Il y a quelques jours, la députée Valérie Gomez-Bassac (LREM) a déclaré être favorable à l’ouverture de maisons closes tout en dénonçant l’hypocrisie générale qui entoure la prostitution. Du côté de prostituées ou d’escorts que nous avons contactées, cette demande relève « de l’évidence », comme nous allons le voir plus loin.
Les maisons closes interdites depuis 1946
Pour rappel, les maisons closes sont interdites en France depuis 1946. Depuis, la répression visant d’abord les prostituées, puis désormais les clients n’a cessé de s’étendre. Pour la députée, ces mesures n’enlèvent rien « aux réseaux existants avec la violence qui s’exerce ».
Rappelons également que le 30 août dernier, Vanessa Campos, prostituée péruvienne, a été tuée par balles au bois de Boulogne. Et que nous n’avons pas les chiffres précis des innombrables agressions dont certaines sont victimes. « Depuis la dernière loi sur la pénalisation des clients, on doit se cacher, ils se sentent traqués et nous aussi » nous confie Ema, une ancienne prostituée de rue qui officiait depuis quelques années via des sites Internet.
Cette dernière, qui est encore en contact « avec des copines qui sont restées dans la rue, à Paris notamment », évoque « une peur de plus en plus importante ». En cause, des clients agressifs, car se sentant épiés, des demandes de plus en plus scabreuses (rapports non protégés, excentricités lugubres…). « On fait face à des demandes qui n’auraient pas été imaginables avant, parce que les clients savent qu’ils sont plus rares, et se permettent d’être plus exigeants », nous dit Ema.
« C’est le plus vieux métier du monde, rien ne pourra l’éradiquer »
Y compris sur Internet, cette dernière a vu son activité récemment baisser en flèche, en raison de poursuites judiciaires engagées contre certains sites comme Vivastreet (qui a fermé sa partie « Erotica » qui était destinée à la prostitution) ou de la fermeture « par anticipation » d’autres comme Wannonce.
« Ils ne pourront jamais interdire à des gens de payer pour avoir des rapports sexuels. Il n’y a jamais eu autant de misère sexuelle qu’aujourd’hui, et nous sommes là pour combler un vide, c’est comme ça, c’est le plus vieux métier du monde, rien ne pourra l’éradiquer ».
Les féministes contre la prostitution ?
S’il y’a bien un mouvement qui semble ne pas faire l’unanimité, notamment chez les indépendantes, c’est le mouvement du NID, qui aide pourtant les prostituées à sortir des réseaux de prostitution, mais qui milite contre la réouverture des maisons closes, et plus globalement contre la prostitution, qui serait « un système de domination de l’homme sur la femme ».
« On nage en plein délire là », nous dit Leïla, escort indépendante basée sur la région parisienne, tout en étant titulaire d’un diplôme de Lettres (et d’un job de complément). « Oui il faut combattre les réseaux de prostitution, et mettre en prison les trafiquants de femmes, mais ça n’a rien à voir avec la demande en matière de maisons closes ».
Pour elle, « oui, bien sûr qu’il faut rouvrir les maisons closes, et permettre un encadrement de la prostitution sur Internet ». Et comment faire alors, pour éviter les dérives mafieuses et l’exploitation des femmes ?
« Les maisons closes devraient être strictement encadrées par la loi, et les filles y travaillant déclarées, avec des papiers en règle, avec une convention collective, et donc des droits et une protection sociale ». En Allemagne, où l’on retrouve énormément de maisons closes à travers tout le pays, les personnels qui y travaillent sont protégés. Vraiment ? Certaines affaires récentes dans le pays d’Angela Merkel font tout de même état de prostitution « low cost » de travailleuses du sexe non déclarées, exploitées dans les maisons closes, par des filières d’immigration clandestines pas inquiétées.
« Ce n’est pas en interdisant la prostitution que vous mettrait la main sur les filières clandestines, mais bien en empêchant les flux d’immigration, en provenance de l’Est comme des pays du Sud. Regardez en Italie, dans certaines villes, ils ont laissé des Nigérians venir et prendre le contrôle total de villes désertes. Cette mafia dirige maintenant les réseaux sans que rien ne soit fait pour la contrecarrer » nous glisse un haut fonctionnaire.
