La dernière vidéo du journaliste Vincent Lapierre arrêté par un commissaire divisionnaire de Paris, en marge d’une manifestation contre le bilan politique d’Emmanuel Macron, n’a pas indigné la presse subventionnée. Et pour cause, contrairement à la presse indépendante et aux journalistes alternatifs, celle-ci est rarement inquiétée (en France) car elle ne dérange plus personne dans les hautes sphères.
Vincent Lapierre à nouveau empêché d’exercer son métier de journaliste
Ce n’est pas le cas d’un journaliste comme Vincent Lapierre qui, armé de son terrible micro et de la caméra de son compère, arpente les rues de Paris, au contact de manifestants, parfois hostiles, parfois sympathiques, en leur posant des questions, en soulignant des contradictions, en empêchant de tourner en rond, en informant. N’est-ce pas la définition principale même du journaliste ? Recueillir de l’information, la retransmettre via un média ?
Pourtant, malgré cela, comme pour d’autres journalistes indépendants en France, il ne se passe désormais plus une manifestation sans que Vincent Lapierre se retrouve menacé par des manifestants. On voit dans la dernière vidéo le service d’ordre menaçant de la manifestation lui en interdire l’accès , ce qui constitue une discrimination publique claire. Il se trouve ensuite entouré par des forces de l’ordre. Plutôt que de permettre au journaliste d’exercer son travail (qui s’était bien passé jusqu’à l’intervention du service d’ordre aux ordres de l’extrême gauche), ils lui ont interdit l’accès aux abords de la manifestation, avant de le contrôler, d’embarquer deux de ses collaborateurs et de le menacer d’arrestation.
Le prétexte ? La sécurité du journaliste ne serait pas assurée, le policier prétextant un affrontement potentiel entre les manifestants… et Vincent Lapierre venu faire un reportage avec ses collègues.
« Vous avez une carte de presse ? ». Comme très souvent, c’est après que le journaliste ait répondu ne pas avoir de carte de presse que le policier se met à faire du zèle, croyant connaitre la loi alors qu’il la bafoue totalement. On se souvient également de l’excès de zèle sur un de nos journalistes à Trégunc, plus localement. Il faudrait répondre à l’unisson : « Non, nous n’en avons pas, nous n’en voulons pas, nous sommes journalistes et nous informons, point barre ».
Petit tour d’horizon de quelques entorses à la légalité
Concernant les policiers, une note de la direction de la sécurité de proximité (DSPAP) de l’agglomération parisienne rappelait que « Les policiers ne peuvent faire obstacle à l’enregistrement ou à la diffusion publique d’images ou de paroles à l’occasion de l’exercice de leurs fonctions ». « La captation d’images de policiers en fonction sur la voie publique n’est pas interdite, la diffusion de ces images dans les médias et sur internet ne constitue pas, à elle seule, une infraction, quand bien même les agents seraient identifiables », détaille la note de la DSPAP. Seules exceptions : les services d’intervention comme ceux de la FIPN (Force d’intervention de la police nationale) et les services de la lutte contre le terrorisme (DGSI, SAT, Sdat).
Concernant la manifestation en elle même, sur la voie publique : Il est normalement nécessaire de recueillir le consentement d’une personne pour pouvoir diffuser son image — c’est d’ailleurs ce que font les équipes de Vincent Lapierre à chaque fois — bien qu’il existe des exceptions et des cas particuliers dans le droit à l’image. Notamment lorsqu’il s’agit d’images de groupes ou de manifestations publiques : on considère que l’image ne porte pas atteinte à la vie privée, puisque la personne consent implicitement à être exposée aux regards des autres dans un lieu public.
Pour être reconnu en tant que journaliste, il faut pouvoir être identifié comme tel, ce que fait Vincent Lapierre qui affiche clairement le nom de son média par ailleurs, lors de ses interventions. Ce qui concerne les policiers concerne également les autres manifestants. On a pu voir dans les manifestations d’extrême gauche, parfois violentes, des manifestants s’en prendre physiquement à des journalistes qui filmaient, pour qu’on ne puisse pas identifier les auteurs d’exactions. Sans que les forces de l’ordre, pourtant chargées de faire appliquer la loi sur tout le territoire, n’interviennent.
Il pourrait donc y avoir clairement une volonté politique derrière. Des instructions hors la loi seraient données, qui vont dans le sens de la répression, de la censure et du blocage de la presse alternative, dont quelques policiers, très obéissants, seraient le bras armé.
Si des policiers font régulièrement des excès de zèle vis-à-vis des journalistes indépendants — bien plus que lorsqu’il s’agit de débloquer une faculté occupée par une minorité ou de réprimer des casseurs — c’est bien le silence des journalistes de la presse subventionnée et de Reporters sans Frontière qui est, lui aussi, scandaleux. Ils ont été peu nombreux à soutenir Gaspard Glantz, journaliste militant certes, mais journaliste, lorsque ce dernier a eu de nombreux problèmes d’accès aux manifestations en raison de son absence de carte de presse. Aucun d’entre eux n’a évidemment évoqué ce qui arrive à Vincent Lapierre, puisque la « ligne éditoriale » de ce dernier ne leur convient pas. La liberté de la presse, mais pas pour tout le monde en quelque sorte.
Le dernier rapport de RSF (reporters sans frontière) pointe le recul de cette liberté en France (33ème rang derrière l’Afrique du Sud, c’est dire…). Et plus de la moitié des Français ne font plus confiance à la presse traditionnelle pour les informer, ce qui est révélateur d’un vrai problème de société.
La multiplication des médias par Internet, la montée en puissance des journaux réellement indépendants, quelle que soit leur ligne éditoriale, devrait amener rapidement et de toute urgence à la création d’un syndicat de la presse alternative et indépendante. Parce que force est de constater que les institutions chargées de défendre les journalistes aujourd’hui ne font leur travail — et encore, il y’aurait tant à dire sur le traitement des pigistes — que lorsqu’il s’agit de défendre « les autorisés » de la protection, c’est à dire en réalité une caste (35 047 cartes de presse en 2017). Un syndicat qui revendique notamment la suppression de la carte de presse dans sa forme actuelle, pour y donner accès à tous ceux qui ne rentrent pas dans les cadres de lois datant du 20ème siècle quand bien même sur le terrain, ils font le même travail.
Vincent Lapierre, comme d’autres journalistes de la presse indépendante et alternative, qui proposent une information de qualité et qui exercent un journalisme de combat, sont bien plus, dans les faits, des journalistes que ceux qui exercent leur profession pour pouvoir bénéficier d’une réduction d’impôts, d’accès gratuits dans les stades de football ou dans les musées, ou enfin d’entrées dans toutes les cérémonies mondaines au cœur du pouvoir, où le copinage est roi.
Yann Vallerie
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