Périodiquement, une grande conscience, secondée souvent par une petite ignorance, s’indigne de découvrir que quelques rues de Nantes portent le nom de personnages qui ont participé au commerce triangulaire — autrement dit, des négriers. C’est reparti pour un tour dans les colonnes de Ouest France : « Quand on se penche sur le passé de Christophe-Clair Danyel de Kervégan, qui prête son patronyme à la rue qui relie le square Daviais au Carré Feydeau, on peut pourtant s’étonner qu’une allée rende hommage à un acteur de la traite négrière ».
Quand on se penche vraiment sur le passé de Kervégan, on peut s’étonner de lire un jugement aussi mal inspiré. Kervégan a commencé sa vie professionnelle auprès de son père négociant. C’est en tant que « fils de » qu’un historien engagé comme Gaston Martin l’associe d’autorité à une possible activité de traite négrière. Personne ne semble avoir trouvé plus probant, et ce n’est pas faute d’avoir cherché. En tout état de cause, Kervégan a vite bifurqué vers une carrière au service de la collectivité, devenant à 27 ans administrateur des hôpitaux, puis juge consulaire quelques années plus tard.
Un temps échevin de la ville, il en devient maire en 1789. Il sera élu trois fois maire de Nantes – et même quatre, refusant néanmoins le poste en 1791 – mais aussi député et président du conseil général. Une vingtaine d’années après sa mort, l’humaniste socialiste Ange Guépin le classe sans réserve parmi les « hommes utiles à leur patrie ». Dans ses Notices sur les rues, ruelles, cours, impasses, quais, ponts, boulevards, places et promenades de la ville de Nantes (1906), Édouard Pied voit en lui un « magistrat sans reproche, ayant su conserver l’indépendance de sa modération au milieu des passions adverses qui le menaçaient et le provoquaient ».
Que Ouest France se rassure : c’est à ce titre, et non à celui de négrier, que la ville de Nantes a donné à l’une de ses rues le nom de Kervégan. Cet hommage date d’ailleurs de 1817, année de la mort de Kervégan. Une ordonnance royale venait de confirmer l’illégalité de la traite négrière décrétée par Napoléon en 1815. Le moment aurait été mal choisi pour honorer l’un de ses « acteurs » ! « Si la féminisation des noms de rue fait toujours polémique, retirer les noms de marchands d’esclaves serait sans doute un bon début », conclut confusément l’article (non signé) de Ouest France. Un début meilleur encore serait de ne pas sauter tout de suite à une conclusion hors sujet.
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