prendre la responsabilité d’Unité, comme l’Unité de Lutte contre l’Économie souterraine tout en étant coordinateur judiciaire de la ZSP de Bordeaux.

Et enfin l’Unité de Police administrative où l’administration policière bordelaise m’a confiné sans raison, sans me convoquer au terme d’un processus s’apparentant fortement à un lynchage organisé au prix d’un harcèlement méthodique, froid et obscur. Je raconte certains épisodes dans mon livre, et encore pas tout le processus, car j’aurais fatigué le lecteur. Hors tout ce qui est écrit est rigoureusement vrai.

C’est le prix à payer, lorsqu’on est l’objet de jalousie, amertume et rancœur d’une hiérarchie qui ne fonctionne que par corporatisme pour préserver son ego, son statut et ses privilèges. Je précise que je ne l’avais jamais défié jusqu’à l’écriture de ce livre dont ce passage de ma vie professionnelle est le départ et le prélude à de multiples réflexions sur le métier et les nombreuses problématiques auxquelles nous sommes confrontés depuis une trentaine d’années, formant ainsi les deux tiers restants du bouquin.

Breizh-info.com : Quand on lit votre livre, on a l’impression que la police est très mal en point en France, est-ce seulement une impression ?

Laurent Cassiau : La Police est très mal et va exploser, c’est une question de mois….

Pour plusieurs raisons. On avait jusqu’à présent l’habitude d’évoluer dans un environnement hostile avec une certaine efficacité et le métier avait un sens dans lequel on se retrouvait. On avait plaisir pour faire court et caricatural à défendre la veuve et l’orphelin, en rendant le sac à la petite « vieille ». Le bandit allait en prison plus ou moins longtemps et on se couchait le soir l’esprit libre et heureux.
Tout le. monde sait que ce n’est plus le cas. En 15 ans, les multiples réformes procédurales, les nombreuses politiques pénales affichées, ces deux leviers ont agi dans une seule direction concourant à fragiliser la police, nuire à son efficacité et la rabaisser au rang de simples exécutants sans cervelle et sans cœur, pour des raisons politiques et économiques….

Est venu se rajouter, ce que l’on avait prévu et rabâché, l’abandon total des pauvres gens honnêtes vivant dans les quartiers dits difficiles, au milieu de la gangrène inculte, sauvage et revancharde des voyous de cités.
Mais également un état d’esprit au sein même de la police, jusque là préservée totalement inique qu’est la mentalité administrative érigée comme un totem, qui s’est distillée à tous les échelons, tous les processus et enfin dans tous les esprits et mentalités.

On doit donc faire face à des équilibres douteux en faveur des voyous dans la procédure pénale, une politique pénale injuste et incohérente, des lourdeurs dans les process d’exécution et un management féodal. Je vous assure que je suis très mesuré et pondéré, mais c’est bien plus grave que cela et j’en détaille les pratiques dans ce livre  » La Police M’a tué « . Je vous donne juste un exemple comme ça en passant, il n’y a aucune politique de ressources humaines au sein du ministère de l’Intérieur. C’est insensé….

On est donc arrivé maintenant au cas typique suivant. Je vous ferai grâce d’exemples graves….. Donc, schéma classique, un individu est arrêté, s’en suit une dizaine d’heures réelles de procédure, une décision du Parquet qui dans le meilleur des cas renverra l’individu devant le tribunal dans plusieurs mois à deux ans, laquelle ne sera exécutée si elle l’est, plusieurs années plus tard, sans qu’aucune mesure d’indemnisation ne soit effective. L’intéressé sera libéré de sa garde à vue et commettra nombre d’autres délits dans l’intervalle. Cette enquête n’aura mené à rien, aura alourdi le contentieux judiciaire, n’aura eu aucune efficacité morale, psychologique et matérielle et les 24 heures de garde à vue auront coûté au contribuable environ 500 euros, provoquant un déni de justice et une blessure supplémentaire à la victime.

