Les années se suivent et la fête du Pain a Saint-Omer de Blain demeure : avec plus de 300 bénévoles du village et des communes limitrophes, des milliers de pains faits dans les fours de Saint-Omer et des alentours – 2500 en tout, des battages faits à la façon ancienne, 650 kilos de sardines pour le soir… et ce pour la 25e année.
« J’y viens, je suis venu, j’y reviens », a expliqué le député Yves Daniel (PS puis LREM) qui a fait un court passage lors du vin d’honneur. « Je mesure toute l’importance que vous avez voulu donner aux animations. On sait combien est lourde la tâche » qui selon le député « construit le vivre-ensemble ». Le maire de Blain, Jean-Michel Buf, a laissé son adjoint à la culture, Jacky Flippot (Parti Breton) se charger du discours : « la fête du Pain a un quart de siècle, donc on est partis pour le siècle », a-t-il prédit.
Parmi les nouveautés cette année, un spectacle fait par la compagnie Paris-Bénarès (Puceul) avec deux vaches sacrées mécaniques manipulées par huit personnes, des cerfs-volants, et un concours de la plus belle lettre d’amour devenu « des mots pour le bien », car « le thème de la lettre d’amour en effrayait certains ». Sous le chapiteau, on pouvait aussi trouver des sculptures de l’audomarois Jo le Nouveau – qui redonne ainsi vie à de vieux outils – ou une exposition sur les monnaies de nécessité des années 1917-1918.
Du fait des températures, la buvette a été prise d’assaut, ainsi que les parkings – dans des champs aux alentours – surtout le matin. En milieu d’après-midi, une friteuse a pris feu, sans faire de blessé grave cependant. Écrasé par la chaleur, le vide-grenier connaissait cependant quelques vides dus à des annulations de dernière minute, qui n’ont pas découragé cependant des pickpockets très actifs le matin, ainsi que des voleurs.
« Je me suis fait embarquer mes montres par quelqu’un, pendant qu’une autre personne faisait diversion à l’autre bout du stand », confie un vendeur. D’autres se sont fait voler des colifichets, un encadrement de croix, un chandelier, des vases, des pièces… un inventaire à la Prévert. Les vendeurs du vide-grenier – parmi les plus importants de l’été en Loire-Atlantique – ont connu aussi des fortunes diverses.
Nombre de clients pointaient « des prix trop chers » ou le fait qu’il y ait trop de professionnels. Le but d’un vide-grenier est en effet de débarrasser, non de s’enrichir… même si le prix de l’emplacement à Saint-Omer est assez cher dès qu’on veut faire un stand un tant soit peu important.
En 25 ans l’esprit du village a changé
C’est qu’en un quart de siècle, l’esprit du village a changé sensiblement. La fête du Pain aussi, située d’abord sur un pré nu devant la minoterie, avant d’aller sur le site du Bois Niel, qui s’est enrichi au fil des ans d’une salle avec un vrai toit, d’annexes correctement équipées, d’un hangar pour stocker le matériel et surtout d’un four à pain en dur flanqué d’une boulangerie.
Au fil des années aussi, la fête du Pain a perdu de son caractère artisanal : plus de pains cuits pour répondre à une demande croissante, plus de bénévoles, plus d’affluence et plus de vente dans les hameaux auprès des fours. « Pour moi, on y a clairement perdu quelque chose. Acheter son pain auprès du four où il a été fait, c’était l’occasion de discuter avec les voisins et les anciens, de transmettre, de passer du temps ensemble », résume un voisin d’un des fours. « A l’époque, le comité des Fêtes a dit qu’il y avait des abus, certainement minimes. C’était surtout une volonté de centraliser, de mieux contrôler… mais vu le bazar que c’est pour acheter une ou deux boules, tout le monde y perd ».
Plus d’affluence, et aussi une clientèle différente. L’organisation du vide-grenier a sécurisé l’affluence de la fête, mais aussi amené d’autres problèmes. « Depuis deux à trois ans il y a un réel problème de fauche », relève un vendeur habitué du vide-grenier. « J’en fais quelques uns par an, soit pour moi, soit pour l’association dont je fais partie, quand tu es en ville, tu es habitué à faire attention aux voleurs, c’est triste de le dire, mais aussi loin à la campagne, normalement, tu devrais être tranquille. Et tu ne l’es pas ».
