Il y a bien longtemps, quand je passais une partie de mes vacances d’écolier studieux à Chanzeaux, j’avais toujours un doute sur la tendance de mes redoutables cousines à commettre l’irréparable. À savoir, l’assassinat pur et simple de leurs ennemis. C’était fumeux, certes, mais j’ai mis longtemps à le réaliser. Annie Giraud me le prouve aujourd’hui, avec son roman[1] qui m’apparaît comme une très réelle tranche de… vie des bords de l’Acheneau. La présence à ses côtés de feue « Mademoiselle Mimi » l’atteste. J’ai déjà rencontrée cette chatte, morte il y a deux ans. Elle existait vraiment, je peux vous l’assurer, étalée sur mon estomac pour planifier la digestion d’un plein saladier de crevettes roses – ce qui est préférable, nous dit in vivo l’auteure, à une ventrée de puantes sardines grillées, même arrosée de muscadet de première qualité.
Les sardines grillées sont à Annie Giraud, ce qu’ « Intervilles » était à la gamine de treize ans (on est en 1963) qui fait la moitié de son ouvrage. L’autre moitié, en chapitres alternés avec la précédente, se passe cinquante ans plus tard, durant le bel été de 2003, qui vit la canicule emporter des tas de braves gens. La gamine et la femme, Paule Monnier, « non Berthier – de La Séguinière (ne cherchez pas, c’est mythique !) », poursuivent un but identique : éliminer les « nuisibles », ceux qui « ont initié le processus (de destructions massives) avec leurs mauvaises actions, leurs vilaines pratiques, leurs sales manies… » Cela commence « quand j’étais gamine », avec mademoiselle Monique (une amie de sa marraine), « le père Boileau, un très sale type, Antoinette Briand, une méchante, et Francesca », (la bonne de sa marraine)… « Et puis, pendant les jours de canicule (Paule a maintenant cinquante-trois ans), j’ai tué un collègue de l’association écolo de La Séguinière, Madeleine, une ancienne collègue de maman qui travaillait à la Poste, j’ai éliminé le tueur des chats et les trois Miss Marple… » Au total, nous voilà avec dix cadavres sur les bras qui seront enterrés selon les rites de notre sainte religion avec les sacrements leur assurant une bonne vie éternelle, même pour les salauds.
La Paule, tout ce temps, se livre à un bavardage éhonté, aussi bien à treize ans qu’à cinquante-trois. Si l’on partage quantité de ses remarques pertinentes et réflexions circonstanciées, deux moments forts retiennent l’attention : le premier enterrement, avec la folie qui s’empare de l’attelage du dernier corbillard de l’histoire (en 1963, quand même !)… et la fin du parcours « criminel », avec ce retournement de situation qui n’est pas spécialement attendu. Comme quoi, le crime paie toujours si les chats ne sont pas toujours gris.
MORASSE
[1] Annie Giraud, La Nuit est mon amie, Lucien Souny – Plumes Noires /, éditeur, 204 pages, 6,90 €.
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