Peut-être en va-t-il de la braderie de Nantes comme du marché de Noël : à force de voir des entourloupes et les mêmes marchandises, les gens ne viennent plus. Samedi 24 mars, 800 commerçants ont déballé dans les rues du centre de la cité des Ducs, mais il y avait moins de clients que d’habitude. Et toujours autant de fraudes, de vêtements chinois et de pickpockets.
« On n’a pas eu beaucoup de clients cette fois », nous confirme une marchande de nougats qui vient depuis des années. « Mais beaucoup de pickpockets, oui, plus que de clients peut-être. Les mêmes que d’habitude, des Roms ». Un policier abonde : « normalement, rue d’Orléans, c’est noir de monde, place Royale idem. On a du mal à avancer. Là, on passe sans problème et il y a des trous dans la foule ». Le cours des 50 Otages envahi de bancs avec des vêtements, semble vide. Plus de monde dans la rue de la Marne, mais à peine jusque la place du Pilori.
Un vendeur de chaussures place Royale – des fins de série de grandes marques – affirme lui aussi avoir « mal travaillé ». Son voisin confirme, « bien moins de monde que les années passées ». Plus haut, une commerçante elle aussi a vu moins de monde, « mais plus de pickpockets. Quand il y a moins de monde c’est plus pratique pour eux, il y a plus d’échappatoires ». Pourtant, aucun n’a été arrêté en flagrant délit.
Parfums de Grasse à 20 € les six flacons
Et beaucoup d’entourloupes, comme ces « parfums de Grasse » avec une bannière « stop contrefaçon » fabriqués en Chine, à 20 € les six flacons (plus un échantillon d’un vrai parfum). Que ce soit au coin de la place Royale et de la rue d’Orléans ou au début de la rue de Feltre près du C&A, la démonstration est la même. Équipé d’un micro, le vendeur commence par donner des cadeaux aux clients – des limes à ongles ou des échantillons de vernis achetés quelques centimes et qui coûtent prétendument un voire quatre euros, puis fait passer des copies pour des parfums de grande marque, empile le lot « gratuit » et demande une participation de 20 euros.
Commentaire d’un agent de la répression des Fraudes : « ce sont des imitations et ils sont toujours en limite de la loi, notamment parce qu’ils font passer ce qu’ils vendent pour des parfums de grande marque et créent une tromperie dans l’esprit des clients. Idem, quand ils donnent des « cadeaux » coûteux, ils engendrent une obligation morale de leur donner de l’argent, ils n’ont pas à le faire ». Malheur cependant au client trop curieux ou qui veut récupérer son « lot gratuit », « cadeau », etc. Près de chaque banc il y a un « baron », c’est à dire un client dans le coup – en fait un membre de l’équipe bien musclé, chargé de chasser les gêneurs.
Quand le vendeur ne les insulte pas – par exemple ou un jeune homme qui prend une photo (il est sur la voie publique, c’est son droit), qui se fait répliquer « t’as de la chance que je n’ai pas le temps de te casser les côtes ». Malgré les insultes et les entourloupes – refus de rendre notamment leurs chèques à deux clientes qui ont fait une erreur dessus (à leur préjudice), sauf contre du liquide… « ces vendeurs sont des forains qui reviennent d’année en année, ils sont protégés », commente une commerçante « atterrée par l’état de la braderie ».
Au hit parade des problèmes : coques, parfums et petit électroménager
Dans la braderie, une dizaine d’agents de la Répression des fraudes déambulent. « Ici, on trouve toujours des stands problématiques. Le plus souvent, ce sont des parfums de Grasse, enfin plutôt de Chine, les coques de téléphone – qui peuvent provenir d’entrepôts cambriolés – et le petit électroménager, pareil ».
Les stands problématiques étant connus, il serait toujours possible d’exclure ce genre de marchandises du cahier des charges, mais la mairie ne fait rien. « Ici, on a l’impression qu’on doit se battre contre la mairie, voire la justice, pour travailler. Il y a des commerçants jamais conformes, à qui on colle des amendes toutes les semaines et qui continuent leurs infractions comme si de rien n’était. Ils se sentent couverts », confirme un agent de la Répression des Fraudes.
Ils n’ont d’ailleurs pas manqué de faire une bonne pêche – avec deux vendeurs de « parfums de Grasse » contrôlés et trois autres contrôlés puis empêchés de vendre. Deux d’entre eux étaient des Roms, qui « vendaient tranquillement du petit électroménager qu’ils avaient volé il y a quelques jours, ils avaient acheté leur emplacement au placier sur le cours des Cinquante Otages ! ». Peu probable d’ailleurs que ces Roms aient un SIRET ou les autres documents légaux (livre de police…) normalement exigibles pour pouvoir vendre sur les braderies et marchés de plein air…
Quand la Petite Hollande envahit le centre-ville
Le nombre de bancs qui vendent du textile chinois (voire russe) est assez conséquent, donnant à la braderie de Nantes un air de Petite Hollande. Et c’est juste : ce sont les placiers de la Petite Hollande qui gèrent le secteur central, autour de la place du Commerce, du cours des 50 Otages, la rue de Feltre, Calvaire, place Royale… « là où il y a le plus d’argent à se faire », commente un commerçant. Beaucoup de vendeurs de textile de la Petite Hollande sont donc aussi à la braderie. « Ils placent donc les habitués – nous on fait la Petite Hollande et on paie carrément par chèque à la mairie, et les autres ».
Les emplacements sont marqués au sol, mais il est toujours possible de déborder, « si on est gentil avec le placier, on peut gratter un mètre ou deux ». Bref, comme le résume une commerçante nantaise – qui a pignon sur rue, « à chaque braderie, c’est pareil, tous les placiers qui sont malades sont miraculeusement guéris ». Pour elle, « ces dérives que tout le monde connaît sont inquiétantes, car la mairie ne fait rien contre les fraudeurs, pire, ils se sentent couverts, et tout ça dénature l’esprit de la braderie, donc les gens en ont marre, donc ils ne viennent plus ». Corollaire, « la braderie nous ramène de moins en moins de monde».
Et c’est jusqu’au désordre de la Petite Hollande qui vient en ville – alors que les commerçants du marché vont être obligés, enfin, de trier leurs déchets et de les mettre dans des conteneurs mis à disposition par la ville, dans un espace fermé en bordure du marché, sous peine d’amende. Après la braderie, sacs de cintre, cartons, papiers divers traînent dans les rues de Nantes, s’envolent dans la rue du Calvaire avec le souffle du vent vespéral. Et tandis que les derniers commerçants remballent, le ballet des balayeuses se met en place pour un dernier coup de balai.
Louis Moulin
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