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Retour en force du nationalisme à l’échelle de la planète

Où que se tourne aujourd’hui le regard du géopoliticien, il ne peut que constater un retour en force du nationalisme dans les relations internationales à l’échelle de la planète.

Constat ? Causes ? Conséquences ? Telles sont les trois questions auxquelles les élites dirigeantes du monde entier devraient s’efforcer de répondre avec pertinence et précision pour affiner leur gouvernance et sauvegarder la paix.

En effet, les perspectives géopolitiques tracées par ce retour en force du nationalisme dans de nombreux pays s’opposent, à l’évidence, à l’objectif de « mondialisation heureuse » proposé par certains et pourraient générer, à court ou moyen terme, quelques crises ou conflits de grande ampleur pouvant impliquer tout ou partie de l’humanité.

Le constat

« America first », « Make America great again » ? Ce genre de slogans qui ont permis à Trump d’être élu outre-atlantique, dans l’unique superpuissance qui dirige le monde dit «libre», est révélateur d’un retour en force du sens national aux USA. Ce slogan rappelle étrangement le «Deutchland über alles» de triste mémoire. Le retrait US de plusieurs accords internationaux de nature commerciale, politique ou climatique, l’établissement de règles très dures et l’érection de murs anti-migratoires, les ingérences ciblées sur des pays étrangers visant à promouvoir des intérêts exclusivement US ou israéliens (Syrie, Irak, Iran, reconnaissance de Jérusalem) au détriment parfois de ses alliés européens : tout cela a été initié par Trump au nom d’un pays qui a longtemps servi de référence et de modèle pour les élites dirigeantes et les populations occidentales.

Dans le sillage et avec la complicité active de Trump, le 51ème état de l’Union, Israël, a suivi en durcissant son discours politique et ses actions militaires dans le cadre ambiant d’un nationalisme exacerbé. Notons que l’influence de l’État hébreu sur les politiques US (tant intérieure qu’étrangère) est considérable, par le biais de l’AIPAC, des médias, des sayanim et de la finance qu’il contrôle. Le néoconservatisme US, fortement nationaliste par essence, est, par ailleurs, étroitement lié aux lobbies pro-israéliens US.

Ce retour au « national » est également perceptible dans de nombreux autres pays qui comptent. En Russie et en Chine, il suffit d’écouter les discours de Poutine (celui du 1er mars 2018 par exemple) et ceux de Xi Jing Ping (discours des vœux 2018 entre autres) pour réaliser l’importance croissante du « discours national » dans leur gouvernance. La réélection triomphale de Poutine, le 18 mars 2018, la fin des limitations des mandats présidentiels offerte à Xi Jinping par les congressistes du PC chinois montrent que la teneur nationaliste des discours de Poutine et de Xi a payé.

En Europe, le retour en force du sens national et de l’euroscepticisme est perceptible à chaque élection dans la quasi totalité des pays. Le vote sur le Brexit et la montée en puissance des partis affichant des programmes souverainistes et/ou nationalistes, en constituent les principaux indicateurs.

En Inde avec Modi, en Turquie avec Erdogan, en Iran avec Khamenei, au Pakistan avec Shahid Khaqan Abbasi , un nationalisme de plus en plus fort s’impose plus que jamais, tant dans le discours politique des élites dirigeantes, que dans les masses populaires.

En Asie (Philippines, Corée du Nord, Yémen, Arabie Saoudite, Qatar …), en Afrique (Égypte, Algérie, Afrique du Sud…) en Amérique du Sud (Venezuela, Bolivie, Équateur…), le retour en force du sens national peut également être observé dans de nombreux pays.

Les causes

Le retour en force du «sens national» se réalise, le plus souvent, en raison de la perception d’une menace et/ou en réaction à celle ci ou à une ingérence étrangère. C’est alors une attitude réflexe de défense. Mais le nationalisme est aussi parfois le produit d’aspirations hégémoniques ou impérialistes. Il est alors offensif et s’appuie sur l’emploi de la force.

Cette menace « perçue » ou cet impérialisme peuvent être d’ordre économique, politique,militaire, migratoire ou culturel. Reprenons le constat pays par pays.

Une partie significative du peuple et des dirigeants US perçoivent aujourd’hui ce genre de menaces tout en conservant leurs aspirations hégémoniques: remise en cause de leur suprématie économique, politique et militaire incontestée depuis 1990, par la Chine et la Russie, désignées comme les deux principaux adversaires des USA dans la National Defense Strategy 2018. Les problèmes de la dette, du déficit budgétaire annuel abyssal et chronique, des délocalisations et du taux de chômage, de la dédollarisation progressive des échanges internationaux, des échecs militaires, de l’immigration massive et illégale, de la profonde « désunion » politique du pays sont les signes inquiétants d’un déclin qui paraît inexorable. Le retour en force du « sens national » semble être, dans le cas US, une tentative désespérée d’inspiration néoconservatrice, à caractère défensif et hégémonique, d’inverser le cours des choses et de rendre au pays sa grandeur, ses emplois, sa sécurité et son unité. ( « make America great again », « make America work again », « make America safe again », « make America one again »).

S’agissant d’Israël, le nationalisme exacerbé se nourrit à l’évidence des menaces, réelles ou imaginaires, intérieures et extérieures, contre son existence même, mais aussi du projet sioniste et expansionniste de long terme, poursuivi inlassablement depuis la création de l’état hébreu : « Eretz Israël ». Comme le nationalisme US, il présente des aspects défensifs mais aussi «impérialistes».

S’agissant de la Russie, victime de campagnes de dénigrement permanentes et de sanctions économiques de plus en plus lourdes, observant avec inquiétude l’approche progressive de ses frontières par l’OTAN, ses forces armées et ses missiles, une menace est également perçue tant par la population que par l’homme fort et expérimenté qui dirige le pays. Poutine a su insuffler à son peuple ce retour en force d’un « sens national à vocation défensive » qui vient en réaction à ce qu’il estime être des provocations «agressives» occidentales toujours plus poussées. Certains ont tenté d’attribuer un aspect hégémonique à la ré-annexion de la Crimée et à l’intervention en Syrie. L’examen des faits et du calendrier montrent que ces évènements ne sont survenus qu’après des ingérences occidentales illégales tant en Ukraine qu’en Syrie, ingérences menaçant la sécurité et les intérêts de la Russie. Le nationalisme Russe est donc exclusivement un nationalisme qui vient en réaction défensive aux tentatives hégémoniques des USA de façonner et de maintenir sous le joug un monde unipolaire au service de leurs intérêts.

La Chine, pays en pleine et forte ascension économique, commerciale et militaire, qui perçoit les agissements de la flotte et de l’aviation US en mer de Chine comme une menace à ses intérêts vitaux (déploiement des missiles THAAD en Corée du Sud, menaces réitérées contre son alliée, la Corée du Nord, menaces contre ses voies commerciales maritimes, stationnement d’importants contingents US au Japon et en Corée du Sud). Le « sens national » du peuple et des dirigeant chinois est aujourd’hui d’abord celui d’une réaction aux ingérences étrangères dans ce qu’ils estiment être leur zone d’influence, mais c’est aussi celui d’une revanche sur l’histoire et les humiliations subies au siècle dernier (humiliant traité du 7 septembre 1901 avec les puissances coloniales, humiliations liées à la guerre sino-japonaise de 1931 à 1945, mise à l’écart de la communauté internationale « onusienne » au profit de Taïwan jusqu’à 1971). Mais, derrière les discours lénifiant de Xi, l’aspect hégémonique du nationalisme chinois est d’ores et déjà perceptible au travers du projet « la ceinture et la route » qui vise à accélérer la conquête de la suprématie économique mondiale. Celle ci ne pourra se faire qu’au détriment des USA et de ses vassaux.

Pour les pays de l’Union Européenne, les causes du retour en force du sens national semblent plus diverses et plus complexes. Il y a, bien sûr, une montée en puissance très progressive de l’euroscepticisme, face à une gouvernance de l’UE jugée incapable de « protéger » les acquits et le modèle social de chacun des pays de l’Union. Il y a la peur diffuse d’une mondialisation que l’Union Européenne ne semble pas prête à affronter dans de bonnes conditions, avec sa croissance molle, sa dette astronomique et son modèle social coûteux: mondialisation perçue, à tort ou à raison, comme très probablement moins heureuse qu’annoncée.

Il y a aussi la peur des conséquences identitaires liées à la crise migratoire. Il y a enfin, pour un nombre croissant de citoyens européens, le refus de la soumission à l’extraterritorialité de la législation US qui mine notre économie, le refus d’alignement sur une OTAN, dont la vocation autrefois défensive, s’est peu à peu transformée en alliance offensive qui s’ingère, à tort et à travers, dans les affaires du monde pour faire avancer ses intérêts au détriment de ceux des pays agressés. Une crainte diffuse s’étend dans une partie éduquée des populations de l’UE : celle d’être entraîné, par le jeu des alliances, de la soumission politique et économique aux USA et des discours de propagande relayés par les médias, dans des conflits de grande ampleur qui ne nous concerneraient pas et qui affecteraient durablement notre avenir.

