Rédacteur en chef d’un quotidien est un métier difficile. Chaque jour, il faudrait avoir le temps de relire tous les articles avant parution afin d’éviter que des journalistes à la culture approximative tombent dans le piège des inexactitudes fâcheuses – forcément indignes de rédacteurs sortant d’une école de journalisme.
Soyons en certain, si Samuel Petit, rédacteur en chef du Télégramme, avait pu lire avant publication que l’abbé Perrot avait été assassiné par « Jean Thépaut, résistant communiste de Scaër le 12 octobre 1943 pour avoir collaboré avec les nazis » (Le Télégramme, jeudi 19 avril 2018), il aurait rectifié plusieurs points. D’abord le recteur de Scrignac n’a pas été tué le 12 octobre 1943, mais le dimanche 12 décembre 1943. Ensuite l’accusation selon laquelle M. Perrot avait été assassiné « pour avoir collaboré avec les nazis » est dénuée de tout fondement.
Certes, Yann-Vari Perrot était une grande figure de la droite bretonne. Certes, Yann-Vari Perrot était l’autorité morale des milieux autonomistes et régionalistes. Certes, Yann-Vari Perrot avait donné force et vigueur au Bleun–Brug. Certes, Yann-Vari Perrot avait fait partie de la commission d’écrivains qui adopte en 1941 l’orthographe unifié (peurunvan). Certes, Yann-Vari Perrot appartenait au Comité consultatif de Bretagne. Certes, Yann-Vari Perrot côtoyait les Allemands puisque ces derniers avaient réquisitionné une partie du presbytère de Scrignac pour y loger des soldats.
Certes, Yann-Vari Perrot détestait l’athéisme des communistes. Certes, Yann-Vari Perrot par son rayonnement sur la population locale gênait considérablement les communistes fortement implantés dans le secteur de Scrignac. Certes, Yann-Vari Perrot, dans sa revue Feiz ha Breiz, dénonçait les persécutions dont étaient victimes les chrétiens dans les pays contrôlés par les Soviétiques. Pour autant, rien n’autorisait Daniel Trellu, chef des maquis FTP des Monts d’Arrée, de donner l’ordre à Jean Thépaut d’exécuter un vieux monsieur (66 ans), désarmé, dans un chemin, au retour de la chapelle de Toul-ar-Groaz où il était allé dire la messe de Saint-Corentin. Plus tard, Daniel Trellu affirmera que l’abbé Perrot a été exécuté car « les actes de collaboration étaient patents ». Sans en apporter la moindre preuve. En réalité, les communistes détestaient ce que représentait Yann-Vari Perrot : la Bretagne et l’Église catholique.
Ces éléments permettent donc de soutenir qu’en écrivant que l’abbé Perrot a été tué « pour avoir collaboré avec les nazis », le journaliste du Télégramme a manqué de prudence et qu’en plus les bases historiques lui faisaient défaut. Mais il était possible au rédacteur d’avancer que l’assassinat de Yann-Vari Perrot n’était ni conforme à l’honneur, ni glorieux. En soulignant le caractère lâche de cet acte, il ne risquait pas d’être poursuivi pour diffamation.
De la même manière, il serait tout aussi inexact de prétendre que Marcel Coudurier, patron de La Dépêche (rebaptisée Le Télégramme à la Libération), pendant l’Occupation, a « collaboré avec les nazis » ; il n’a fait que son devoir. Certes, Marcel Coudurier a obéi au Allemands fraîchement arrivés à Brest lorsque ces derniers lui donnèrent l’ordre de faire reparaître La Dépêche dès le lendemain ; ce qui fut fait le mardi 25 juin 1940. Certes, Marcel Coudurier eut, en tant que directeur général, de juin 1940 à avril 1942, l’entière responsabilité du fonctionnement de La Dépêche (politique, financier, technique, commercial). Certes, Marcel Coudurier se résigna à accepter les exigences des deux censeurs allemands (Propaganda Aussenstelle). Certes, Marcel Coudurier réservait le meilleur accueil aux publicités fournies par le magazine allemand Signal. Certes, Marcel Coudurier eut à subir la mainmise de Yann Fouéré sur La Dépêche (à partir de mai 1942), que ce soit pour le capital ou la direction politique ; mais « M. Marcel Coudurier, directeur général de la Dépêche, conserva par ailleurs tous ses pouvoirs administratifs. Conseiller technique pour la rédaction il garde son titre de rédacteur en chef. M. Coudurier reçoit les directives du conseil d’administration et de son président. Il est responsable de sa gestion devant le conseil d’administration et de son président ; il administre librement et il a le choix de ses collaborateurs. » (Délibération du 16 septembre 1942, La presse bretonne dans la tourmente, Henri Fréville, Plon 1979). Certes, Marcel Coudurier aurait pu se retrouver à la Libération devant la Cour de justice car les dirigeants des journaux qui avaient continué à paraître sous le contrôle de l’ennemi « devraient tous faire l’objet de poursuites, pour atteinte à la sûreté extérieure de l’État en application des textes spéciaux prévus pour sanctionner la collaboration avec l’ennemi (délit d’indignité nationale notamment » (Cahier bleu, titre II, recueil officiel des textes établis par le CNR qui devaient être mis en application sur le plan de l’information à la Libération).
Certes, Marcel Coudurier fut un homme d’affaires habile puisqu’il, récupéra son « bien » à la Libération, échappant à la Cour de justice – ce qui ne fut pas le cas des dirigeants d’Ouest-Éclair (rebaptisé Ouest-France) – sans doute grâce à des appuis puissants à rechercher du côté des milieux radicaux-socialistes et francs-maçons. Mais aussi, grâce au poids politique de Victor Le Gorgeu, ancien sénateur – maire de Brest, devenu commissaire régional de la République pour la Bretagne (4) à la Libération. Un heureux hasard voulait que Le Gorgeu fût, jusqu’en 1942, président du conseil d’administration de La Dépêche !
Qu’importe ces réminiscences historiques ! L’important est que Marcel Coudurier a sauvé son journal et permis à ses journalistes, ouvriers et employés de travailler et de toucher un salaire pendant l’Occupation. Seuls des esprits aveuglés par la haine auraient pu lui reprocher d’«avoir collaboré avec les nazis», alors que ce fut un patriote.
Bernard Morvan
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