Sous la pression conjointe d’une hausse de la demande et d’une baisse de sa production, le vin rosé serait menacé de pénurie ?
Un bel oxymore journalistique lancé par le quotidien économique Les Échos qui aura au moins le mérite de renvoyer le rosé à ses tristes origines. Enfant de la surproduction, ce vin au style bâtard a longtemps été considéré dans maintes régions comme un sous-produit du haut rendement. En Bourgogne, dans le Beaujolais, le Sud-Ouest, le Languedoc, l’habitude de saigner* les cuves afin de redonner une semblant de coloration à des vendanges diluées par le volume, n’a jamais plaidé pour sa réhabilitation. Même en Provence, ou le rosé est traité comme un style à part entière, il s’accommode de très généreux rendements sans faillir aux attentes des consommateurs en recherche d’une boisson désaltérante, plutôt que d’un vin pourvu d’une réelle individualité aromatique.
Au risque de choquer par un ton hautain et rageusement élitiste, osons dire que l’annonce d’un manque de rosé pour la saison estivale n’épouvantera qu’une consommation plébéienne tolérante à l’indigence et sensible à la seule modicité du tarif. La triste contrepartie au triomphe du rosé de masse se perçoit dans l’effacement des grands vins rosés d’histoire et de tradition auxquels nous avions consacré un article.
En ce contexte tragicomique de disette vineuse, relayé sans recul et analyse par la presse généraliste, il y a lieu de revenir sur la naissance d’un des poids-lourds du rosé populo et festif. L’histoire de ce succès se révèle très édifiante pour relativiser la frustration des bois-sans-soif des barbecues.
Rosé Piscine : « absolument avec des glaçons »
Le slogan sans fard a au moins le mérite d’assumer le caractère hérétique et iconoclaste d’un vin de laboratoire conçu pour une consommation populaire, résolument « décomplexée ». Le rosé piscine s’inscrit dans la mode du « ice » qui vise à pouvoir boire son champagne, blancs et rosés d’apéritif avec un cube de glace et l’agrément d’une sucrosité résiduelle .Tous les industriels du vin : de Gallo ( Californie) au groupe Freixenet (cava) en passant par Moet et chandon, se sont engouffrés avec ferveur dans ce nouveau segment en plein développement . Le discours fallacieux du marketing légitime cette approche grand public, sur l’air de l’apprentissage du vin en direction des jeunes et des non-initiés par des produits accessibles en goût véhiculant une image à forte connotation festive. Au bout de cet évangélisme par le sucre et la glace, le grand argumentaire consiste à parier sur le cheminement probable de cette nouvelle clientèle vers de véritables vins de terroirs.
Rien à faire !! Le rajeunissement ne saurait se confondre avec l’abêtissement .La passion du vin ne naît pas sur le chemin de la médiocrité et l’illumination découle seulement d’une rencontre avec l’excellence.
L’histoire du rosé Piscine prend sa source dans les habitudes soulographiques de la Côte d’Azur, ou passé 1 heure du matin, l’usage de diluer son rosé dans la glace n’a plus rien de choquant … Un œnologue, Olivier Cabriol, observe avec un vif intérêt la pratique mondaine et tel un Victor Frankenstein, décide de mettre au point dans les laboratoires de Vinovalie un rosé capable de supporter le choc des glaçons .
En clair, son géniteur défend la complexité d’élaboration d’un rosé pleinement aromatique qui absorbe la dilution en gardant sa personnalité vineuse et refuse en conséquence tout amalgame avec les rosés aromatisés au pamplemousse et autres arômes « naturels ». .Une posture typique des entreprises engagées sur un business model de masse, qui non contentes de tenir la promesse des volumes et de la rentabilité, rechercheront toujours une caution à la qualité de leur travail.
Vinovalie, le leviathan de la coopération vitivinicole
Derrière le rosé Piscine, le groupe Vinovalie, fruit de la réunion de 4 grosses coopératives du Sud- Ouest centrée autour du pays toulousain ; un champion de la vinasse tricolore dont le romantisme des installations de vinification n’a rien à envier aux raffineries à vins des pays dits du « Nouveau- Monde ».
Pour répondre à sa croissance, le groupe vient d’investir dans un énorme complexe œnotouristique couplé à une usine d’embouteillage dernier cri. Et pour cause, pas moins de 20 millions d’hectolitres se déversent dans les cuves de ce mastodonte coopératif .Le groupe a sauvé d’une certaine façon la filière vitivinicole en développant une stratégie commerciale à l’américaine, fondée sur les vins de marque. Dans son portfolio : des rouges de marque Terreo et Tarani (à ne pas confondre avec le tarami argentin ) de style léger au fruité banal et complaisant, bien calibrés pour le marché , vendus à moins de 3€ … Quand le groupe lance une cuvée, le pari est généralement à la mesure des ambitions volumétriques d’un groupe tenant lieu de réceptacle pour l’immense production dévouée à l’IGP Comté Tolosan . Le Rosé piscine s’écoule à plus 1.5 millions d’exemplaires, de quoi remplir plusieurs piscines olympiques…
Vive la loi Evin !
Même si son dessein originel était sans doute inspiré par la censure hygiéniste, la loi Evin n’a rien d’une loi scélérate, au contraire, elle se révèle au fond bien utile pour préserver le vin de la pollution du marketing publicitaire. Antonin Iommi-Amunategui a été le premier à percevoir son rôle de rempart face aux velléités d’investissement des grands groupes industriels dans la publicité du vin. Seuls les vins créés par le marketing et les laboratoires d’œnologie ont besoin d’avoir recours à la publicité pour s’écouler à des millions d’exemplaires. À l’inverse, les vins qui sont nés d’un terroir n’ont jamais eu besoin de s’abaisser à la moindre promotion publicitaire pour trouver leurs clientèles d’amateurs.
L’inflation tarifaire des rosés prépare sans doute le marché à une crise salutaire. Elle reflète toutes les contradictions et la fragilité d’une démocratisation excessive du vin qui menace à terme son statut culturel comme symbole de l’art de vivre.
Aujourd’hui ce qui éloigne le consommateur du monde des grands vins de terroir n’est en rien lié à leur coût au demeurant très accessible, mais résulte principalement de l’incapacité notoire pour ce dernier à concevoir et accepter leur véritable valeur.
Raphno
* Saignée : Opération qui stoppe la macération du jus et des peaux par le soutirage du jus de la cuve
Crédit photos : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine