« L’Espagne n’est pas le port le plus sûr parce que ce n’est pas le plus proche, selon les règles établies par le droit international ». Avec ce commentaire sentencieux, le gouvernement de Madrid a refusé au navire Aquarius, affrété par l’ONG SOS Méditerranée et chargé de clandestins récupérés au large des côtes libyennes, la possibilité de s’amarrer dans ses ports, après que Barcelone s’était offerte pour accueillir le bateau.
Ce refus suit celui de l’Italie : Matteo Salvini s’était fendu d’un commentaire acerbe sur Facebook : « Le navire de l’ONG Aquarius avec à bord 141 migrants : c’est une propriété allemande, loué par des ONG françaises, équipage étranger, en eaux maltaises faisant cap sur Gibraltar. Il peut aller où il veut mais pas en Italie ! Stop aux trafiquants d’êtres humains et à leurs complices. #portsfermés et #coeursouverts ».
Mais ce refus de l’Espagne arrive aussi peu de jour après le refus fait à Open Arms, une ONG espagnole, dont le bateau avait été contraint de faire marche arrière suite à un ordre de la capitainerie du port d’Algésiras. Le motif officiel était purement administratif, mais après le refus essuyé aussi par l’Aquarius, il semble que le gouvernement espagnol – malgré un discours de circonstance – change son fusil d’épaule.
Bloqué entre l’Italie et Malte – La Valette a pareillement refusé l’attache – où ira l’Aquarius ? « Le bateau est actuellement en eaux maltaises et fait cap vers Gibraltar. À cet endroit, le Royaume-Uni assume des responsabilités pour la sauvegarde des naufragés », a twitter le ministre des infrastructures, Danilo Toninelli.
La petite péninsule au sud de l’Espagne pourrait donc être le « port sûr » tant désiré ? Probablement pas ! Les autorités territoriales d’outre-mer du Royaume-Uni ont de fait intimer l’ordre à l’Aquarius de suspendre les opérations au motif que l’embarcation est enregistrée comme embarcation de recherche et non de sauvetage. « Étant donné que les dirigeants de l’Aquarius – expliquent-ils – n’ont pas informé ni demandé l’approbation de l’Administration maritime de Gibraltar pour la reprise de telles activités de sauvetage, ils ont reçu un avis avec une date de résolution fixée pour le 20 août 2018 ». Après cette date, le bateau ne sera plus inscrit au registre de Gibraltar et retournera à son pays d’origine, soit l’Allemagne !
[L’Aquarius a finalement débarqué à la Valette avec ses 141 passagers. Près de 114 autres avaient été récupérés par Malte auparavant. Ils sont répartis ainsi : 60 accueillis par l’Espagne et 60 par la France, « jusqu’à 50 » par l’Allemagne, 30 par le Portugal et 5 par le Luxembourg. Il a néanmoins mis le cap sur Marseille pour clarifier la situation quant à son pavillon de Gibraltar].
Cependant en Italie quelques maires hostiles à Salvini veulent accueillir les migrants dans leur port. « Pendant que, en ce moment, avec un selfie en costume sur un beau bateau de plaisance, le ministre de l’Intérieur montre ses muscles de tyran institutionnel, couvert par un gouvernement qui déverse un cynisme institutionnel sur la peau des plus faibles, peut-être sans précédent dans l’histoire républicaine – écrit De Magistris, le maire de Naples – […] 141 migrants, parmi lesquels beaucoup de femmes et d’enfants, errent depuis des jours au milieu de la mer parce que les ports italiens par décision du gouvernement sont encore fermés. Nous réaffirmons avec force notre disponibilité à les accueillir, cette semaine du 15 août, justement quand beaucoup de dirigeants sont en vacances. Nous sommes toujours prêts et seront en première ligne pour les accueillir à bras ouverts dans le port de Naples ».
Cependant Matteo Salvini a réagi lui aussi fermement à cette déclaration : « Le maire de Naples veut héberger (et maintenir) d’autres migrants en ville ? Qu’il paye, lui ! À Naples, il n’y a pas de citoyens en difficulté, sans maison et sans travail ? Ah oui ! Pour une certaine gauche, il est plus important de penser aux migrants plutôt qu’aux italiens… ».
Et cependant dans la semaine Salvini a dû céder et accueillir 20 migrants, tandis que sans son accord une barque de 170 migrants en eaux maltaises est acheminée vers l’Italie. Matteo Salvini avertit les italiens sur Facebook : « En ces dernières heures, j’ai été au contact de gens épatants, en Sicile, en Calabre et à Gêne. Mais l’Europe, elle ne change pas ! C’est mon devoir de vous avertir qu’une barque de 170 migrants, actuellement en eaux maltaises et en difficulté, […] arrive accompagnée vers les eaux italiennes par les autorités maltaises. Si c’est ça l’Europe, ce n’est pas mon Europe. L’Italie a déjà accueilli et dépensé suffisamment. Que ce soit clair pour tous, pour Bruxelles et les autres. Point ».
Traduction : Hélène Lechat
Sources : Il Primato Nazionale (13 août, 14 août, 16 août 2018) et Il Giornale (13 août 2018)
Crédit photos : Wikimedia Commons (CC/Andrea Albini)
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