L’ultimatum du gouvernement et les pressions issues des organisations paysannes ont fini par payer : 41 zadistes ont déposé des projets nominatifs, dont 21 agricoles, tout en affirmant qu’ils sont tous interdépendants et qu’il faut les accepter tous. La préfecture et la Chambre d’Agriculture se donnent jusqu’à la fin de la semaine pour les examiner, d’ici là les expulsions sont suspendues. Et les 4 agriculteurs historiques ont eux aussi régularisé leurs 300 hectares. Mais les « irréductibles » sont toujours là, prêts à défier le gouvernement… ainsi que tous ceux qui ont signé avec.
Et ils ne sont pas du tout partis pour déposer des projets nominatifs ou se régulariser. Le 24 avril le site de la ZAD a publié un « communiqué des sans-fiche » qui témoigne de leur volonté de ne pas négocier. Ils font état d’une réunion – plutôt houleuse – entre partisans et opposants à la négociation au camp des Cheveux Blancs, où campent des soutiens extérieurs à la zone, y compris assez âgés : « Il s’agissait encore d’une énième dernière tentative d’arracher une gestion collective de la zad, cette fois-ci grâce à un dépôt de fiches de projets individuels, nominatifs mais inter-dépendants. De plus, ce nouveau lâchage de lest a été présenté de telle sorte qu’il fallait que le « consentement », que le consensus des signatures individuelles soit total. Si un lieu refusait cela bloquait tout. Nous avons rejeté et cet ultimatum ».
Pour les « sans-fiche », le refus de négocier est total : « Nous refusons de nous inscrire dans l’état de droit, collectivement et individuellement ». Au nom des dissensions internes et des luttes de pouvoir entre « modérés » mieux insérés ou soutenus par certaines organisations paysannes (Copain 44, Confédération Paysanne) et « irréductibles » souvent venus d’ailleurs : « Même dans le Meilleur Des Mondes, ces projets acceptés mèneraient à la longue très certainement vers le pire : une normalisation qui légitimera untel ou une-telle plus que d’autres à vivre ici ». Voilà qui devrait être clair pour les pouvoirs publics.
Des projets nominatifs en partie « bidon » pour sauver des lieux de vie ?
De nombreux textes des « irréductibles » enfoncent le clou. Ainsi l’un d’eux brocarde le dépôt de dossiers nominatifs : « Aujourd’hui, certains choix et décisions prises ne peuvent plus cohabiter. La zone en tant que totalité a perdu sa négation du pouvoir de l’état ».
Et certains des projets semblent avoir été déposés en incluant des lieux de vie « irréductibles », sans leur consentement : « certains occupants ont décidé de signer des fiches qui incluent les terres et lieux d’habitation des gens qui eux refusent de faire légaliser « leur » lieu de vie, leur projet, leur quotidien ! Ces fiches ayant parfois été signées dans leur dos, sans aucune consultation ».
La ZAD a-t-elle signé son arrêt de mort en négociant avec l’Etat ?
Pour les « irréductibles », l’Etat est en train de plumer ceux des zadistes qui choisiraient de se légaliser : « Prétendre protéger la lutte contre l’aéroport ET son monde en devenant propriétaire ou responsable légal est absurde ! […] Comment pouvoir croire gagner un jeu dont les règles sont écrites et constamment modifiées par nos adversaires ? ». Et le cœur du problème serait le suivant : « sauver des idées au risque de perdre des espaces ou sauver des lieux en perdant ses idées ».
Un autre texte paru deux jours avant et écrit par un soutien extérieur de la ZAD revenait sur les « injonctions » successives de l’Etat à ceux des opposants qui étaient prêts à rentrer dans l’état de droit (réouverture de la RD281, destruction des chicanes, puis des cabanes à proximité) et aux coups de pression qui ont été faits contre les zadistes « irréductibles » qui s’opposaient à la réouverture de la route : « À chaque étape s’illustraient un certain nombre d’individus, qui par ailleurs pour nombre d’entre eux étaient membres de l’organisation politique ayant confisqué l’essentiel du pouvoir (mainmise sur les outils de communication, monopole des rapports avec les autres « composantes », création d’une « assemblée des usages » bidon où tout est prêt à l’avance, etc.) : le CMDO » [comité de maintien des occupations].
Etat qui aurait trahi les légalistes à plusieurs reprises, d’abord en imposant une forte présence policière sur la RD281 en cours de réouverture – le texte ne dit rien des zadistes qui menaçaient de s’en prendre aux ouvriers, puisqu’il les soutient –, puis en écartant les zadistes des discussions sur la gestion des terres, puis en déclenchant l’expulsion du centre-est de la ZAD le 9 avril. Bref, « de pleurnicherie en léchage de bottes, nous voici passés d’une situation où l’État, acculé à l’échec par la lutte, devait renoncer à un projet d’infrastructure considérable, à une situation où les opposants eux-mêmes, au nom d’une « union sacrée » dont on connaît pourtant les mécanismes, ont réalisé une partie du travail de leur propre expulsion », concluait ainsi l’auteur.
Un commentaire complétait : « la ZAD a signé son arrêt de mort […] En laissant une minorité de lèche-bottes masculins assoiffés de pouvoir, autoproclamés et peu regardants des processus autogestionnaires et solidaires interne à la ZAD, prêts à toutes les compromissions avec l’Etat pour sauver leurs petits intérêts et petits projets agricoles et bien propres ». Et un autre encore, sous le communiqué de la ZAD présentant les projets déposés en Préfecture : « A trois ou quatre abrutis, auto-proclamés dans votre assemblée [des usages] qui n’en est pas une, vous venez de signer la mort du mouvement politique révolutionnaire de la ZAD ».
Une « lettre de compassion » à ceux qui ont signé lesdites fiches n’y allait pas par quatre chemins : « renier vos idéaux passés va vous ficher un sacré coup de vieux! Peut être n’allez vous jamais pourvoir vous en remettre, ce qui serait bien compréhensible: un tel niveau de traitrise et de renoncement, ce n’est pas anodin! Nous sommes très triste de vous avoir perdu, car vous ne serez plus jamais crédibles dans aucune des luttes à venir ». Un soutien extérieur abonde : «il s’agit en effet de la plus grande traîtrise de l’histoire de la ZAD (et pourtant il y en a eu un paquet) ! Et dire que nous avons été des milliers de personnes à lutter à vos côtés pour tenir les barricades et résister à la police, risquer la taule et notre intégrité physique, travailler à l’élaboration d’un projet autogestionnaire, pour ça ! ».
D’autres zadistes critiquent la volonté de destruction des « irréductibles »
Cependant ces prises de position répétées ne sont pas soutenues par tous les militants de l’ultra-gauche ou les zadistes. L’un d’eux critique les « irréductibles » avec énergie : « C’est tellement facile de critiquer celles et ceux qui ont des projets, alors que vous n’en avez aucun. Et oui, on arrive au moment où les masques tombent, où la réalité de la vraie personnalité des acteurs se fait jour. Votre seul projet c’est de tout détruire, sans rien en face, sans aucune perspective d’avenir paisible collectif ». Et il enfonce le clou : « C’est beau la révolution, mais elle n’est possible que si elle est réaliste. Quand on est contre l’état et son monde, alors on ne profite pas de certains de ces avantages, aussi minimes puissent ils être : RSA, CMU, CAF, Pôle Emploi, Internet, Téléphone mobile, Média, Pelle, pioche, barre à mine, masque à gaz… ».
Un autre renvoie les critiqueurs à leur volonté de division : « je m’étonne de voir des gens critiquer de manière caricaturale encore certains occupants (ici le CMDO, ailleurs tout ceux qui veulent négocier) et d’un autre côté pleurnicher sur le fait que l’Etat ne cesse d’opposer bons et méchants zadistes. Pour lire ce genre de texte énergivore une seule source: indymedia. une petite bande de radicaux qui refusent touttes différences politiques sur la vision du rapport de force ET insultent à longueur de texte ceux qui ne pensent pas comme eux ».
