14,5 mois à peine à Rennes et 16,6 mois à Brest : c’est le délai médian qu’il faut pour qu’un patient en attente de transplantation rénale reçoive un greffon. Un temps d’attente bien éloigné de ceux de Grenoble (37,8 mois) ou pire, de certains centres à Paris (jusqu’à 66 mois). Déjà pointée il y a cinq ans, cette inégalité d’accès à la greffe rénale est loin d’être résorbée. La Bretagne a plutôt de la chance dans ce domaine.
Une répartition des greffons qui ne respecte pas les principes inscrits dans la loi
Selon la loi française, les règles de répartition des greffons doivent assurer l’équité parmi les patients. Mais, dans les faits, la situation est tout autre. Ces règles contribuent au maintien des iniquités, en permettant notamment à l’établissement où est réalisé le prélèvement de conserver un des deux reins pour le greffer localement. Ainsi, un seul des deux reins prélevés sur chaque donneur décédé mis en commun au niveau national entre l’ensemble des patients en attente (ils étaient 17 700 en 2016). Le second rein est « sanctuarisé » et sa répartition ne se fait qu’entre les quelques centaines de patients inscrits dans l’établissement.
Ce système dit du « rein local » date de l’époque de France Transplant, dans les années 80, et vise à garantir l’activité des équipes de greffe, indépendamment des besoins des patients. Il déroge ainsi à toutes les attributions prioritaires, y compris aux priorités nationales. Le Professeur Lionel Rostaing, transplanteur au CHU de Grenoble, dénonce ce système : « C’est un système inéquitable car les taux de prélèvements ne dépendent pas que des équipes, il y a aussi des facteurs épidémiologiques, démographiques ou géographiques qui entrent en compte. Par exemple, à Paris, la population est plus jeune : il y a donc moins d’accidents vasculaires cérébraux. De même, on y meurt moins d’accidents de la route. De fait, il y a moins de morts encéphaliques et donc moins de reins disponibles pour de nombreuses équipes. »
À l’heure actuelle, 46 % des reins prélevés en France sont attribués localement.
Le résultat : des délais d’accès à la greffe très différents selon les centres. Près de 25 ans après la loi de bioéthique de 1994, qui affirmait que « les règles de répartition et d’attribution de ces greffons doivent respecter les principes d’équité, l’éthique médicale et viser l’amélioration de la qualité des soins », l’équité d’accès à la greffe rénale n’est toujours pas assurée.
En Bretagne, les délais d’attente sont courts
En Bretagne, les délais médians avant une transplantation diffèrent à peine d’un centre à l’autre. Ainsi, au plan statistique, un patient inscrit à Brest devra attendre 2,1 mois de plus que s’il avait été inscrit à Rennes. En 2013 et 2016, ces délais médians se sont allongés de manière inégale : + 4,5 mois à Rennes, + 7,9 mois à Nice, bien loin des + 18,2 mois à Suresnes.
À l’échelle nationale, les centres de Rennes et Brest font partie des 5 dont les durées médianes d’attente sont inférieures à 18 mois. Rennes se classe même en deuxième position du hit-parade des centres de greffe les plus rapides de France. Avec de tels délais, les centres de Bretagne semblent donc profiter donc du système du rein local.
Au niveau national, des écarts encore plus marqués
En 2016, les durées d’attente varient selon les hôpitaux français de moins de 18 mois à plus de cinq ans :
– 5 équipes ont des durées d’attente inférieures à 1 an et demi. Ce sont celles de Caen, Rennes, Marseille, Poitiers et Brest.
– À l’inverse, 4 équipes ont des durées d’attente supérieures à 4 ans : Créteil, Saint Louis, Foch et Tenon (pour Foch et Tenon, les durées d’attente excèdent même 5 ans).
41,8 mois séparaient en 2013 la région la plus rapide de la plus lente. En 2016, l’écart est désormais de 52,9 mois.
Les conséquences de cet état de fait pénalisent durement les patients
Pour les patients des équipes à longs délais, c’est la triple peine. Non seulement ils subissent un temps d’attente plus long3 , à l’origine de pertes de chances médicales, mais ils se voient souvent attribuer des greffons de moins bonne qualité4, préalablement refusés par les centres soumis à une moindre pénurie, d’où davantage de complications et une survie du greffon diminuée. Enfin, en cas d’échec précoce de cette greffe, une deuxième greffe est souvent plus difficile, nécessitant une plus longue attente.
Choisir son centre de greffe en fonction des durées d’attente ?
Face à une telle situation, le choix le plus rationnel pour le patient est de demander à être inscrit sur la liste d’un centre plus éloigné de son domicile mais moins engorgé. Or, pour exercer ce droit au choix de l’équipe de greffe, un malade doit d’abord être bien informé (ce n’est pas le cas de tous : ce sont les milieux socialement et culturellement privilégiés qui sont les plus au courant), mais aussi pouvoir financer lui-même les surcoûts correspondants, en particulier les frais de transport, que l’assurance maladie refuse souvent de prendre en charge. « La situation est ainsi celle d’une médecine à plusieurs vitesses qui crée des discriminations en avantageant certaines régions et certains milieux sociaux », indique Magali Leo de l’association Renaloo, la communauté web francophone de patients et de proches dédiée à l’insuffisance rénale, la greffe et la dialyse.
Afin de faire évoluer cette situation Renaloo a formulé dans le cadre des Etats Généraux de la bioéthique une série de propositions, notamment celle de préciser dans la loi que le principe d’équité pour l’attribution des greffons doit s’inscrire au niveau national. L’association a saisi le Défenseur des Droits et alerté la Ministre des Solidarités et de la Santé ainsi que le Comité consultatif national d’éthique sur le sujet.
Eu égard des difficultés en Bretagne concernant l’accès à certaines spécialités médicales, on ne va tout de même pas se plaindre d’être une des régions possédant la réponse la plus rapide aux besoins de greffes rénales …
Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine