À l’image de la condition humaine, certains vins traversent des tribulations et subissent de sérieuses remises en cause. Comme souvent, ce sont les épreuves qui permettent de révéler une nature cachée et donnent du sens au travail accompli.
Pour 5 grammes de trop
C’est l’histoire d’une dégradation inattendue qui frappe en 2015 une cuvée tenue en haute estime depuis plus d’une décennie, le cru les Renardières, vinifié avec rigueur par le domaine Philippe Gilbert en Menetou-Salon. Si l’on veut rendre compte de la place tenue par ce domaine au sein de l’appellation et l’impact de sa destitution, il faudrait imaginer Petrus se voir retirer le droit de représenter le vignoble de Pomerol. Le parallèle n’a rien de trop, la cuvée les Renardières en Menetou-Salon a toujours été une tête d’affiche, au même titre que le cru « les Blanchais » du domaine Henri Pellé et « Pierre Alexandre » du domaine Clément. Trois grosses cylindrées, des fois en limite de sur-maturité, développant une amplitude sans égale grâce à des rendements limités ,sans rien concéder à l’expression entière de leur terroir.
Une fois n’est pas coutume, en 2015, la campagne du Bourbonnais a connu un été chaud et assez sec, la richesse en sucre du sauvignon est montée dans les tours et la fermentation a trouvé son point d’équilibre en laissant 5 malheureux grammes de sucre résiduel par litre. L’utilisation des levures indigènes en est sans doute la raison ; un tantinet plus paresseuses au regard des levures sélectionnées, elles n’ont pas la même boulimie que les « finisseuses », celles qui dévorent tous les sucres jusqu’à rompre l’équilibre naturel du vin…
La dictature de la « typicité »
La sanction ne se fait pas attendre. Pour les analyses œnologiques de l’INAO, ces sucres trainants attentatoires à la « typicité » du Menetou-Salon légitiment la déportation de la grande cuvée les Renardières dans l’antimonde des vins de France. Tel un Torquemada de l’orthodoxie terroiriste, l’INAO a toujours eu l’excommunication facile, et tant pis si l’anathème tombe sur les meilleurs représentants. En Pouilly-Fumé, le bannissement d’Alexandre Bain a permis de prendre conscience que l’emprise administrative lourde et tatillonne du cerbère de la typicité, était difficilement conciliable avec les aspirations de liberté défendues par les vignerons bio. Surtout que les contradictions ne manquent pas. En l’espèce, les 5 grammes de sucre résiduel conservés par « les Renardières » sont certainement infiniment plus respectueux du terroir que l’emploi des levures de laboratoire orientant le Menetou-Salon sur un profil tropical…
Une disgrâce heureusement momentanée, privant ce vin mythique d’une grande partie de sa visibilité le temps d’un millésime. En conséquence, seule l’intercession d’un bon professionnel du vin est désormais en mesure de réhabiliter et d’expliquer auprès de l’amateur le bien-fondé de la démarche du vigneron et l’injustice d’une telle décision. Car pour le non-initié, la clef d’entrée dans le vin demeure le canevas des AOP, censé délivrer à ses yeux, le meilleur de l’authenticité du vignoble français. Sous-jacente à cette vision administrative du terroir, se dessine une hiérarchie implacable qui honore dans l’inconscient des acheteurs les vins d’appellation d’origine, et désavoue l’identité floue voire incomprise des vins non-conformes aux cahiers des charges afférents aux appellations d’origine.
Un vin-manifeste, à la liberté du vigneron
Seulement le respect d’une soi-disant typicité devant garantir au consommateur la transcription des caractéristiques du terroir ne fait pas tout. Dans cette optique, le vin se doit également de refléter les conditions spécifiques du millésime et donc accepter avec humilité une certaine part de versatilité dans son caractère .En agissant sur la prolongation de la fermentation dans le seul but de répondre aux dispositions réglementaires de son appellation, le vigneron brouille la variable d’ajustement inhérente à la complexe équation du terroir. Le domaine Gilbert s’y est refusé et signe avec courage un vin rebelle qui défie toute l’absurdité d’une lecture purement réglementaire du terroir. Manifestement inconciliable avec l’état d’esprit libertaire d’une nouvelle génération de vignerons.
Que l’amateur en soit averti, s’il veut toucher l’expression ultime de certains terroirs, ce dernier a tout intérêt d’entrer en dissidence avec le conditionnement faussement qualitatif inoculé par la mythologie de l’appellation d’origine. Aujourd’hui c’est moins le respect scrupuleux d’un cahier des charges que le travail et l’intuition du vigneron à appréhender les conditions particulières d’un millésime qui donnent l’opportunité de goûter à l’exception de la nature.
Tout est question d’équilibre
La grande inconnue repose sur l’intégration de ce résiduel de sucre dans l’harmonie générale du vin. La référence au modèle des vins blancs allemands suffit à relativiser la présence de ces 5 petits grammes .Outre-Rhin, les rieslings font généralement cohabiter un niveau de sucre significatif avec des acidités mordantes, quoique la mode soit revenue à des vins parfaitement secs. L’analyse purement œnologique est une chose, la perception gustative en est une autre .Ainsi l’équilibre des rieslings de Moselle procède souvent d’un balancement du sucre par une acidité tranchante ce qui nuit en rien à leur minéralité affirmée.
Dans le cas des Renardières ce sont de légers amers qui se chargent de neutraliser le sucré et cette improbable combinaison confère une véritable élégance à la suavité atypique du sauvignon. L’impressionnante maturité du millésime associée à un élevage du vin sur lies fines de 18 mois, efface la personnalité variétale du sauvignon aux connotations habituellement herbacées, pour laisser place à de captivantes senteurs d’infusion ; verveine et tilleul.
La grandeur naît parfois de la déchéance !
Raphno
Pour acheter ce vin : Cavavin, 10 rue Talensac , 44 000 Nantes
Tel : 02.28.49.59.80
Crédit photo : Breiz-info.com
[cc] Breizh-info.com, 2018, dépêches libres de copie et de diffusion sous réserve de mention et de lien vers la source d’origine