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Vin. Revue Gallia : La disparition du n°58

Nous y revoilà… Les défenseurs des « Gaulois à la sauce Alésia » ont encore frappé. Ce 24 avril 2018 (c’est déjà ancien), j’ai regardé l’émission télé sur nos « ancêtres » rabâchés jusqu’à plus soif par la presse spécialisée. Selon ces gredins inconscients, le vin ne serait apparu en « France » qu’avec les puants légionnaires de Jules César agitant leur crocodile au vexillum. Il y a là de quoi faire faire des cauchemars à de jeunes esprits comme ce serait le cas chez mon ami et néanmoins confrère Raphno.

Ayant l’âge d’être son grand-père, souffrez que je vous fasse part de cette partie de mes études qui est bien oubliée aujourd’hui. Jusqu’à une date récente, par fainéantise et admiration,  j’en étais resté à Roger Dion, éminent géographe, auteur d’un ouvrage fondamental qui n’a été remis en cause qu’à la fin du XXe siècle ou au tout début des années 2000, et encore avec précaution. Il y avait aussi Raymond Dumay, noble auteur bourguignon qui s’éteignit l’année d’avant le nouveau siècle après avoir parcouru les vignobles de France sur sa motocyclette Terrot (son « Pégazou ») et rapporté une oeuvre considérable. Il annonçait aussi « la mort du vin », en un troublant écrit prémonitoire. Tout ce travail oenologique ancien aurait pu disparaître des radars de la connaissance avec la parution du numéro 58 de la revue d’archéologie « Gallia », désormais impossible à trouver car « indisponible ». Ce ne fut pas le cas… On était en 2001, au siècle-prenant. Une poignée de chercheurs (du CNRS en majorité) s’en allèrent chercher des poux à ce story telling poussiéreux qui fixait, depuis Napoléon III, Alésia à Alise en Côte d’Or. Et faisait du vin « gaulois » une invention romaine !

En l’état des lieux, l’histoire qu’on nous racontait était banalement liée à l’universitaire sottise des pédicâtres assermentés. C’était oublié 1866, quand le temps pressait et que le monument à Vercingétorix (une statue d’Aimé Millet), sis  sur la colline proche des voies du « ch’min d’fer« , méritait d’être inauguré. Le train allait alors jusqu’à Dijon. Mieux valait changer de territoire la tribu des Séquanes et en faire des Éduens, donc placer Alésia chez ces derniers (en contradiction même avec les écrits de Jules Caesar), que reculer l’inauguration des chrysanthèmes. Le tripatouillage fonctionna surtout avec les benêts Bituriges Vivisques tout glorieux d’avoir fait leur première fortune dans le poisson pourri – le garum. La république troisième, obnubilée par la monarchie et la laïcité, n’y regarda pas de plus près, tout en sachant que le diable niche dans les détails. Une tête de mule sorbonnicole alla même renier son savoir sous les étendards de la dénégation. L’histoire idiosyncrasique que tout petit enfant de France devait apprendre était fixée pour l’éternité, disait-il.

Nous ne sommes pas là pour rebattre les cartes et placer, comme il se doit, Alésia en Franche-Comté, près de Lons, qui est le territoire exact – même au temps de Jules – de la tribu des Séquanes (la Saône et son affluent le Doubs y coulent, oeuf corse). On est vraiment à l’est de Bibracte. Et Jules passa sur la rive gauche de la Saône. Le travail de remise en cause du site exact d’Alésia a été traité récemment par deux universitaires : Franck Ferrand et Danielle Porte. Point final. Ils ont relu attentivement la prose de Jules (en latin) et se rient de l’arrogance des défenseurs de la thèse « officielle », qui étrangement perdure.

Le numéro 58 de la revue « Gallia » n’entre pas dans ce débat. Mais elle en fiche un coup à l’affirmation suivante qui continue d’avoir cours : « les Romains introduisirent le vin en Gaule ». Les Romains, disait mon grand-père, un Wisigoth qui parlait cru, n’ont apporté que la « chaude-pisse » en Gaule. Ce qui nous fait remonter au dernier tiers du XIXe siècle, quand il n’y avait que le mercure pour soigner les blennorragies. La vigne était proche de la destruction avec l’apparition américaine d’un insecte furieux, le phylloxéra.

Du temps passa… Le vignoble français se remit peu à peu de la dévastation grâce, quel oxymoron ! aux plants « américains » sur lesquels « on » greffa les cépages anciens renouvelés. On pourrait gloser à l’infini sur la perversion des ancêtres de Trump qui pratiquèrent alors une économie de circonstance et raflèrent des millions. Un siècle, et le numéro 58 de la revue « Gallia » parut.

Content (comme on dit à Harvard) : présentation générale par Jean-Pierre Brun et Fanette Laubenheimer (deux éminents patrons) ; les débuts de la viticulture en France avec les apports de l’archéobotanique, par Laurent Bouby et Philippe Marinval – ces deux auteurs étudient les pépins de raisin (leur forme et leur longueur, variables selon l’espèce) pour déterminer ce qui était cultivé ! ; la viticulture en Gaule à l’Age du Fer, par Michel Py et Ramon Buxo Capdevila ; archéologie des vignobles antiques du sud de la Gaule, par Philippe Boissinot… et cinq solides articles sur la viticulture en Provence, en Languedoc-Roussillon, dans le Tricastin, en Aquitaine et en Rhénanie. Avant de terminer par un article sur le tonneau en Gaule par Elise Marlière.

Qu’y apprend-on ? Que la vigne était cultivée dès les VIe siècle avant notre ère dans la Gaule méridionale (encore ne faudrait-il pas appeler Gaule ce qui n’était habité que par des manants élysiques ou ligures ou autres arvernes et allobroges). J’appelle « méridionale » une région qui ne dépasse pas la Loire et la Rhénanie au nord. Ce qui est au-delà est trop « mouillé » pour être susceptiblement favorable à la culture de Vitis vinifera. Encore que… Où étaient Rome et Jules Caesar en ce temps-là ? Dans le néant du futur. Mais déjà, de petits paysans qui se fichaient de l’écriture, savaient quoi faire avec le jus de raisin. Ils avaient pour modèles les vins que leur vendaient, pour les jours de fête, des marchands grecs ou levantins. Et la course à l’échalotte était déjà entre les nectars extraits de leur plantation et le pinard commercial. C’est une évidence… Après avoir récolté, remué, mesuré, recollé, rempilé des amphores et des morceaux d’amphore, les chercheurs et principalement Fanette Laubenheimer ont investi la « Narbonnaise » – qui ne s’appelait pas encore ainsi. Leurs trouvailles vérifient l’importance de la viticulture du VIe au Ier siècles, avant notre ère, autour des étangs de Bages et Sigean, dans la vallée de l’Aude (au temps des Volques Tectosages), quand Narbonne n’était qu’une extension de Montlaurès.

Le numéro 58 de « Gallia » nous manque terriblement…

MORASSE

Crédit photo : DR
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine

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