Crise de l’hôtellerie-restauration à Dinard. « Les jeunes ne veulent plus travailler »

« À Dinard, il suffit de traverser la rue pour trouver un emploi ». Ces mots ne sont pas d’Emmanuel Macron, un président de la République qui achève de désacraliser la fonction présidentielle en discutant dans la rue avec sa population (et en posant avec des braqueurs).

Non, ils sont de plusieurs hôteliers et restaurateurs avec qui nous avons échangé, notamment à l’occasion du Dinard film festival, et qui dressent (presque) tous le même constat : l’hôtellerie-restauration a connu, cette saison à Dinard, ville du lycée hôtelier, des hauts, mais aussi des gros bas. « Plusieurs établissements du centre-ville ont fermé une semaine voir plus par manque de main d’œuvre, en juillet et en août, vous vous rendez-compte ? » nous glisse un barman du cru, qui n’a jamais vu ça.

Oui, mais quelle est la raison de ce manque de main-d’œuvre ? « Les jeunes ne veulent plus travailler », nous dit-il. « On ne reçoit même pas de CV », nous glisse le patron d’un restaurant proche du casino.

Dans la ville qui forme de futurs grands chefs cuisine et d’excellents serveurs ou maître d’hôtel, cela fait particulièrement tache. Les charges sociales sont également montrées du doigt : « Je ne peux pas embaucher » nous confie la patronne d’un établissement à Dinan. « Je ne rentre pas assez d’argent pour me permettre d’avoir un salarié. Cela nous coûte beaucoup trop cher. Du coup, on se prend des coups de jus auxquels il est difficile de faire face, au détriment des clients ». Et le personnel en extra ? « Ça ne fait pas l’affaire, on n’a pas le temps de former aux règles de l’établissement en si peu de temps ».

« Ce n’est pas envisageable d’acheter une maison sur la côte quand vous touchez 1300, 1500 euros nets. »

Mais du côté de ces « jeunes » (terme qui ne veut pas dire grand-chose tant il est globalisant), on renvoie la balle aux employeurs.

Yanis, qui a été étudiant au lycée hôtelier de Dinard, arrête la restauration en France à la fin de la saison, c’est à dire dans quelques jours : « Les restaurants ou des hôtels se servent du lycée hôtelier pour prendre des stagiaires, et bien les faire travailler à fond sans les payer correctement, puisque stagiaires, durant l’été. Ensuite, vous sortez du lycée hôtelier déjà à moitié dégouté des conditions de travail, et on vous propose des embauches payées au SMIC. Il ne faut pas s’étonner qu’ensuite, ça tourne sans arrêt, et qu’au final, ils ne trouvent plus personne ».

Ce dernier nous indique avoir trouvé un emploi en Suisse, « qui devrait être sur le long terme ». « Je vais toucher pas loin de deux fois ce que je touche ici, et j’ai de nombreux amis qui touchent l’équivalent d’un demi-salaire en plus en pourboires. Mon choix est vite fait ».

Antoine lui, a définitivement quitté l’hôtellerie-restauration, secteur dans lequel il a travaillé entre ses 18 ans et ses 29 ans. « À un moment donné, quand on vous fait comprendre que vous ne pourrez pas toucher plus d’argent que vous n’en touchez, vous avez un choix à faire, même si vous aimez votre métier » nous dit-il.

Pour lui, le manque de main-d’œuvre à Dinard se situe également dans les bas salaires proposés aux employés « même si on ne peut pas débuter non plus à 2000 euros nets par mois, il faut faire ses preuves ». Mais surtout, cela réside dans l’impossibilité de se loger correctement et d’avoir un avenir immobilier sur la côte d’Émeraude : « Ce n’est pas envisageable d’acheter une maison sur la côte quand vous touchez 1300, 1500 euros nets. Si vous avez de la chance. Vous avez vu les prix ? Les jeunes sont partis vers Pleurtuit, la Richardais… mais vu que cela ne cesse de construire, et les prix d’augmenter, ils vont encore plus loin dans les terres. Vous vous voyez travailler avec une heure de route et demie de route par jour, des coupures en pleine journée, et tout ça pour un salaire cramé dans l’essence, et dans le remboursement d’un crédit important ? Quand on voit le nombre de retraités qui s’établissent sur la côte, et le nombre de jeunes dinardais contraints de partir, c’est fou. »

Entres des patrons et des exploitants parfois (parfois seulement) aigris, qui semblent généraliser sur les « jeunes qui ne veulent pas bosser » et les potentiels recrues de l’hôtellerie restauration qui revendiquent sans doute plus, en termes de salaires comme en termes de garanties, que leurs ainées qui travaillaient à une époque où les conditions économiques étant bien meilleures, difficile de se comprendre.

Nous ne l’avons pas entendu dans les entreprises hôtelières de Dinard, mais déjà, ailleurs en France certains chefs d’entreprise envisagent (quand ce n’est déjà fait dans beaucoup de cuisines parisiennes) une autre solution : pas question de proposer des salaires plus haut, ni des conditions d’accès au logements (de vrais logements, pas des chambres de bonnes ou des appartements miteux) pour les employés. Mais plutôt, un souhait de faire travailler une autre main d’œuvre, malléable et pas chère : celle de migrants, qui n’attendent pour certains qu’une chose, pouvoir travailler. L’immigration pour enrichir les patrons …

Sur la côte d’Émeraude, certains établissements semblent toutefois, on citera le cas du Davy’s, véritable institution dinardaise, rencontrer moins de soucis niveau recrutement, tout comme niveau économique. Difficile de connaitre la recette miracle.

En tout état de cause, on assiste lentement mais sûrement, à une précarisation des conditions de travail des jeunes en hôtellerie restauration sur la Côte d’émeraude, tandis que les hôtels ou restaurants ne peuvent pas, hormis quelques-uns, se targuer de réaliser d’énormes bénéfices. Le gérant d’un hôtel historique du centre de Dinard nous confie « ne pas dégager le moindre bénéfice » depuis plusieurs années à la tête de l’établissement. « Le crédit à rembourser à la banque est énorme, je me verse un salaire de 1500 € net par mois sans compter mes heures, toute l’année, et sans le moindre bénéfice. Ce n’est pas motivant, surtout que si vous avez du retard sur vos charges, vous n’êtes pas épargné. Et à cela il faut rajouter le traitement impitoyable de l’administration quand il s’agit de l’application des nouvelles normes qu’ils nous pondent dans des bureaux chaque année ».

Derrière le sourire des touristes et des nouveaux résidents venus notamment de la région parisienne qui se précipitent, du fait de leur pouvoir d’achat, dans les appartements et les villas de la Côte d’Émeraude, la réalité est beaucoup moins agréable pour une partie des locaux.

Pour le moment, personne ne semble toutefois en mesure de s’organiser pour prendre le problème à bras le corps…

Yann Vallerie

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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