Depuis quelques années aussi, les organisateurs doivent faire appel à des vigiles, pour garder le site la nuit entre la fin de la fête et le début du démontage, mais surtout pour évacuer la trentaine de jeunes du village et des communes voisines qui s’alcoolise avant la fête et y vient pour « se finir ». Cette année encore, l’un d’eux, tout à fait imbibé d’alcool fort qu’il a descendu avant d’arriver à la buvette, a tenté de déclencher une bagarre et a brutalisé une femme qui tentait de le calmer avant d’être maîtrisé par deux vigiles.
Dans Saint-Omer même, la composition de la population change, ainsi que ses habitudes. Nombre des nouveaux habitants ne mettent les pieds que de loin en loin à la fête du Pain ou dans les commerces du village. « Je suis à Saint-Omer depuis dix ans », nous explique l’un d’eux, « je suis allé à la fête du Pain l’année dernière et il y a cinq ans, je vais voter de temps à autre, et balancer les déchets recyclables. L’épicerie, c’est trop cher, et le café, ça ne m’intéresse pas. La fête du Pain, c’est toujours la même chose et du pain cuit au four à l’ancienne, on peut en trouver sans avoir à faire toute cette queue ».
Reprise à la fin de l’hiver dernier, l’épicerie justement connaît une succession difficile. Au point d’être menacée ? « Entre ceux qui se sont tellement habitués à Pascale [qui la tenait depuis 18 ans tout de même], ceux qui regrettent que le nouveau [Pascal] ne soit pas en couple et ne soit pas du coin, ceux qui regrettent de ne plus pouvoir bavarder longuement comme avant et ceux qui trouvent que c’est trop cher, ça fait beaucoup d’insatisfaits », relève sans aménité, mais avec justesse, une habitante. Qui tient à dire qu’elle « y va quand [elle] peu[t]. Si l’épicerie ferme, ce sera tout le village qui sera pénalisé. Mais il faut reconnaître que beaucoup venaient pour bavarder avec Pascale, et prenaient quelque chose au passage ».
« L’épicerie ? J’y vais jamais. Le café ? J’ai du y passer une fois »
« L’épicerie ? J’y vais jamais. Le café ? J’ai du y passer une fois », répond cet autre Audomarois de fraîche date. En 25 ans, le nombre de constructions neuves a augmenté à Saint-Omer de Blain – où les terrains restent bien moins chers qu’à Blain, mais les nouveaux habitants ne profitent guère aux commerces du bourg. « Je travaille sur Nantes, je fais mes courses en rentrant du boulot », répond l’une. « Je vais à Blain. L’épicerie, c’est gentil, mais quand on a une famille, c’est intenable », relève un autre.
L’épicerie renvoie à une autre époque. Où un village était inenvisageable sans son café, son épicerie, son école – ici elle est privée, mais joue le rôle de la communale disparue – voire sa boulangerie pour les plus chanceux. La fête du Pain reste aussi figée dans un passé récent, mais probablement, hélas, révolu. « Saint-Omer devient de plus en plus un quartier de Blain, qui lui-même est une banlieue éloignée de Nantes », constate un habitant historique.
« Je connais des dizaines d’Audomarois, installés plus ou moins récemment – pour certains ça va faire plus de dix ans tout de même – qui ont du aller une fois seulement à la fête du Pain, qui ne mettent jamais les pieds dans les commerces du village », relève un autre habitant. « Tôt ou tard, il va bien falloir essayer de leur parler, de les intégrer, d’arrêter de faire comme si Saint-Omer était une île. Ou alors se taire à tout jamais lorsque l’épicerie fermera – parce que vu ce qu’il y a de gens qui y vont, la question ce n’est pas si, c’est quand, se taire lorsque les autres commerces seront menacés à leur tour et finiront par fermer. Si nous sommes une lointaine banlieue de Nantes, alors on n’a pas besoin de café, de resto ou de coiffeur. Les hypermarchés suffiront à tout ».
Louis-Benoît Greffe
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