Pour lui, « on en revient toujours à la même chose. Nous ne sommes pas capables de contrôler nos frontières, et de traiter les passeurs et les trafiquants comme des soldats d’une armée ennemie, donc pour compenser on pénalise l’intégralité de la population, on la prive d’une fonction vieille comme le monde qui a une utilité sociale, presque de salubrité publique, et ensuite, on tape à tout va sur le petit consommateur en lui disant qu’il se fait complice des réseaux qu’on ne parvient pas à démanteler. Il faut cesser cette hypocrisie bien française. »
Les maisons closes contre les violences et l’exploitation sexuelle ?
Du point de vue européen, la prostitution est légalisée et encadrée en Allemagne, Autriche, Grèce, Lettonie, Pays-Bas et Suisse. La profession de prostitué(e) est reconnue par la loi, donnant ainsi droit aux personnes qui l’exercent à une protection sociale. D’autres pays, 17 dans l’UE, légalisent la prostitution tout en la limitant (avec des dispositions législatives différentes selon les pays. En Espagne, le racolage est interdit (officiellement, car allez faire un tour du côté des Ramblas à Barcelone, vous n’y verrez pas beaucoup de policiers arrêter les proxénètes et leurs esclaves), mais les maisons closes sont autorisées.
Quatre pays font figure d’épouvantails de la prostitution : la Suède, la Norvège, l‘Irlande du Nord, mais également la France désormais, ces quatre pays pénalisant le client. Quatre autres pays (Croatie, Roumanie, Lituanie et Malte) interdisent tout simplement la prostitution, sans que dans les faits, cela ne soit réellement suivi.
Ema, l’escort que nous avons interrogée, en est certaine. Pour elle, « les maisons closes pourraient être un rempart contre les violences et l’exploitation sexuelle ». « Il faut juste contrôler, mettre les moyens financiers nécessaires, encadrer ». Pour elle, il y’a des risques à la pénalisation de plus en plus marquée de la prostitution : « Le risque, c’est clairement des dérives qu’on voit déjà aujourd’hui, où des jeunes femmes se prostituent sans vraiment le dire contre un loyer gratuit par exemple, parce qu’elles sont à la merci d’individus pervers et malsains. Le risque, ce sont les agressions sexuelles ou les pratiques à risque qui vont se multiplier ces prochaines années, du fait d’une montée de la frustration sexuelle et de l’interdit. »
Inscrite sur le forum Doctissimo consacré à l’exercice de son métier, cette dernière nous dit recevoir « toutes les semaines des emails, de jeunes femmes qui me demandent « comment on fait » pour devenir une escort ». « Personne ne pourra empêcher un homme ou une femme de monnayer son corps pour de l’argent, et d’autres de se servir de l’argent pour obtenir des faveurs sexuelles. Au moins, la prostitution est moins hypocrite d’un certain sens que certaines actualités sales, je pense au harcèlement sexuel, qu’on peut voir dans la haute société ».
« On va finir par devoir mettre des cagoules sur la tête pour pouvoir baiser en paix ! »
Dans tous les cas, en attendant la réouverture tout de même improbable des maisons closes en France, certains sites ont trouvé la parade, et sont désormais hébergés à l’étranger, tout en permettant à des prostituées ou à des escorts de proposer leurs services en France. C’est ce que fait Ema qui nous dit en rigolant : « On est presque dans la clandestinité maintenant. On va finir par devoir mettre des cagoules sur la tête pour pouvoir baiser en paix ! »
En France, l’achat d’actes sexuels est puni par une contravention allant jusqu’à 1 500 euros (jusqu’à 3 500 euros en cas de récidive) ou par un stage « citoyen » (et accessoirement, en conséquence, par un divorce possible ou un drame familial…). La verbalisation des prostituées pour racolage passif n’existe plus.
Sur le bilan de cette loi, Médiapart écrit : « Au niveau national, 2 791 clients de prostituées ont été verbalisés depuis avril 2016, nous indique le ministère de l’Intérieur. Soit 606 clients entre avril et décembre 2016 ; 1 454 en 2017 et 731 entre janvier et juillet 2018. Selon le Mouvement du nid, une dizaine de départements seulement appliquent cette pénalisation, qui suppose un flagrant délit. Et seuls quatre départements (Essonne, Seine-et-Marne, Nord, Paris) ont mis en place des stages de responsabilisation des clients. »
La conclusion ira à Leïla, interrogée plus haut : « Au final, ce sont les plus pauvres qui sont pénalisés. Les plus riches eux, peuvent se déplacer à la frontière, voyager, se payer du sexe là où ils veulent, et même parfois user de leur influence. Les plus pauvre eux, doivent se cacher au risque d’être pénalisés et criminalisés, ou bien se la mettre derrière l’oreille ».
Maison close et lutte des classes. Vous avez trois heures…
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine