Le vol du reliquaire du coeur d’Anne de Bretagne, une pièce unique d’orfévrerie du début du XVIe siècle, de surcroît emblématique de l’histoire de Bretagne, n’a pas fini de scandaliser. Commis dans la nuit du 13 au 14 avril, le vol a été rendu possible par une série catastrophique de défaillances qui témoignent d’un manque d’intérêt de l’administration départementale pour un patrimoine exceptionnel.
Depuis l’échec de la très coûteuse rénovation-extension du musée départemental Thomas-Dobrée, remise en cause par les riverains puis par la justice, l’établissement est quasiment en friche, surtout pour ses deux bâtiments historiques. Le troisième, le plus moderne (années 1970) mais aussi le plus vétuste en raison d’infiltrations, est cependant sous alarme et protégé par un réseau de vidéo-surveillance. Cela n’a pas empêché les voleurs de s’y servir comme dans un supermarché.
D’autant que, comme nous l’explique un riverain, « le musée semble abandonné la nuit. Surtout aux abords des bâtiments anciens. Certes, le jardin est fermé par des grilles, mais il n’est guère difficile de s’y introduire. Quand les migrants ont installé leur squat dans l’ancienne maison de retraite [Bréa] ça m’a étonné qu’ils ne l’aient pas fait ici dans le musée. La nuit, entre qui veut ».
Pourtant, une exposition intitulée « Voyage dans les collections » y était organisée, présentant certaines des plus belles pièces dont le coeur-reliquaire d’Anne de Bretagne, dérobé avec une statuette hindoue dorée et des pièces d’or de l’époque de la duchesse Anne.
En effet, il apparaît qu’après un repérage préalable, plusieurs individus se sont introduits dans les locaux et ont dérobé très vite les trois oeuvres d’art avant de s’éclipser. Les services du département nous précisent que « l’alarme et la vidéo-surveillance ont fonctionné ». De quoi faire ironiser un antiquaire nantais : « si ça suffisait pour protéger les musées, ça se saurait. Dans un entrepôt que des cambrioleurs cassent, l’alarme fonctionne aussi à temps. Sauf que les perceuses sont déjà loin. Et qu’un coeur-reliquaire en or se remplace plus difficilement qu’une perceuse ».
En effet, très vite après le déclenchement de l’alarme à 3h30 samedi, un agent de la société de sécurité vient et fait un tour rapide des bâtiments. Mais ne parvient à découvrir aucune trace d’effraction et s’en va, comme l’ont révélé nos confrères d’Ouest-France. Ce n’est finalement qu’à son embauche vers 9h qu’un agent du département s’en aperçoit. Pis, le retard est encore accru par le temps d’alerter la hiérarchie « et de trouver qui va porter le chapeau », commente, ricaneur, un proche de l’enquête.
La police n’est avertie qu’à 11h30, huit heures après le vol ! Un délai « énorme » qui « permet de poser beaucoup de questions », constate un autre proche du dossier. « Qu’ils aient été catastrophés pour eux et leur carrière, soit. Mais dans ce genre de cas, le moins qu’on puisse dire, c’est que les procédures élémentaires de prudence et de diligence ne semblent guère avoir été respectées. Les contribuables comme les élus peuvent demander des comptes aux responsables du musée et ça risque de voler ».
« Les informations d’Ouest-France sont justes », relève avec sobriété le service communication du conseil départemental. Sans vouloir donner aucune information complémentaire – conscient d’avoir lourdement failli, le département verrouille sa communication en espérant naïvement que personne ne saura rien de ses torts, « à la demande de la PJ, on ne dit rien des conditions de sécurité, d’alarme, etc. » nous précise le chargé de communication, qui affirme mordicus qu’il ne peut « rien dire ». « Mais c’est très gros », commente un habitué du musée. « C’est l’une des pièces les plus emblématiques, sinon LA pièce la plus emblématique. C’est comme si quelqu’un avait cassé le Louvre et est reparti avec la Joconde sous le bras, puisque la sécurité n’était pas là ». Depuis le vol, le musée Dobrée reste fermé. « Le temps de sécuriser, ça ne fera pas de mal, et de virer tous ceux qui y bossent parce que là ils ont merdé sur toute la ligne ? », s’interroge un antiquaire du département.
Vol sur commande ou acte politique ?
Quoi qu’il en soit, du fait du manque (sinon de l’absence) de sécurisation du musée et du temps perdu, les voleurs ont pris une avance cruciale. « A l’heure qu’il est, le coeur n’est sûrement plus en Loire-Atlantique », commente un antiquaire du département. « Et ça ressemble à un vol sur commande », renchérit un autre. C’est à dire ? « Un riche collectionneur passe commande et une équipe spécialisée s’en occupe. Ceux qui ont volé étaient des pros, ils avaient bien repéré les lieux et ont agi très vite sans laisser de traces. On ne sait d’eux que le fait qu’ils étaient plusieurs. Souvent ils viennent d’ailleurs. Ces objets vont très loin – Russie, pays du Golfe, Chine… et ne ressortent guère que dans une succession ou à l’occasion d’un divorce ». On peut toujours rêver que le vol soit le fait d’un riche Breton qui aurait préféré le mettre à l’abri dans son coffre-fort que de le laisser dans un endroit aussi mal protégé…
Il est peu probable en tout cas qu’on retrouve le coeur-reliquaire dans la brocante hebdomadaire de la Place Viarme. Ni à la fonte, comme s’en sont pourtant alarmés la mairesse de Nantes et divers responsables, politiques ou d’associations bretonnes. « Je reprends. Je vole la Joconde au Louvre, je repeins un truc dessus et je vais la vendre au vide-grenier », reprend notre habitué. « Cela n’a aucun sens. Le coeur a une valeur infiniment plus grande que l’or dont il est fait ». Et en plus, « c’est une pièce facilement identifiable et connue », relève un autre antiquaire. « Un fondeur s’en apercevrait tout de suite et ne la prendrait pas ».
Autre piste à l’esprit des antiquaires : l’acte politique. « Cela peut être une revendication d’indépendantistes, ou d’un mouvement quelconque », relève un antiquaire rennais. « Mais pas au sein des groupuscules bretons existants, ils n’en ont ni les moyens ni les capacités. Ceux qui ont volé sont des pros. Mais ils peuvent n’avoir été que des outils ». Si l’objectif est de démontrer que le département de Loire-Atlantique et ses responsables politiques sont incapables de maintenir et de protéger le patrimoine de la Loire-Atlantique, ils ont réussi au-delà de leurs espérances. Et du fait de l’incapacité professionnelle de quelques uns, les Bretons ont tous perdu un témoignage majeur de leur histoire.
Louis-Benoît Greffe
Crédit photos :DR
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