Chaque année, Breizh-info publie les chiffres de l’OJD (Office de justification de la diffusion) concernant les quotidiens bretons. Ainsi nos lecteurs sont au courant de la chute régulière des ventes d’Ouest-France : 685 096 en 2017 contre 793 790 en 2007 en diffusion totale. Soit un recul de la vente quotidienne de 108 694 exemplaires en dix ans. Énorme. À coup sûr, on pourrait faire la même constatation avec les recettes fournies par la publicité, les petites annonces et les avis d’obsèques ; mais les annonces légales et judiciaires peuvent résister. Une connaissance précise du compte d’exploitation permettrait d’y voir clair. Malheureusement Ouest-France ne publie pas ses comptes, alors que la loi l’y oblige. À la vérité, seul Le Canard enchaîné publie ses comptes (bilan et comptes de résultats) – ceux de 2017 l’ont été le 5 septembre 2018.
Certes la direction d’Ouest-France s’empressera de mettre ce recul sur le compte de la télévision et d’Internet. Certes le vieillissement de la clientèle fragilise Ouest-France en ne permettant pas le renouvellement des générations. Pourtant, si le journal est malade, c’est d’abord parce que ceux qui le font – direction, rédaction en chef, journalistes – le sont. Incapables qu’ils sont d’adapter le contenu aux attentes des lecteurs d’aujourd’hui. Incapables qu’ils sont de concevoir un produit dynamique faisant une large place aux centres d’intérêt du public ; car le lecteur est friand d’enquêtes, de faits divers, de portraits… en plus de la « petite locale » qu’il ne faut négliger à aucun prix. Il veut du vivant, du vécu, de la proximité. Mais aussi un correspondant indépendant qui ne soit pas en même temps adjoint au maire – c’est-à-dire porte-parole de la municipalité au quotidien de Chantepie. Sans oublier que le lecteur de base se moque éperdument des états d’âme de Poutine et de Trump ; par conséquent inutile de perdre de l’encre et du papier avec les faits et gestes de ces messieurs – ça ne fait pas vendre.
Un produit faiblard, insipide et sans relief
Les gens de Ouest-France ont donc pour religion de fabriquer un produit faiblard, insipide et sans relief. Inutile de s’étonner ensuite que les clients potentiels n’achètent pas. D’où le plan présenté par la direction le jeudi 13 septembre. Il se traduira à terme par 56 suppressions d’emplois, sans licenciement sec, paraît-il.
Dans le Finistère, on veut diminuer les moyens rédactionnels – fermeture d’agences ? Fusion d’éditions ? Diminution de la pagination ? Réduction du nombre de journalistes ? En tous les cas, c’est une façon de reconnaître la suprématie du Télégramme dans ce département, un Télégramme qui colle davantage au terrain, un Télégramme plus proche des gens. Mais le plus curieux se trouve à l’international, avec l’ouverture annoncée d’un bureau à Bruxelles, ainsi que le renforcement du bureau parisien. Deux mesures qui ne feront pas vendre un exemplaire supplémentaire, car hors sujet pour la clientèle d’Ouest-France. Plus intéressant, on envisage de « développer l’investigation ». On a hâte de vérifier à quoi correspond l’investigation à la sauce Ouest-France, journal où l’on est respectueux des puissants… et des annonceurs.
Bien entendu, l’intersyndicale proteste. « Ce plan, qui piétine les engagements historiques d’Ouest-France de maintenir le pluralisme et la qualité de l’information, ne s’accompagne d’aucun projet éditorial et commercial sérieux, susceptible de redresser la diffusion. », dénonce-t-elle dans un communiqué, s’inquiétant d’une accélération de la « fuite des lecteurs ». Bien entendu, mutualiser les moyens et les contenus dans les Pays de la Loire entre Ouest-France, Presse Océan, Le Maine libre et le Courrier de l’ouest ne favorisera pas le pluralisme ; mais cela permet de réaliser des économies – ce qui est le but recherché par la direction du groupe.
La responsabilité des journalistes
On pourrait reprocher à l’intersyndicale son oubli de la responsabilité des journalistes dans son réquisitoire. Si les ventes s’effondrent, c’est bien parce que le contenu est jugé mauvais par les lecteurs. Or le contenu est l’affaire des journalistes (rédacteur en chef, chefs de rubrique, directeurs départementaux, responsables d’édition).
Il y a urgence à organiser des séminaires de « remise en forme » des journalistes. On pourrait leur apprendre, par exemple, qui sont les clients – lecteurs et ce qu’ils veulent : moins d’info nationale et internationale (radios et télés suffisent à leur bonheur) et davantage d’info locale – du près de chez eux.
Ce n’est pas la première fois que Ouest-France procède à des suppressions d’emploi. Ainsi, en 2008, 120 ouvriers, employés et cadres techniques de plus de 55 ans – sur 1600 salariés – avaient été invités à partir en retraite. Cette mesure entrait dans le cadre du plan de modernisation sociale de la presse quotidienne régionale (PQR), financé par l’État. « Le premier quotidien français est confronté à un tassement de ses recettes publicitaires, même s’il reste bénéficiaire » (le Monde, mercredi 3 septembre 2008). Déjà !
B. M.
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