Julian Alaphilippe (Quick-Step) a remporté une victoire exceptionnelle, mardi, à Bagnères-de-Luchon, au terme d’une étape mouvementée, dans laquelle ce dernier, qui s’impose pour la deuxième fois cette année sur le Tour de France, s’est comporté en véritable champion.
Transcendé visiblement par son maillot à pois, comme l’était un certain Richard Virenque en son temps, Alaphilippe a tout fait durant les deux premières heures de courses (plus de 100 bornes parcourues) pour se glisser parmi les échappés, et se tirer la bourre avec un Barguil qui avait les mêmes intentions. On notera une action de protestation d’agriculteurs, qui ont tenté de bloquer la route du tour et qui ont été violemment réprimés par les forces de l’ordre, ASO (la très riche société organisatrice du Tour) n’acceptant pas que les routes de France qu’elle privatise pour l’occasion soient le fait de revendications, y compris de gens qui meurent la gueule ouverte en travaillant toute la journée, comme c’est le cas d’une partie des agriculteurs.
Le résultat ? Du gaz lacrymogène dans l’air, et un peloton arrêté quelques instants. Puis reprise de la course.
Une fois que le groupe des favoris (qu’on devrait parfois surnommer le gruppetto, étant donné sa propension à laisser partir des échappées et à vendanger les étapes de montagne en arrivant loin derrière) avait décidé de laisser partir une quarantaine de coureurs, place à la bagarre.
Car des bons coureurs, il y’en avait à foison : Mollema, Gilbert, Yates, Caruso, Barguil, Latour, Izaguirre… on retrouvait dans cette échappée tous ceux qui ont animé le Tour de France cette année, et tous ceux qui, globalement, n’en sont pas à calculer pour sauver leur huitième place, un podium que personne ne retiendra, et à sucer éternellement la roue des Sky (ah, on nous fait signe dans l’oreillette que Romain Bardet et Quintana se sont sentis visés).
Pendant ce temps, dans la descente du Portet d’Aspet Gilbert était victime d’une lourde chute au moment même où Laurent Jalabert à la télévision prononçait le mot « Casartelli », ce qui ne l’empêchera pas de repartir, mais ce dernier, grand champion également, abandonnera à son arrivée à Bagnères-de-luchon.
Dans la dernière ascension du jour, le col du Portillon, Gesink fera un gros effort pour faire exploser le groupe de tête, et partira avec Caruso, avant d’être rejoint puis dépassé par Adam Yates. Ce n’est qu’après la moitié de l’ascension qu’Alaphilippe, qui naviguait dans un quatrième groupe derrière, à son rythme, entrera en piste et les remontera un par un, grâce à une giclette d’exception, puissante, qui devrait lui permettre, s’il travaille ce domaine dans les années à venir, de prétendre devenir un grand grimpeur, ou tout du moins un coureur capable de gagner, en plus des classiques, un grand tour.
Au sommet du Portillon, Yates ne possède plus que 15 secondes d’avance… et sent revenir derrière lui la flèche Alaphilippe. La pression aidant, dans la descente, Yates ira à la faute, et chute, laissant Alaphilippe filer vers sa deuxième victoire sur le Tour de France cette année, après celle remportée dans les Alpes. Superbe champion. Un grand moment du Tour de France s’est écrit, ce dernier ayant en plus renforcé son avance concernant le maillot à pois, sur un Warren Barguil méconnaissable.
Le coureur breton, héros du Tour de France 2017, a commis une énorme erreur pour sa carrière en quittant la Sunweb l’an dernier. Il est évident qu’entre chez Sunweb et chez Fortuneo, les exigences ne sont pas les mêmes, l’entraînement non plus, la médecine non plus. Et le rôle de Barguil, passé de coéquipier des Dumoulin ou Mathews, à leader d’une équipe de coureurs moins connus, a lui aussi changé. Pour ne pas gâcher sa carrière internationale, il ne semble pas avoir d’autre choix que d’espérer être recruté par une autre équipe hors de Bretagne et hors de France. Sinon il devra sans doute se cantonner à briller dans une division inférieure.
Pas loin de 9 minutes après Alaphilippe, le Grupetto composé de Thomas, Froome et leur équipe Sky, ainsi que Bardet, Quintana, and co, arrivait. Malgré trois ascensions, pas un des 10 premiers du classement général n’a bougé, une fois de plus (déjà deux étapes sur 4 de montagnes laissées aux échappées).
Aujourd’hui néanmoins, l’étape folle, la plus courte, de 65 km, avec départ des leaders en premiers, puis enchaînement de trois cols, Peyragues, Val-Louron, Portet, devrait permettre aux leaders de s’expliquer. Une étape idéale pour Chris Froome qui pourrait y reproduire ce qu’il a déjà fait cette saison sur le Giro, sur un profil similaire.
Après cela, il ne restera plus qu’une opportunité pour les grimpeurs, vendredi, avant le contre-la-montre de samedi, et l’arrivée sur les Champs dimanche.
Heureusement tout de même que des Alaphilippe, des Sagan, des Pauwels, des Gilbert animent chaque jour le Tour de France cette année, car de l’avis de nombreux observateurs, il est particulièrement ennuyeux concernant la lutte pour le maillot jaune. On en vient à s’intéresser plus à celle pour le maillot à pois, le maillot vert. Peut-être qu’il est vraiment temps de changer en profondeur certaines règles, et de proposer des nouveautés.
Suppression des oreillettes, des ordinateurs embarqués, bonus temps largement augmenté pour les vainqueurs d’étape en montagne (doublé, comme les points au sommet du dernier col ?), multiplication des étapes courtes.. Les idées sont nombreuses. Et pourquoi pas, comme au biathlon qui a su lui se renouveler, imaginer sur l’avant dernière étape avant les Champs, une poursuite, dans laquelle le maillot jaune partirait en premier, suivi, de son dauphin, etc. ? Cela donnerait, sur une étape de 60 bornes comme aujourd’hui, Thomas partant avec 1 min 39 s d’avance sur Froome, 1min50 sur Dumoulin, 2min38 sur Roglic… et les coureurs à plus d’une heure dispensés d’une telle étape pour les cadors…
Les idées ne manquent pas, ce qui est sûr, c’est que dans sa configuration actuelle, le Tour de France est en train de se faire dépasser en terme d’intérêt par le Giro (depuis deux ans) qui a su se recycler après une période noire.
Yann Vallerie
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