C’est donc l’inutilité de la fonction qui est mise à jour. Pour résumer que vous interveniez ou pas, ça revient au même. Pire, ça emmerde tout le monde.
C’est la même chose à tous les niveaux. Regardez les pauvres collègues en tenue ou de la bac, ils prennent des risques, des coups, font l’objet de Violences de plus en plus graves pour quels résultats. Si, il y en a un résultat flagrant ! Dans les banlieues, des émeutes et autres violences urbaines sont hebdomadaires pour n’importe quel prétexte…. mais là avec l’islamisation et le terrorisme on est dans la quintessence de l’inconséquence de nos politiques….
On vit dans l’injustice en permanence dorénavant.

Breizh-info.com : On ressent également la sensation qu’au-delà de ce que l’on voit, la police est une bureaucratie presque cannibale. Expliquez-nous ?

Laurent Cassiau : Évidemment que la bureaucratie est cannibale, il y a eu en 15 ans plus d’une dizaine de réformes procédurales qui ont considérablement renforcé les droits du supposé coupable, sans aucune modification du logiciel informatique, sans aucune simplification administrative et surtout concourant à réduire l’espace de liberté du policier, anesthésiant l’esprit d’initiative et l’enfermant dans un carcan abêtissant au détriment de la victime.

Mais la hiérarchie policière s’est par-dessus tout cela parfaitement adaptée aux nouvelles contraintes. Elle s’est désengagée du processus judiciaire puisque les enquêtes ne servent plus à rien ou ne mènent à pas grand-chose (je parle des enquêtes de moyenne délinquance principalement) pour exercer une autorité caporaliste, statistique et de contrôle du processus afin qu’en priorité, toute la pyramide de commandement ne soit pas embêtée d’une manière ou d’une autre. La base le ressent très bien, et cela explique en partie les mouvements de colère des policiers, il y a plus de deux ans.

Breizh-info.com : Comment expliquez vous le taux de suicide plus élevé chez les policiers et les gendarmes que parmi les autres catégories de la population ?
Laurent Cassiau : Beaucoup de monde s’est déjà prononcé sur le sujet des suicides, outre la facilité à le faire en raison du port de notre arme de service , il y a l’environnement du policier qui évolue dans les bas fonds de la société… ce sont des banalités mais des vérités.

Par contre, comme je l’explique dans le livre le management a changé pour faire place à un autoritarisme froid, égoïste et protecteur du système d’une part mais également emprunt d’une philosophie différente d’avant :  un esprit administratif roborative, aux pleins pouvoirs. C’est la porte ouverte au protectionnisme de l’entre soit, de l’individualIsmael donc du carriériste au final. On ne récompense plus quelqu’un qui aura fait des affaires donc pris des risques mais celui qui aura fait respecter les notes, les. Consignes et le protocole …..

Hors la violence envers la police s’est fortement aggravée avec une intensité et une dangerosité croissante: pavés, plaques d’égouts, machines à laver, puis maintenant cocktails molotovs et enfin kalachnikovs et mortiers. Tout cela s’accompagne d’une inversion des valeurs, d’une paupérisation des situations extrêmes et enfin d’une incompréhension avec le pouvoir politique et par voie de conséquence judiciaire. Les flics sont en première ligne. C’est une cocotte minute, on peut comprendre qu’associé à des problèmes personnels, certains craquent.

Breizh-info.com : En tant que policier qui avez vu l’évolution de notre société, mais aussi de la police, nous confirmez vous que la sécurité des citoyens est assurée aujourd’hui en France ?

Laurent Cassiau : Bien sûr que non la sécurité n’est plus assurée à l’exception de quelques poches parmi la grosse délinquance. Allez le demander aux Français et notamment ceux vivant en banlieues…

Cette absence de politique sécuritaire est source d’inégalité et d’injustice profondes.

Mais les exemples sont tellement nombreux, il n’est pas besoin d’en citer. C’est un non-sens moral, un retournement des valeurs inexplicable. Regardez, la lutte contre les cambriolages, personne ne s’en occupe vraiment. Plus aucune Sûreté de France ne fait de sériels cambrioleurs. On fait du coup par coup, gentiment.

