On trouve même un Breton dans le dernier ouvrage de Jean-Claude Michéa Le loup dans la bergerie (Climats, Flammarion). Un Breton qui joua un rôle important dans la première partie de la Révolution française – la phase libérale et bourgeoise. C’est en effet Isaac Le Chapelier qui fut à l’origine de la loi qui porte son nom et qui limitait les droits d’association et constituait l’une des bases fondamentales du capitalisme libéral. Avocat à rennes, député du tiers état aux États généraux, il fonda avec Jean Denis Lanjuinais, autre député rennais également avocat, le Club breton qui devint Le Club des jacobins.
Jean-Claude Michéa rappelle donc que « la loi Le Chapelier, votée à la quasi unanimité par l’Assemblée nationale le 14 juin 1791, ne se contentait pas de placer la liberté absolue d’entreprendre au cœur même du nouvel ordre social révolutionnaire (la loi d’Allarde, votée en mars de la même année avait déjà stipulé qu’il serait désormais entièrement « libre à toute personne de faire tel négoce ou exercer telle profession, art, ou métier qu’elle trouvera bon ». Elle ajoutait surtout – dans la logique de cet individualisme possessif radical qui constitue l’essence même du libéralisme politique et culturel de la gauche – que toutes les actions entreprises par une partie de la population, serait-elle majoritaire, pour limiter ou règlementer cette liberté économique au nom de ses « prétendus intérêts communs » devraient à présent être tenues pour « inconstitutionnelles, attentatoires à la liberté et à la Déclaration des droits de l’homme » (l’un des tout premiers usages politiques du concept de « droit de l’homme ». – deux siècles avant SOS Racisme et Bernard-Henry Lévy – aura donc été la dissociation de toutes les associations ouvrières). »
Il faut croire que le livre de Michéa tombe au bon moment puisque la question du libéralisme semble à l’ordre du jour. Si bien que entretiens et critiques ont accompagné la sortie de cet ouvrage dans la presse parisienne. Aussi bien du côté des quotidiens (Le Monde, Le Figaro, Libération) que du côté des hebdos (Le Canard enchaîné, l’Obs, Marianne, Valeurs actuelles). Laurent Joffrin se trouvait dans son rôle en sortant un article anti-Michéa dans Libération (mercredi 3 octobre 2018). Après avoir rappelé que « Michéa fut communiste », il s’en prend à la thèse centrale de ce dernier : « Depuis des lustres, [dit Michéa] la gauche socialiste et républicaine a adopté « l’idéologie des droits de l’homme ». Dès lors, elle est devenue libérale et chez elle les réformes « sociétales » ont remplacé la question sociale. Au lieu de défendre les intérêts des classes populaires, ce qui supposerait la promotion de valeurs collectives – Michéa relie celles-ci à la « common decency » chère à Georges Orwell – la gauche s’est concentrée sur l’antiracisme, la lutte contre les discriminations de genre, la dénonciation des politiques « sécuritaires », conjuguant ainsi libéralisme économique et libéralisme culturel, qui sont des frères siamois idéologiques. La gauche parlait aux prolos ; elle ne représente plus que les bobos. »
Joffrin aurait pu ajouter que son quotidien réalise à merveille le mariage du libéralisme culturel et du libéralisme économique. Avec l’Obs, Libé est le seul organe de presse à mériter l’appellation « 100% libéral ». Alors que les titres de droite (Le Figaro et Valeurs actuelles) ne sont qu’imparfaitement libéraux car ne prenant en compte que le volet économique et s’en tenant, dans le domaine sociétal, à un conservatisme classique ; on a pu le vérifier hier avec le mariage pour tous et on pourra le vérifier demain avec la PMA. À gauche les vrais libéraux, à droite, les semi-libéraux qui se refusent à accorder des droits nouveaux dans la sphère sociétale.
Bernard Morvan
Jean-Claude Michéa, Le loup dans la bergerie (Collection Climats, Flammarion); 166p. 17€
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