Le gouvernement français s’apprête à faire voter une loi contre les « Fake news », contre une information qu’il estime « manipulée ». Dans le viseur : des médias étrangers comme RT ou Sputnik qualifiés de médias de propagande et contre lesquels Emmanuel Macron s’était déjà pris avec violence. Cette loi autoriserait le CSA à refuser ou à retirer leur licence. La question posée est celle-ci : l’ État doit-il établir un ministère de la Vérité comme dans 1984 le roman d’anticipation de Georges Orwell ?
Signe des temps, cette question était à l’ordre du jour des « géopolitiques de Nantes » qui se sont tenues les 28 et 29 septembre. Organisées depuis 6 ans par Nantes Métropole et le Lieu Unique conjointement avec l’IRIS (Institut des relations internationales et stratégiques), cette manifestation reçoit – gage de pluralisme ? – le soutien de plusieurs journaux et médias comme La Croix, Ouest-France, le Journal du Dimanche, France 24 et RFI… Les débats s’y veulent « contradictoires et de qualité dans le respect de l’autre et la diversité des opinions ». Johanna Rolland, la maire de Nantes (PS) y voit de son côté la marque d’une « citoyenneté active et engagée ». Focus sur le grand atelier organisé le 29 septembre sur thème : « Fake news, complotisme et désinformation ».
Directeur de l’IRIS, Pascal Boniface était aux manettes pour diriger les débats, ce qu’il fit avec compétence et neutralité. Il est vrai que l’homme connait le sujet :dans son dernier livre, « Antisémite », il raconte l’histoire d’une malveillance par manipulation dont il fut victime et qui n’avait d’autre origine que ses critiques envers Israël.
Les intervenants étaient au nombre de quatre. Pierre Haski , ancien journaliste à Libération, puis cofondateur de Rue 89, président de Reporters sans frontières RSF depuis 2017, est chroniqueur à L’Obs. Succédant à Bernard Guetta, il assure depuis fin août la chronique géopolitique de France Inter. François-Bernard Huyghe, directeur de recherche à l’IRIS est un spécialiste de la communication, la cyberstratégie et l’intelligence économique. Blogueur influent, il vient de publier Fake news la grande peur (VA Press) . Aude Lancelin fut directrice adjointe de la rédaction de Marianne puis de L’Obs dont elle a été virée en 2016. Elle vient de prendre la tête du site Le Média. Son dernier livre : La pensée en otage : s’armer intellectuellement contre les médias dominants. Ancien reporter à LCI, TF1, puis rédacteur en chef d’Europe 1, Olivier Ravanellol rejoint ensuite Itélé (C News), qu’il quitte avec une partie de la rédaction pour créer le média en ligne Explicite.
Les fake news : panique dans la pensée unique ?
D’emblée le premier intervenant F-B Huyghe va mettre les pieds dans le plat. Après avoir cité de célèbres exemples de désinformation comme les cadavres de Timisoara ou les fioles de poison brandies par l’Américain Colin Powell à l’ONU pour justifier l’invasion de l’Irak, il affirme que ce qu’on appelle les fake news provoquent une panique dans la pensée unique qui leur a trouvé deux coupables principaux : « les Russes et la fachosphère ». Le Web et internet ont créé d’immenses déceptions chez certains qui se sont émerveillés des Printemps arabes alors qu’ aujourd’hui ils veulent contrôler les réseaux sociaux qui y eurent un grand rôle…
Pierre Haski rappelle le scandale de Facebook- Cambridge analytica où les données personnelles de 87 millions d’utilisateurs de Facebook auraient été utilisées pour le Brexit puis dans la victoire de Trump. Il y voit la main de Steve Bannon « un gourou qui veut fédérer tous les populismes pour mettre l’Europe sans dessus dessous ». Il s’inquiète de la capacité de certains d’utiliser les avancées technologiques pour leur propagande.