Breizh-info.com : Comment expliquez-vous votre mise au placard avant la retraite ?

Laurent Cassiau : oh, mais c’est très simple, j’ai suscité de la jalousie et de la rancœur d’une brochette de Commissaires qui m’ont fait payer au départ de l’ancien directeur, mon positionnement administratif qui leur faisait de l’ombre. Ils ont développé une telle méchanceté qui m’a beaucoup surpris. Tout y est passé, on m’a retiré les moyens d’exercer ma mission, on a cherché à me nuire, on a cherché dans les dossiers, mes comportements, mes décisions, mes relations si je n’avais pas fauté, on m’a ignoré, laissé de côté dans le cadre d’une réforme des services, on ne m’a convié à aucune réunion, on m’a muté dans une unité spécialement créée pour moi, purement administrative alors que je suis élevé au biberon judiciaire depuis mon entrée dans la police, ne répondant pas aux directives parisiennes.

On m’a humilié en me faisant auditionner administrativement pour une peccadille, je n’avais pas baissé le pare-soleil Police au passage de la barrière… et le summum, puisque tout se passait dans mon dos, sans explication, enfin une réunion avec la Directrice qui ne me connaissait pas du tout. Et là, j’avoue que je suis resté coi, donc en substance, « la retraite, c’est bien “ ‘vos petites filles, vous pourrez vous en occuper’…. bref à 53 ans, quatre ans de la fin, c’est horrible d’entendre ça.
Et je précise qu’ils n’ont strictement rien trouvé à me reprocher, puisqu’il n’y avait rien à me reprocher.

J’ai eu une carrière où je n’ai fait que travailler, travailler et travailler pour le bien de mes citoyens, pour la réussite des affaires. Et de la réussite j’en ai eu, j’étais inattaquable…. mais ils m’ont jeté comme une vieille chaussette. Il faut lire le livre pour comprendre, ce qu’est le management dans la Police. Vous avez un cas d’école décortiqué et réel. Et moi, je l’écris à visage découvert pour prouver que les faits sont véridiques.
Il y a de nombreux autres exemples dans la police….

Breizh-info.com : Avez vous été soutenu par les syndicats depuis la sortie de ce livre ? Par vos collègues ? Quels retours avez-vous eu ?

Laurent Cassiau : Non je n’ai été soutenu que très mollement par les syndicats et je vais vous expliquer pourquoi. D’abord l’administration n’est pas en tort, en me laissant à la tête d’une unité, quand bien même elle soit fantôme. Ensuite, cela a permis de faire monter mes collègues, adversaires, concurrents ou jaloux en prenant plus ou moins la place que j’occupais auparavant, donc tout le monde est content, sauf moi.

Et enfin, on est en province et à fortiori à Bordeaux, doucement, on ne va pas se fâcher, on se calme…..

Breizh-info.com : Que faudrait-il changer dans la police, dans sa hiérarchie, pour que les choses évoluent en positif ?

Laurent Cassiau : Très compliqué mais il existe des chantiers relativement faciles à entreprendre. Concernant le management et le parcours professionnel  il est impératif que la police se dote d’une véritable politique de ressources humaines avec des spécialistes et des techniciens. Savez vous que cela n’existe pas, incroyablement que cela puisse paraître ? C’est le chantier primordial de la police.

Les autres sont en cours, certes c’est long, trop long mais on avance un tout petit peu.  Simplification de la procédure pénale et simplification  Améliorer les fichiers et les connexions.

Je ne parlerai pas des solutions qui ne seront mises en œuvre qu’au prix d’une véritable politique générale de lutte contre la délinquance moyenne  et dans les banlieues. Au sujet de l’immigration …. ce serait trop long et c’est inutile, rien ne changera à ce niveau avant …longtemps…

Propos recueillis par Yann Vallerie

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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