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« Exilés » : un terme militant que la presse hésite à utiliser

La vogue du mot « exilés » chez les militants de l’immigration découle de réflexions nées à la fin de l’été 2015. Le 31 août, Angela Merkel avait lancé son fameux « Wir schaffen das », mot d’ordre par lequel elle ouvrait l’Allemagne aux migrants. Quelques jours plus tard, le 5 septembre, un sondage Odoxa pour Le Parisien-Aujourd’hui révélait que 55 % des Français étaient opposés à cette politique. Pour la première fois, les citoyens affirmaient leur rupture avec le politiquement correct. Cette évolution n’a fait que s’affirmer : le mois dernier, lors de l’épisode de l’Aquarius, ce navire non autorisé à débarquer en Italie les migrants qu’il était allé chercher au large des côtes africaines, 67 % des Français sondés estimaient que la France ne devait pas l’accueillir non plus.

Quand une pratique, une profession, une institution ou une entreprise a mauvaise presse, ses communicants envisagent souvent de changer son nom dans l’espoir de repartir sur une image revalorisée. On se souvient des femmes de ménage devenues « techniciennes de surface »… Le problème est qu’une mauvaise image résulte souvent d’une réalité objective ; en ce cas, le nouveau vocable ne tarde pas à être « compromis » à son tour.

Depuis 2012, la guerre en Syrie avait offert une opportunité inespérée de mettre de côté le mot « immigrés », qui commençait à déclencher trop de réactions négatives, au profit du mot « réfugiés », qui appelait la pitié. Mais le mot était clairement inadapté puisqu’il désigne un statut défini par le droit international. De plus, si le mot « réfugiés » devenait synonyme de « immigrés », il risquait d’acquérir à son tour une tonalité négative. On avait donc pris l’habitude de distinguer « migrants » et « réfugiés », les deux mots supplantant nettement « immigrés ».

Réfugiés ou migrants : un moyen d’échapper au politiquement correct

Mais le remède s’est vite avéré pire que le mal : cette dualité lexicale offrait une échappatoire aux adversaires de l’immigration. « Oui, disaient-ils, il faut accueillir les réfugiés protégés par le droit international, mais non, il ne faut pas accueillir tous les migrants. » C’était une porte ouverte sur la sortie du politiquement correct. Les partisans de l’immigration ont alors tenté de réunifier les deux concepts sous un seul mot à connotation favorable, peu utilisé jusque-là : « exilés ». Par tradition séculaire, les milieux religieux savent spécialement bien utiliser le vocabulaire ; des organisations comme la Cimade ou le Secours catholique ont donc été en pointe dans la nouvelle tentative de replâtrage du vocabulaire.

Les militants ordinaires n’ont pas tardé à leur emboîter le pas. On a remarqué par exemple l’insistance mise par Yann Moix à utiliser le mot « exilés » à la télévision et dans la presse – probablement d’une manière contre-productive vu la violence de ses propos. « Monsieur le président de la République, chaque jour, vous humiliez la France en humiliant les exilés », écrivait-il par exemple à la première ligne d’une tribune dans Libération. En Loire-Atlantique, Migrants44 se présente désormais sur Facebook sous le titre « Les luttes des exilé-e-s à Nantes ». Un collectif morbihannais appelle à « héberger les exilés ». Diverses associations de Brest, Lannion, Nantes, Quimper, Redon, etc., prévoient de manifester cet automne en s’inquiétant de « la condition des étrangers en général et des exilés en particulier ».

La presse consciente du décrochage de l’opinion publique ?

Cependant, si le mot « exilés » appartient clairement à la Novlangue, la presse mainstream, y compris celle la plus nettement classée à gauche, semble hésiter à l’adopter. Plus souvent, elle juxtapose les mots « migrants, réfugiés, exilés », peut-être dans l’idée que chaque lecteur y choisira celui qui lui convient. Ou bien, elle mixe les mots dans un même article.

Par contraste, la mise en valeur du mot « exilés » seul apparaît de facto comme un marqueur militant. On le trouve employé par exemple par Agnès Clermont ou Flora Chauveau chez Ouest-France, ou par Éliane Faucon-Dumont dans Le Télégramme, et assez fréquemment dans la titraille du quotidien brestois. Publié en ligne le 13 juillet, un article de Pauline Josse dans Presse Océan emploie systématiquement le mot « exilés ». Le lendemain, dans la version papier du quotidien, le mot ne figure plus qu’une fois : il a été remplacé par « réfugiés » (trois fois) et « migrants » (une fois). Il est très probable que le rédacteur en chef de Presse Océan a préféré gommer la terminologie militante de sa collaboratrice.

Et il a eu raison. Google Tendance des recherches révèle que le mot « exilés » est rejeté par l’opinion publique (voir graphique ci-dessous). Sur les douze derniers mois, il a toujours été bien moins présent dans les recherches des internautes que les mots « migrants », « réfugiés » ou « immigrés ». Au moment de la crise de l’Aquarius en juin, « migrants » a été cent fois plus utilisé que « exilés » (1) ! La démarche propagandiste de substitution d’un terme à un autre est donc un échec total, qui pourrait révéler une résilience nouvelle de l’opinion publique en France.

(1) Et la région qui utilise le plus le mot « exilés » est, de loin, la Corse, où il ne désigne pas les migrants mais les insulaires résidant sur le continent.

E.F.

Crédit photo : Breizh-info, campement de migrants à Nantes, square J.-B. Daviais
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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