À l’instar des énergies solaire et éolienne, l’algoculture a suscité ces dernières années des espérances et des appétits parfois déraisonnables. Les mésaventures du Centre d’études et de valorisation des algues (CEVA) de Pleubian sont une triste illustration des illusions nourries par certaines collectivités locales.
La chambre régionale des comptes de Bretagne vient de publier un rapport d’observations définitives sur cette société d’économie mixte qui appartient principalement au département des Côtes d’Armor (47,8%), à la région Bretagne (26,8%) et à la communauté Lannion Trégor (10%). Le CEVA a été créé sous sa forme actuelle en 1986 dans une intention louable : étudier le développement des algues et leurs applications économiques et industrielles. Il devait entre autres étudier la prolifération des ulves – autrement dit les « marées vertes ».
L’intérêt de la Bretagne pour l’algoculture ne se limite plus aux traditionnels brûleurs de goémon. Une quarantaine d’entreprises bretonnes utilisent des algues dans des applications industrielles, agricoles ou alimentaires. Ces activités semblent prometteuses et l’algologie a donc bénéficié de subventions importantes.
L’avenir semblait radieux pour le CEVA. En 2008, pourtant, la chambre régionale des comptes tirait (déjà) le signal d’alarme : alors que les subventions européennes étaient gelées à la suite d’un grave contentieux(1), le chiffre d’affaires réalisé avec des entreprises diminuait. Cet effet de cisaille n’annonçait rien de bon.
Dix ans de dérapage
Depuis lors, le CESA s’est avéré incapable de redresser sa situation. La chambre régionale des comptes révèle une gestion très défaillante : évolution défavorable des coûts réels horaires, tarifs facturés de moins en moins cohérents avec les coûts réels, mauvaise maîtrise des coûts de certains projets, politique commerciale inadaptée face à une concurrence accrue, gouvernance inadaptée aux enjeux… Dès 2007, les capitaux propres sont devenus inférieurs à la moitié de son capital social. Dans un tel cas, la loi impose des mesures de régularisation rapide. Le CESA s’en est dispensé pendant dix ans, risquant ainsi une liquidation judiciaire à tout moment.
Pendant que l’entreprise partait à la dérive, les collectivités locales, siégeant pourtant à son conseil d’administration et informées par le directeur général adjoint, n’ont rien fait pour redresser la situation. Pour que les choses bougent, il a fallu que, début 2016, le commissaire aux comptes du CESA informe le tribunal de commerce de la situation et que la banque coupe le robinet financier.
Un plan de sauvegarde grâce à l’argent public
Jean-Yves de Chaisemartin, président de la société, s’est alors résolu à déposer une demande de procédure de sauvegarde devant le tribunal de commerce de Saint-Brieuc. Ce dernier a validé en juillet 2017 le plan de sauvegarde présenté par l’administrateur judiciaire de l’entreprise : tout espoir n’est donc pas perdu. Mais ce plan a obligé les collectivités locales à remettre au pot 550 000 euros en capital et en comptes courant. Il suppose aussi que le chiffre d’affaires augmente de 24% sur la période 2016-2019.
La chambre régionale des comptes ne cache pas un certain scepticisme sur la réalisation du plan. Outre son coût propre (au moins 100 000 euros, en particulier pour la rémunération de l’administrateur judiciaire), il interdit au CEVA de bénéficier de subventions de l’Agence nationale de la recherche (ANR). La dégradation de l’image de l’entreprise et de son climat social pourrait aussi lui valoir le retrait d’un label et, plus grave, le départ de ses meilleurs éléments. En contrepartie, la Chambre distingue quelques raisons d’espérer, la première étant le soutien réaffirmé des collectivités locales. À la lumière de l’expérience, ce n’est pas forcément très rassurant.
(1) Sur dénonciation d’un « lanceur d’alerte » interne, le CEVA a été accusé en 2007 d’avoir détourné des fonds publics européens. Il en est résulté dix ans de procédure judiciaire. En 2017, le CEVA a été reconnu non coupable, mais son ancien directeur a été condamné à un an de prison avec sursis et 20 000 euros d’amende pour mauvaise gestion. Licencié, ce dernier a traîné le CEVA devant les prud’hommes… qui lui ont accordé près de 200 000 euros d’indemnités.
Crédit photo : Plage de Pors-ar-vag, algues vertes et bruyère, photo Frédérique Voisin-Demery, [cc] Attribution 2.0 Generic, via Flickr
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