Il y a journaliste et journaliste. À Ouest-France, aujourd’hui, tous sortent d’une école de journalisme, établissement dans lequel on ne développe guère le sens de la curiosité et l’ardeur à la tâche. Autrefois, les meilleurs correspondants et des éléments extérieurs à la profession se découvrant une vocation pour la presse pouvaient prétendre le devenir. Mais tout cela ressemble à de l’histoire ancienne. D’où un profil lisse – normalisé – pour des gens qui méritent d’avantage l’appellation « rédacteur » que « journaliste ».
Avec l’introduction des 35 heures, les journalistes ont pris de mauvaises habitudes
Petit à petit on a assisté à la conjonction de deux facteurs qui ont appauvri le contenu rédactionnel et donc contribué à la fuite des lecteurs. D’une part, le souci de réaliser des économies a incité la direction à réduire le nombre de pages locales, alors que le client veut trouver chaque jour « quelque chose » sur sa commune. D’autre part, avec l’introduction des 35 heures, les journalistes ont pris de mauvaises habitudes. Le localier d’antan ne comptait pas son temps. Il était à l’affût des petites et grandes nouvelles de son secteur ; un « ratage » le désespérait. Bref les vieux de la vieille ne faisaient ni 35 heures, ni 39 heures, ni 40 heures.
L’ambition d’un journaliste travaillant dans une rédaction locale consiste à obtenir sa mutation à Chantepie. Là, travailler au desk apparaît plus reposant. Du travail de bureau à partir de dépêches d’agence (pages nationales et internationales). On échappe donc au souci du terrain et on attend la retraite paisiblement. Quant à la recherche d’un « scoop » et la nécessité de « faire intéressant », on laisse cet objectif aux autres. Pourtant pages nationales et internationales ne font pas vendre. Le lecteur de base recherche autre chose – il veut de la proximité. Mais comme la grande direction souhaite donner une image « nationale » au quotidien avec des unes « hors sol », il faut faire avec…
Il est regrettable que les dirigeants du groupe n’aient pas songé à utiliser Presse Océan comme banc d’essai lorsqu’ils ont acheté le quotidien nantais. Proposer un produit révolutionnaire, c’est-à-dire 100% local de bon niveau était envisageable et aurait servi d’exemple aux rédactions locales d’Ouest-France.
Avec des échos divers et variés, des potins, des infos tous azimuts, des enquêtes mordantes, des unes percutantes, empêcher la poursuite de l’effondrement des ventes devenait possible, surtout si on « travaillait » sérieusement les faits divers et le tribunal – les gens adorent. Ainsi les journalistes pouvaient se persuader de l’essentiel : le lecteur est d’abord un client.
Le lecteur va être perdant
Après la disparition de François Régis Hutin, la mise sur pied d’un « plan de réorganisation » s’imposait. La direction cherche à diminuer les dépenses au moyen de « trucs » qui n’empêcheront pas la chute des ventes de se poursuivre, tout en souhaitant « renforcer la présence sur Internet » – malheureusement ce média ne rapporte pas beaucoup. Les journalistes grévistes affirment, eux, que « c’est le lecteur qui va être perdant avec une seule version des faits » – conséquence de la mutualisation des pages entre Ouest-France et ses satellites (Presse Océan, Le Courrier de l’ouest et le Maine libre). L’ambiance est détestable dans la maison au point que 200 journalistes ont manifesté devant le siège à Chantepie. « Mouvement historique », paraît-il. En utilisant une expression à la mode, ont pourrait dire que « c’est du lourd ». Malheureusement, pas une seule ligne, pas une seule photo dans le quotidien qui pratique ainsi une forme de censure et ne parait pas disposé à une transparence qu’attendent des lecteurs soucieux de savoir en quoi consiste le « plan de réorganisation ». L’information a des exigences que néglige la direction (David Guiraud, Louis Echelard, François-Xavier Lefranc).
Tout ce qu’elle consentira à expliquer se trouvera en page départementale : « À nos lecteurs. Un mouvement de grève touchant les rédactions de Ouest-France, à la suite de l’annonce d’un projet de réorganisation des rédactions, ne nous permet pas de proposer aujourd’hui les chroniques départementales et locales habituelles. » (Vendredi 14 septembre 2018). C’est bien peu pour une entreprise dont le métier consiste à informer ses clients… Le lecteur reste sur sa faim.
Bernard Morvan
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