Le début de l’opération d’expulsion des zadistes irréductibles du centre de la ZAD ce 9 avril a pris de court de nombreux opposants historiques au projet d’aéroport. Surtout par sa fulgurance – les « irréductibles » n’ont résisté que quelques heures, très tôt dans la nuit – et par ses débordements, puisqu’un projet agricole en négociation avec la Préfecture a été rasé, aux Cent Noms, dans l’après-midi.
Ceux-là mêmes qui espéraient en secret ou non un « tri sélectif des zadistes » semblent contraints de revoir leur vision, comme nous l’explique Julien (NDLR : prénom modifié) un membre de l’ACIPA. Entretien sans langue de bois.
Breizh Info : Julien, que pensez-vous de la situation présente sur la ZAD ?
Julien : C’est un peu la fin du monde. Pas question de défendre les anars, dont l’évacuation était prévue et souhaitable, mais là on vire au foutage de gueule, car ils évacuent des gens qui voulaient rentrer dans l’état de droit comme c’était le cas aux Cent Noms.
Breizh Info : C’est-à-dire ?
Julien : On passe d’un discours de la préfecture selon lequel seule la RD281 sera dégagée et les éléments radicaux évacués à « on casse tous les habitats précaires » [yourtes, caravanes, cabanes, NDLA] qu’il n’y a aucune urgence à détruire. Bref, ils allument une mèche qu’ils ne sont probablement pas en mesure d’éteindre.
Breizh Info : Donc l’ACIPA va s’impliquer ?
Julien : En effet, on appelle tout le monde à venir sur la ZAD demain. Ils essaient de vider la ZAD, et nous, pardonnez-moi, on ne s’est pas fait chier à soutenir depuis tout ce temps des gens loin de l’état de droit qui ont enfin fait ce qu’ils pouvaient, parfois maladroitement, pour y entrer, pour se retrouver dans cette situation.
Breizh Info : Pensez-vous qu’il s’agit d’une vengeance du « système » alors que le projet d’aéroport a été abandonné ?
Julien : C’est ahurissant. Une vengeance, oui, de la Gendarmerie Nationale, de Matignon, de Paris.
Breizh Info : En quelques heures, les gendarmes ont pris l’avantage stratégique – en profitant certes de divisions internes au mouvement – et contrairement à 2012 c’est peu probable qu’ils l’abandonnent. Est-ce plié en défaveur des zadistes ?
Julien : C’est l’avantage qu’ils n’ont jamais eu en 2012 – et cela ils ne l’ont jamais digéré. Bref, c’est minable. Mais nous on appelle toujours au dialogue.
Breizh Info : L’ACIPA était pourtant très peu encline à soutenir les zadistes qui bloquaient la réouverture de la RD281 et sont allés jusqu’à la dégrader. Cette position n’a pas changé ?
Julien : Il n’y a pas de soutien des anars qui bloquaient la RD281, tacitement beaucoup de nous soutenaient leur évacuation. En revanche y a des gens des Cent Noms dans la délégation commune. On n’a jamais caché qu’il y a des gens qu’on soutient et d’autres pas. On n’a jamais soutenu des profils radicaux, qui étaient ailleurs avant, notamment en forêt de Rohanne en 2012. Mais on veut soutenir les lieux de vie qui ont un projet, agricole ou non.
Breizh Info : Figure tutélaire des zadistes, Rash, des Planchettes, s’est fait casser sa cabane ce lundi matin ?
Julien : C’est le gars qui a parlé à Lecornu [quand il est venu en visite sur la RD281], lui a serré la pince, a eu un rendez-vous avec le maire de Notre-Dame des Landes [pour demander une carte d’électeur]. C’est ahurissant que sa cabane soit détruite aussi, près du four. En face, c’est logique – leurs occupants, des cons finis, nous avaient emmerdé quand on avait fait la chaîne humaine [en mai 2013], mais Rash, un ancien radical qui s’était assagi, c’est proprement ahurissant.
Breizh Info : Plus de 2500 mobiles mobilisés pour à peine une dizaine d’arrestations, il n’y a rien qui ne vous choque ?
Julien : Si, c’est très léger par rapport aux forces mobilisées – et qui ne prennent pas en compte les CRS dans les villes. Bref, c’est de la com’ très lourde.
Breizh Info : Depuis des mois, les « irréductibles » mettent en cause un mystérieux comité, le CMDO (comité pour le maintien des occupations) qui serait le moyen de transmission aux zadistes, manu militari s’il le faut, des directives prises par l’ACIPA et Copain 44. Ce CMDO, selon les irréductibles, aurait participé à divers « coups de pression » contre les irréductibles, dont ceux liés aux diverses péripéties autour de la réouverture de la RD281 à la circulation. Qu’en pensez-vous ?
Julien : Ce sont toujours les mêmes accusations de l’est de la ZAD, qui accusent tel ou autre groupe d’être la milice de l’ACIPA. Comme si on avait que ça à foutre. Les zadistes irréductibles sont les premiers responsables de cet état de fait et de leur évacuation. Le CMDO, c’est un groupe, disons « d’intellectuels bobos », une sorte d’espace de réflexion depuis un an, un an et demi, sur l’avenir de la ZAD. Eux l’ont préparé contrairement à bien d’autres. Même s’ils n’ont pas été nécessairement les plus rapides à déposer leurs demandes d’occupation individuelle.
Breizh Info : Pourtant une convention globale a finalement été envoyée vendredi…
Julien : Une convention collective pour ensuite faire de l’individuel, c’est bien de l’idéologie zadiste. Les pouvoirs publics ont été clairs, ils demandaient des projets individuels et avant le 31 mars.
Breizh Info : L’opération d’expulsion semble se limiter au centre de la ZAD, pourtant Bellevue, qui est en dehors, se met volontairement sous le coup d’une expulsion en s’affirmant « lieu d’accueil » pour les expulsés. C’est pourtant un lieu qui s’inscrit dans un projet agricole et donc dans des négociations avec la Préfecture ?
Julien : On n’a plus la main sur Bellevue, ce n’est plus du tout ce que c’était en janvier 2013 lorsqu’on a sauvé la ferme de la destruction et qu’on y a réinstallé une activité agricole ; ça ne tient pas leur truc, ce n’est pas entretenu. En plus il y avait beaucoup de matériel qui avait été donné à l’époque, il y a des choses qui ont disparu. On avait acheté un tractopelle avec Copain 44, ils s’en sont servis pour creuser des tranchées qu’on n’a pas cautionné tandis qu’on payait l’assurance – on s’en s’est débarrassé à grand peine.
Breizh Info : C’est surtout une ferme qui travaille des produits au lait cru sans avoir la patente exigée normalement de tout autre agriculteur et sans avoir de contrôles d’hygiène, dans des locaux qui sont loin d’être ad hoc…
Julien : C’est injustifiable. Mais justement la régularisation était le moyen d’arriver à bout de tout ça.
Breizh Info : D’un côté, la régularisation des cabanes, surtout en zone humide, semblait difficile… ?
Julien : La destruction des cabanes est en soi une bonne chose, elles étaient très difficiles à régulariser. Mais là, si l’évacuation entraîne la suppression de tous les lieux avec un projet agricole, excusez-moi, mais c’est du fist de la part de l’Etat.
Breizh Info : Vous disiez que les zadistes étaient un peu responsables de la situation, et pas seulement parce que certains « irréductibles » ont refusé tout accord avec l’Etat ?
Julien : J’en veux aux zadistes car ils nous ont mené dans ce merdier, et je ne suis pas le seul à le penser. Il est temps pour eux de déposer des projets individuels comme les pouvoirs publics le leur ont demandé, et pas des conventions collectives hors délais.
Breizh Info : Il est assez remarquable de constater le changement de climat par rapport à 2012. Et pas seulement parce que l’aéroport a été abandonné. La ZAD est devenue, peut-être au corps défendant de l’ACIPA, le soutien à de nombreuses causes sans rapport avec l’objet initial – la convergence des luttes d’extrême-gauche, comme la Wardine, structure stratégique pour une partie de l’ultra-gauche locale bien contente de profiter de l’abri qu’offre la ZAD, les migrants, le ravitaillement « des luttes » ou des squats, des abris pour marginaux ou drogués… nombre de riverains ou soutiens de la lutte en 2012-2013 nous disent en substance « nous nous sommes battus contre l’aéroport, mais pas du tout pour toutes ces causes, on ne peut plus soutenir la ZAD… ». Qu’en pensez-vous ?
Julien : Ce n’était pas du tout prévu. En 2012 on a eu beaucoup d’adhésions qui ont fait dériver l’objet et le centrage initiaux de l’association. Il y a des gens qui ne comprennent pas que l’ACIPA n’est pas une structure nationale et gauchisante, mais une association locale qui pense qu’une route c’est fait pour rouler [la RD 281]. Il y a des tensions internes fortes à l’intérieur de l’association sur ces sujets.
Breizh Info : Quel est votre avis sur l’avenir de l’ACIPA ?
Julien : C’est un fantôme sur pattes. On arrête car on a gagné et beaucoup de nous n’ont pas l’intention de passer leur vie à gérer l’avenir de la ZAD voire à défendre des gens indéfendables.
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