Un autre encore critique le « nouveau monde » des « irréductibles » : « Vous combattiez le projet d’aéroport, et vous combattez toujours, à l’heure actuelle, et son monde. C’est votre droit. Le combat de l’ACIPA et de la Cédpa était uniquement contre l’aéroport. Votre problème, c’est que vous pensez que parce que vous avez un thème, c’est le seul et unique thème qu’il doit y avoir », affirme-t-il.« Que faites vous de celles et ceux qui pensent différement ou pas totalement comme vous ? Je vais vous dire, vous les écrasez sous votre grande gueule, ou celui qui l’ouvre le plus fort et le plus violemment a le dernier mot, et qu’il y a plutôt intérêt de suivre, sous peine de représaille !!!C’est ça votre monde ? »
L’assemblée des usages, contrôlée par les zadistes « modérés » – et le CMDO selon les « irréductibles », s’est fendue d’un communiqué pour justifier le dépôt des projets en Préfecture : « Nous voulons stopper l’escalade de la tension sur la zone et obtenir enfin le temps nécessaire au dialogue et à la construction du projet que nous défendons […] nous avons souhaité aujourd’hui faire un geste très concret de dialogue pour sortir de ce cycle infernal ». Et ce « malgré le refus du gouvernement d’étudier notre proposition d’une convention collective ». Les 41 projets déposés, présentés comme intimement liés et faisant la part belle aux structures collectives (associations loi 1901, SCOP, SCIC etc.) reviennent cependant au même.
Quand les « irréductibles » de la ZAD menacent de s’en prendre aux « modérés » ou à des figures de la lutte anti-aéroport
Certains « irréductibles » vont encore plus loin. Plusieurs textes fustigent la position de Julien Durant, porte-parole de l’ACIPA, qui s’en est pris dans les colonnes de nos confrères d’Ouest-France à la « face sombre » de la ZAD, c’est à dire aux « irréductibles » et à leurs exactions. Des « occupant.e.s » de la ZAD prochent des irréductibles, l’accusent de trahir les engagements pris entre l’ACIPA et les zadistes : « Depuis maintenant trop de temps Julien Durand s’exprime dans les journaux au nom de l’ACIPA. Déversant des horreurs, affaiblissant notre lutte et tirant les ficelles
de ses propres envies sans se soucier nullement des engagements que nous avons pris ensemble ».
D’autres citent l’interview du membre de l’ACIPA passée récemment dans Breizh Info, mais que visiblement les « irréductibles » ont du mal à accepter car sans langue de bois, il s’en est pris aux zadistes qui ont refusé de négocier, de se légaliser, préférant tenter de défier l’Etat et s’en prendre à tous ceux qui voulaient sortir de l’illégalité.
L’ACIPA semble elle-même traversée par de profondes divisions puisqu’un de ses cofondateurs, Gérard Lambert, a critiqué dans un communiqué les prises de position de Julien Durand et Françoise Verchère (CéDPA) contre les zadistes « irréductibles » : « lâcher ceux que l’on a appelés à l’aide hier, auxquels on doit en assez grande part l’abandon du projet d’aéroport, c’est tristement dégueulasse. Et les arguments étalés pour le faire sont d’une bassesse écœurante […] ils sont une négation de l’esprit même de la ZAD ».
Tandis que certains s’en prennent carrément à l’organisation : « Je suis convaincu que des organisations aux tractations obscures comme l’ACIPA sont co-responsables de ce massacre idéologique et politique. Depuis le début de la lutte, l’ACIPA (soutenue par les appelistes) joue le jeu du pouvoir, celui de la division et du pourrissement. Beaucoup ont cru que s’y allier nous permettrait d’être plus fort face à l’Etat. Grossière erreur, nous en payons les pots cassés depuis déjà des années ».
Cela dit, c’est un « irréductible » qui lance un avertissement sans frais à ceux qui seraient tentés de négocier avec l’Etat : « Je vous préviens amicalement que ce que vous pensez, que ce que vous allez faire ne nous (me ?) plait pas du tout, et qu’il y aura des représailles amicales …..Tout ça très amicalement, comme quand on va vous péter la gueule, toujours très amicalement ». Les jours et semaines à venir risquent d’être très chaudes sur la ZAD…
Émilie Lambert
Photo : breizh-info.com
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