Le géographe Yves Lacoste flirte avec les 90 ans. Celui qui a tout chamboulé dans cette discipline ronronnante nous livre un ultime essai qui a toutes les allures d’un testament : Aventures d’un géographe.
Jusqu’au bout, Lacoste a délivré ses leçons (au bon sens du terme) de géographie. En 2016, il a coécrit, avec Frédéric Encel, Géopolitique de la nation France. Cette fois, il parachève son parcours de baroudeur, de franc-tireur, désormais reconnu ou, en tout cas supporté, par les autorités académiques.
Il est né au Maroc, d’un père géologue attaché au protectorat. En épousant Camille Dujardin qui allait devenir une spécialiste reconnue du peuple kabyle, Lacoste entérinait ses attaches avec l’Afrique du Nord. Il fut d’abord un bon petit communiste du Quartier latin, à la cellule « Institut de géographie ». Il pleura, forcément, à la mort de Staline, en 1953. Il enseigna ensuite au Lycée Bugeaud d’Alger et rejoignit les partisans français de l’indépendance. De retour à Paris, il eut comme directeur de thèse, forcément, Pierre George (1909-2006). Forcément, car communiste. Une parfaite « crapule stalinienne » qui ânonna cinq fois de suite son inénarrable Que sais je ? sur l’économie de l’U.R.S.S., le corrigeant à chaque fois, de 1945 à 1989. George fut aussi, en 1945, la caution scientifique de l’expulsion des germanophones de la République tchèque, l’estimant bien méritée ! Un humaniste à la sauce kominformienne…
Lacoste quitta le P.C.F. à une date tardive. Son parti et surtout le K.G.B. lui confièrent des missions, toujours « scientifiques », en Algérie, au Vietnam du nord, à Cuba. Il finit par se lasser et sur ce parcours, Lacoste ne cache rien.
En fait, tout changea dans sa démarche quand il découvrit Ibn Khaldoun (1332-1406) et ses formidables Prolégomènes qui, après Hérodote, ouvraient une rupture épistémologique. Son approche associait toutes les disciplines et, bien entendu, rompait avec toute téléonomie divine, musulmane en particulier.
Puis Lacoste se mit à la géopolitique, discipline honnie en France car accusée d’avoir armé le pangermanisme. Il lut Friedrich Ratzel, Haushofer et en tira tout ce qui lui semblait bon. En 1976, il publia La Géographie, ça sert, d’abord à faire la guerre (réédition, La Découverte, 2009). Puis il fonda la revue Hérodote. C’en était trop pour les mandarins de la discipline. Surtout quand il se remit à réhabiliter l’œuvre d’Élisée Reclus (1830-1905), géographe libertaire et auteur d’une incroyable Géographie universelle en 19 volumes.
Ainsi Lacoste faisait-il renaître un grand auteur, non-conformiste, en marge de l’Université, comme le faisait, aux mêmes dates, l’ex-communiste François Furet à propos d’Augustin Cochin, analyste pertinent mais ignoré des origines sociétales de la Révolution française.
Lacoste dérivait. Dans les années 80, il eut même l’audace de rencontrer des tenants de la Nouvelle droite qui s’intéressaient à ses travaux. Car il était ainsi, tactile, curieux, prêt à s’enrichir de tout ce qu’il lui fallait pour cette nouvelle géographie. Elle finit par faire des petits et supplanter les tenants de Vidal de La Blache.
Ces derniers temps, les calomnies reprirent. Une direction de thèse du Général Tlass, un Syrien, lui valut d’être dénoncé comme antisémite. Puis, tout près, son retour à l’identité française en fit un compagnon de route du Front national… des fariboles. Le vieux Lacoste n’a pas sourcillé : « Les chiens aboient, la caravane passe ! »
Jean HEURTIN
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