Niko (prénom changé) est un zadiste. Enfin plutôt un ex-zadiste. Présent pour défendre la ZAD de Notre-Dame-des-Landes lors de l’Opération César en 2012, puis revenu à plusieurs reprises sur la ZAD où il a même vécu un temps, il était là encore lorsque l’opération de délogement des « irréductibles » a commencé le 9 avril dernier. Cependant, après une semaine d’affrontements il est parti – car l’esprit de la ZAD et de la lutte ont irrémédiablement changé. Il nous livre ses impressions et témoigne de ce qu’il a vu.
Breizh Info : Niko, les affrontements sur la ZAD durent depuis près de trois semaines avec une relative accalmie ce week-end. Il y a peu encore, une cabane a été reconstruite à la Chévrerie, puis détruite, et les gendarmes pris à partie en plusieurs endroits. Pensez-vous que les zadistes sont en train de gagner ?
Niko : Les gendarmes sont plus forts que nous, et surtout nous sommes infiltrés. Quand on fait quelque chose, une action à l’extérieur par exemple, ils le savent à l’avance et les pompiers arrivent juste quand on s’en va, c’est curieux. Dans la ZAD ils arrivent aussi à prévoir nos mouvements, et de toute façon ils sont plus nombreux et ont la maîtrise des airs. La seule façon pour nous de gagner, c’est que le politique intervient et retire les gendarmes.
Breizh Info : Pourquoi avez-vous quitté la ZAD ?
Niko : En 2012 il s’agissait de défendre notre terre contre un projet d’aéroport dont personne, localement, ne voulait [à de rares exceptions] Maintenant, c’est une lutte hors-sol : des activistes, souvent très étrangers à notre lutte et qu’on n’a parfois pas vu, ni en 2012, ni depuis, prennent appui sur la ZAD pour lutter contre le reste du monde. D’ailleurs, le soutien local s’est effondré, on s’en rend bien compte.
Breizh Info : Vous vous en rendez compte comment ?
Niko : Des voitures qui appartenaient à des soutiens extérieurs de la ZAD ont été vandalisées, notamment sur Notre-Dame des Landes et la Pâquelais, les pneus crevés. Cela n’arrivait pas avant, et ce même si certains sur la ZAD ont eu maille à partir avec des habitants. On le voit aussi aux vivres : en 2012 on était soutenus localement, il n’y avait presque pas de production sur la ZAD, c’était l’hiver, les gens du coin nous amenaient de quoi tenir, maintenant ça vient de plus loin, voire de Nantes.
Breizh Info : On parle souvent de drogue sur la ZAD, qu’en est-il ?
Niko : C’est un vrai problème. Mardi 10, les gendarmes ont détruit quelques plants de cannabis près des Fosses Noires, mais il y a d’autres sources. Beaucoup se droguent pour tenir, certains sont camés jusqu’aux yeux, shit, amphétamines, LSD, héro, coke, médicaments, Subutex. Certains mélangent tout. Il paraît que les autorités veulent négocier, dans leur état, il n’y a pas moyen !
Breizh Info : Les zadistes, « irréductibles » ou non, ont longtemps hésité avant de soumettre leurs identités et projets à la Préfecture, ce qui a pu paraître assez étonnant au vu de la bonne volonté de l’État…
Niko : Pas si étonnant. Beaucoup ne savent pas ce qu’est une facture, n’ont jamais travaillé ni eu de moyens d’existence légale, ils ne sont pas insérés dans la société. En gros ils ne savent qu’être zadistes, c’est à dire se débrouiller en marge du système. Enfin en marge… certains touchent les allocations sociales, d’autres ont des proches. Là encore il y a beaucoup de faux-semblants.
Breizh Info : Les gendarmes ont été attaqués à coups de bouses, mais aussi d’acide de batterie, d’engins explosifs improvisés (IED) avec des billes d’acier, de cocktail Molotov… Des sources proches des zadistes mentionnent des armes plus sérieuses, qu’en est-il ?
Niko : Il y a quelques pistolets, à grenaille ou non, que certains zadistes avaient acquis pour se prémunir des « descentes » d’autres zadistes, notamment au moment des affrontements internes liés à la réouverture de la RD281. Il y a aussi quelques vieux fusils.
Breizh Info : Les zadistes font pourtant beaucoup de réunions pour désamorcer les tensions internes…
Niko : Pas sûr que cela soit si efficace, au contraire, certaines paroles violentes en réunion accroissent les tensions. Puis certaines actions – comme le blocage de la RN165 [jeudi 12 avril], on en avait discuté en AG, tout le monde était au courant, résultat les pompiers sont arrivés juste avant que la chaleur des pneus ne commence à attaquer le bitume. Les gars qui y ont participé ont pris des risques pour rien.
Breizh Info : Quel est le problème principal de la ZAD en ce moment, selon vous ?
Niko : Y en a deux. Déjà il y a deux visions inconciliables entre ceux qui veulent négocier pour rester, et ceux qui veulent se battre pour rester. Ensuite, tout simplement les vivres. La ZAD ne peut pas nourrir plusieurs centaines de personnes. En 2012, il y avait moins de monde et c’était déjà très juste, ça ne tenait qu’avec le soutien extérieur. Là, il y a un peu plus de production locale, mais la ZAD n’est pas auto-suffisante. C’est encore pire pour le carburant et les matériaux de construction. Il y a beaucoup de trucs en vrac, de matériaux abandonnés sur la ZAD, mais tôt ou tard les gendarmes finiront par tout nettoyer, même s’ils se sont pas mal plantés.
Breizh Info : Sur quoi par exemple ?
Niko : Les 100 noms [un projet agricole collectif – en fait auprès d’une cabane, détruite par les gendarmes mobiles l’après-midi du 9 avril. Un des squatteurs qui avait attaqué la Préfecture pour contester son expulsion a été débouté, NDLA] On a cru un temps que ça allait ressusciter le soutien paysan et local, mais presque pas finalement [malgré la prise de position pro-ZAD de la Confédération Paysanne] Puis ça se voit qu’ils essaient d’évacuer la ZAD comme une fac occupée ou un squat en ville, alors que les gens qu’ils arrêtent finissent toujours par revenir et reprendre la lutte.
Breizh Info : Quant aux riverains, qu’en pensent-ils à votre avis ? Vous soutiennent-ils ?
Niko : S’ils nous soutiennent ? Non. On a mis beaucoup trop de bordel, ça fait des années qu’ils la bouclent à cause de l’aéroport, maintenant que le projet est enterré, ils en ont assez. Certains attendent avec impatience que les gendarmes se cassent pour faire le ménage eux-mêmes, ils en ont trop subi. Mais la plupart rêvent juste que tout le monde se barre, gendarmes et zadistes, et qu’ils retrouvent enfin la paix.
Propos recueillis par Émilie Lambert
Photo : Breizh-info.com
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