Pour le reste du monde, souvent moins développé, la montée des nationalismes vient, dans la quasi totalité des cas, en réaction aux ingérences occidentales de toute nature (politique, impérialiste, néocoloniale, militaire, économique, culturelle) et en réaction à l’arrogance des dirigeants occidentaux qui prétendent, à eux seuls, diriger la planète. C’est évidemment le cas des nombreux pays directement concernés ou affectés par ces ingérences (Syrie, Iran, Irak, Liban, Yémen, Palestine, Corée du Nord, Venezuela, ….), mais c’est aussi le cas des pays qui se sentent méprisés dans le discours occidental et qui sont même, à l’occasion, qualifiés de «pays de merde» par monsieur Trump, chef trop peu contesté de la « coalition occidentale ». Point n’est besoin d’être prophète pour en déduire que la montée d’un nationalisme de réaction anti-occidental a de très beaux jours devant elle.

Les conséquences

Comme un feu de brousse, la guerre est souvent déclenchée par une simple étincelle.Comme le vent favorise la propagation l’incendie, c’est le jeu des alliances qui provoque l’extension des conflits. Il est clair que le retour en force du sentiment national sur notre planète augmente sensiblement aujourd’hui le risque d’étincelle. Les accords bi- ou multi-latéraux de défense et les alliances les plus importantes de type OCS ou OTAN augmente le risque de voir dégénérer un conflit local en un conflit mondial.

Le sentiment national, lorsqu’il est partagé par une forte majorité de la population d’un pays, lorsqu’il se construit autour d’un homme quasi-incontesté, lorsqu’il s’appuie sur un régime fort, une cause considérée comme juste et admise comme telle par la quasi-unanimité des citoyens, un tel sentiment national devient un facteur de cohésion et un multiplicateur d’énergie. Le peuple en lutte accepte alors plus facilement les souffrances, les deuils et les privations qu’il doit endurer lors des combats ou des bombardements. Il luttera farouchement, jusqu’à la dernière extrémité pour obtenir la victoire et, s’il perd, rendra la victoire très coûteuse à son adversaire.

C’est aujourd’hui, à n’en pas douter, ce type de sentiment national à caractère défensif pour certains, impérialistes pour d’autres, qui anime les populations et les militaires russes, chinois, syriens, iraniens, israélien, voire turcs ou palestiniens.

A l’inverse, le retour du sentiment national dans la coalition occidentale (UE, USA) ne présente quasiment aucune des caractéristiques définies ci dessus qui le transformeraient en facteur de force. Ce sentiment national n’est pas encore franchement majoritaire dans un occident où l’individualisme l’emporte sur le sens du collectif et où les utopistes de la mondialisation heureuse tiennent encore le haut du pavé. Ce sentiment national ne se construit pas autour d’un individu charismatique et incontesté mais autour de plusieurs «chapelles» qui se tirent dans les pattes pour des raisons d’ego. Les régimes occidentaux ne peuvent être qualifiés de forts dès lors que leurs élites dirigeantes ont été mal élues (USA, FR, GB, Allemagne) et sont contestées au quotidien dans tout ce qu’elles entreprennent. Les causes justifiant les ingérences armées de la coalition occidentale, souvent douteuses, sont de moins en moins comprises et admises par ceux qui ne délèguent pas encore aux seuls journalistes le soin de réfléchir pour eux. Cette remontée du sens national en occident est donc loin de constituer un démultiplicateur d’énergie semblable à celui qui se développe dans les pays objets des ingérences et des agressions de l’OTAN.

En conclusion :

Oui, le nationalisme est en extension dans de très nombreux pays.

Oui ce sens national peut constituer un facteur de puissance considérable pour certains pays et, en particulier, pour ceux qui s’opposent aujourd’hui à l’hégémonie sans partage d’un occident dirigée par les USA.

Oui ce sens national augmente la probabilité de déclenchement de nouveaux conflits, pouvant dégénérer et s’étendre par le jeu des alliances.

Mais,

Le retour en force du sens national ne constitue pas, aujourd’hui, un facteur de puissance pour la coalition occidentale dans ses politiques étrangères d’ingérences permanentes et tous azimuts dans les affaires du monde, pour imposer sa domination, ses intérêts et ses valeurs qu’elle seule estime être universelles.

En dépit des manipulations de tous ordres dont elle est l’objet, l’opinion publique occidentale reste divisée sur le sujet: division au sein de chacun des états, division entre pays de l’UE, division entre UE et USA, division entre partisans de la mondialisation heureuse et partisans du retour au sens national, division entre suivistes des USA et de l’OTAN et partisans du retour à plus de souveraineté nationale.

Dans ces conditions, les dirigeants occidentaux seraient bien avisés d’y réfléchir à deux fois avant d’initier des conflits qui pourraient bien s’étendre et tourner au désavantage de leurs pays respectifs.

Dominique Delawarde
Ancien chef « Situation-Renseignement-Guerre électronique » à l’État major interarmées de planification opérationnelle

Publié initialement dans la Revue politique et parlementaire, cet article est reproduit avec l’aimable autorisation de son auteur.

Crédit photo :
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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