« Les décodeurs du Monde c’est aussi dangereux que les GAFA ! »
Pour Aude Lancelin, au contraire, la technique ne change pas fondamentalement les choses. Les réseaux sociaux sont des espaces de liberté qu’on essaie de reprendre en main. Google et Facebook ne sont pas neutres et nettoient les « contenus suspects ». Selon elle, il y a une collaboration entre les États, les multinationales, les rédactions des grands médias pour « produire des contenus adaptés ». Elle affirme que « Niel, Bouygues, Arnault, Drahi, c’est kif kif ». Rappelant que le gouvernement français veut promulguer une loi sur les Fake news avant les élections européennes, elle n’hésite pas à affirmer : « Les décodeurs du Monde c’est aussi dangereux que les GAFA ! ».
Pierre Haski s’oppose au « manichéisme » de sa consœur et affirme « dans les grands groupes on peut être honnête » et envoie un « coup de chapeau » à la rédaction du Figaro. Il semble parallèlement regretter que « le public soit devenu acteur de l’information ». Pour l’éditorialiste de France inter, « il faut créer de la citoyenneté , de l’autonomie de pensée ». Comment ? « Par de l’action sur les jeunes, c’est vital ! ».
Journaliste, « un métier où on sait fabriquer une info »
Selon Ravanello, la volonté de manipuler l’information n’est pas nouvelle. Ce qui change, c’est son ampleur. Il y a des stratégies d’influence qui peuvent passer par Tweeter : on tweete et retweete sans identifier la source. Il défend la profession de journaliste : « C’est un métier où on sait fabriquer une info » (sic). Pour lui, « tous journalistes, c’est une supercherie (…) on ne peut pas diffuser de l’info sur les réseaux sociaux ». Il ajoute : « informer gratis c’est pernicieux, il faut acheter l’info (…). Il faut de l’argent pour faire du bon journalisme ». Avant d’ajouter : « Il est important de bien faire comprendre les choses ».
Pour F-B Huyghe les grands médias étaient tous proches du futur président de la République, et ils ont favorisé par tous les moyens possibles son élection. Mais cet été « la stratégie de Macron pour contrôler l’information dans l’affaire Benalla a échoué ». On s’est aperçu qu’une ONG payée par Soros avait tenté d’y impliquer la Russie.
Pierre Haski reprend la parole pour faire son propre panégyrique : « J’ai 200 000 followers (!), j’ai le sens de la responsabilité, tout ce que je dis est garanti ». Il est réservé sur le « fact cheking » du Monde qui ne parle qu’aux convaincus et ne résout pas la défiance, ajoutant : « Le decodex n’est pas qualifié pour donner des brevets de bonne conduite ». Mais alors que faire ? « Une éducation aux médias ».
Légiférer contre les fake news ?
Disons le, le débat fut réellement contradictoire, permettant d’échanger, sous la houlette de Pascal Boniface, des points de vue différents, voire opposés, mais toujours avec courtoisie. Néanmoins il laissait l’auditeur sur sa faim. Les Fake news existent, le complotisme aussi. Les médias de la pensée unique n’ont toujours pas compris comment Trump a réussi à se faire élire alors que la quasi-totalité des journaux et chaines de télévision lui étaient hostiles. Affolés par la montée des « populismes », certains gouvernements européens veulent légiférer contre ce qu’ils appellent le « faux ». Les grands du numérique – Facebook, Google, Youtube,Tweeter – font la chasse aux mal-pensants sur le Net. On peut se demander, comme le fait François-Bernard Huyghe dans son dernier essai, « pourquoi une telle fraction de la population est devenue si rétive, d’où vient ce scepticisme de masse (…) Quels sont les ressorts culturels, psychologiques et technologiques de cette rupture. Les contre-mesures idéologiques et politiques destinées à rétablir le règne du « vrai » ne risquent-elles pas d’entretenir un cycle infernal d’incroyance et de censure ? (…) une crise des mécanismes mêmes de la confiance. Donc de la démocratie ».
La question est posée.
François Cravic
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