Malgré le crachin qui arrose le petit port finistérien, Françoise* nous accueille les yeux pleins d’images de Damas et d’Alep : elle est rentrée récemment de Syrie. Habituée des missions humanitaires pour une ONG, elle a voyagé cette fois en observatrice.
Breizh-info : Après sept ans de guerre, avez-vous l’impression que la Syrie se dirige vers la paix ?
Françoise : Par rapport à ma visite précédente, à la même époque l’an dernier, l’amélioration de la situation est évidente. Avec un petit groupe de visiteurs francophones, j’ai visité sans problème Damas, Alep, Hama, Tartous. Dans cette partie de la Syrie, la plus peuplée, les gens parviennent à s’entendre au moins sur un point : ils sont tous contre Daesh. Sunnites, chiites et même chrétiens voisinent sans incident. Tout le monde semble désireux de faire passer le même message : nous sommes un peuple courageux qui lutte pour son pays, levez l’embargo et nous nous sortirons d’affaire tout seuls.
Breizh-info : Les dommages de la guerre sont-ils visibles ?
Françoise : Damas ne donne pas l’impression d’un pays en guerre, les hôtels sont ouverts, il y a des gens dans les restaurants, les marchés sont bien achalandés. Mais on voit des destructions et des portraits de martyrs. À Alep, les gens boivent tranquillement leur café en terrasse dans la partie ouest de la ville. À l’Est, en revanche, les souks sont vides, pillés et déserts, sauf exception. Les bombardements ont fait des dégâts énormes. Même là, cependant, des travaux de reconstruction ont commencé. L’eau et l’électricité sont rétablies quelques heures par jour. Il y a beaucoup de camions sur la route entre Damas et Alep, la circulation est plus dense que l’an dernier. Des industries ont même repris leur activité, nous avons visité une usine de recyclage de papier et une filature. Et j’ai pu faire provision de l’indispensable savon d’Alep !
Breizh-info : Comment les Français sont-ils considérés ?
Françoise : Dans la partie chiite du souk de Damas, je m’adresse à un vieux marchand de tapis. Il me regarde intensément et répond : « Française ? » Puis, pointant vers moi un doigt accusateur, il gronde : « Macron ! », comme une insulte, et notre échange s’arrête là. D’un jour à l’autre, les bombardements français du printemps ont achevé de ruiner l’image de la France… qui n’était déjà pas très bonne l’an dernier. Quand nous avons cherché à visiter Palmyre, nous avons été bloqués à un poste de contrôle à 20 km de la ville par un petit chef qui en avait contre les Français.
Breizh-info : Avez-vous pu vous déplacer librement et en toute sécurité ?
Françoise : Nous n’avons pas obtenu l’autorisation de visiter la Ghouta ni les régions du Nord-Est, toujours dangereuses. Nos voitures étaient accompagnées d’un pick-up équipé d’une petite mitraillette que son servant appelait affectueusement sa douchka (« douce amie » en russe). Il n’a jamais eu à s’en servir. Un véhicule de sécurité banalisé surveillait la route …et peut-être aussi nos propres faits et gestes ! Malgré tout, nous avons pu rencontrer des interlocuteurs assez divers, y compris des membres des nombreuses milices locales de défense, des associations d’entraide et des communautés chrétiennes.
* Prénom modifié
Recueilli par E.F.
Illustration : DR. Alep en 2018 : les destructions sont encore bien visibles mais la reconstruction a commencé.
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine