Écosse, Irlande, Bretagne : le réveil des Celtes au 20e siècle

C’est samedi 7 avril que se déroulera le colloque de l’Iliade, institut pour la longue mémoire Européenne, sur le thème « Fiers d’être Européens ». Un colloque durant lequel devait intervenir Yann Vallerie, notre rédacteur en chef, qui ne pourra finalement pas y tenir sa place.

Nous vous proposons donc ci-dessous, pour vous mettre en appétit et pour décider les derniers à se rendre à ce colloque exceptionnel (inscriptions ici), de retrouver l’intervention qui était prévue avec pour thème : « Écosse, Irlande, Bretagne : le réveil des Celtes au 20e siècle ».

Quel point commun entre la prise de la poste de Dublin, en cette Pâques 1916, le concert d’Alan Stivell à l’Olympia en 1972 et la sortie du film Braveheart, avec Mel Gibson, en 1995 ?

Chacun de ces évènements, à son niveau, politique ou culturel, a symbolisé ou a contribué à déclencher le réveil d’un peuple refusant que son destin ne soit scellé dans l’Histoire. Je vais essayer, succinctement, d’y revenir et d’en expliquer l’importance.

Pâques 1916 : Une ballade irlandaise sanglante

Pâques 1916, encore appelé les Pâques sanglantes, ce n’est pas le réveil de toute l’Irlande face à l’occupant anglais. Non, c’est bien la mobilisation d’une petite minorité agissante qui, comme bien souvent dans l’histoire, va faire basculer le cours des choses.

Ils s’appelaient Patrick Pearse, Michael Collins, James Connolly, Thomas J. Clarke, Eamon de Valera, Sean McDiarmada, Joseph Plunkett, Constance Markievicz ; ils n’avaient politiquement en commun que l’aspiration à la fondation d’une Irlande libre et unifiée. Ils se sont battus pour cela, en ont payé de leur vie pour la grande majorité, et ont enclenché un processus amenant à la création de la République d’Irlande par la suite.

Une République qui est née dans le sang, dans la violence, dans la répression britannique et dans la guerre civile entre Irlandais partisans du traité de Londres (Irlande sans les deux tiers de l’Ulster) et opposants à ce traité, emmené par De Valera.

Une République qui est aujourd’hui, un siècle plus tard, membre à part entière de l’Union européenne, et dans laquelle les Irlandais s’épanouissent sans les Britanniques, tandis qu’au-delà de la Frontière nord-irlandaise, une guerre civile a ensanglanté l’Ulster pendant plusieurs décennies, chaque communauté, loyaliste protestante comme nationaliste républicaine, défendant sa culture, ses traditions, son appartenance, de façon non négociable.

Les accords du Vendredi Saint, la formation d’un gouvernement d’union aujourd’hui défait, la fatigue de la guerre civile et de l’instabilité permanente, auront sans doute, demain, pour conséquences, de permettre l’unification irlandaise.

À la seule condition que les Irlandais, respectant les protestants et les loyalistes qui, n’en déplaise à ceux qui méconnaissent l’histoire de l’Irlande, leur laissent une autonomie au sein d’une Irlande unie, et respectent leurs traditions, leurs coutumes, leur religion. Car oui, les protestants sont aussi bel et bien chez eux depuis plusieurs siècles en Ulster,

En un siècle, l’Irlande qui durant son histoire fût souvent conquise, jamais soumise, a donc parfaitement réussi son entrée dans le concert des nations souveraines qui composent la civilisation européenne. De nombreux défis l’attendent désormais, de celui de la réunification à la préservation de la langue gaélique, en total déclin dans sa pratique courante malgré son enseignement obligatoire.

Sans oublier le principal : sa préservation ethnique, à l’heure où des flots d’Africains et d’Asiatiques marchent vers une Europe dont certains dirigeants ouvrent les portes. Comme me disait toutefois un ami de Wesport, contrairement aux Anglais, aujourd’hui colonisés par les peuples qu’ils ont colonisés, les Irlandais n’ont colonisé personne, et ont résisté à toutes les invasions ; il n’y a donc aucune raison que les nouveaux envahisseurs réussissent là où Vikings et anglais ont échoué durant des siècles et des siècles.

Olympia 1972 : Alain Stivell réveille le peuple breton

« Tri Martolod, yaouank, lalalala… ». Alan Stivell, qui fait sonner sa harpe ce 28 février 1972 dans un Olympia qui affiche complet, ne le sait pas encore, mais il vient de sonner le réveil culturel et identitaire de la Bretagne et du peuple breton à qui les 1,5 millions d’exemplaires vendus par la suite redonneront toute sa fierté.

Avant ce concert, l’idée bretonne n’avait-il est vrai eu de cesse de se développer dans la première moitié du 20e siècle, avec toute cette génération Breizh Atao particulièrement active. Roparz Hemon unifiant la langue bretonne, Morvan Marchal offrant un drapeau à son peuple, les cercles celtiques se constituant au son des instruments celtiques, le mouvement politique breton développant l’idée que comme l’Irlande, une indépendance de la Bretagne était souhaitable et possible.

Oui, mais voilà, la Seconde Guerre mondiale passa par là, et l’intégralité de ce qui avait fleuri du particularisme breton dans la première moitié du vingtième siècle fût assimilée, sous les coups de zèle des vainqueurs, à Hitler et au nazisme en raison de la collaboration avec l’occupant allemand plutôt qu’avec l’occupant français d’une centaine de jeunes hommes idéalistes à qui on avait promis l’indépendance de leur pays.

Après 1945, la revendication bretonne devint maudite, proscrite, honteuse.

Heureusement pour ce pays, des hommes et des femmes ne se résignèrent jamais. Chanteurs, musiciens, poètes, écrivains, mais aussi plastiqueurs et politiciens, plusieurs d’entre eux se distinguèrent dès les années 60 pour leur combat en faveur de la Bretagne, s’appuyant à l’époque sur les luttes de décolonisation qui se déroulaient dans le monde entier.

C’est dans ce contexte, celui d’une Bretagne en marche vers une forme d’émancipation identitaire, politique et culturelle, qu’Alan Stivell joue à l’Olympia, lui qui joua également en soutien, comme Servat, Glenmor ou d’autres, aux prisonniers politiques bretons.

Ce concert servira, dans les têtes de beaucoup d’activistes bretons quel que soit le domaine de prédilection, de détonateur. Détonateur, car dans la foulée, jamais les attentats perpétrés par le FLB et l’ARB ne furent aussi nombreux, des centaines de jeunes se portant volontaire pour « botter le cul “de l’État central français comme les cousins irlandais le faisaient avec les Britanniques.

Puis il y’eut les écoles Diwan pour la langue bretonne en 1977, la multiplication des autocollants BZH sur les plaques de voiture (ce qui était interdit à l’époque), l’incroyable développement des fest-noz, et les quelques avancées obtenues ensuite, pour tout l’hexagone, en matière de décentralisation.

Aujourd’hui, même sans être inscrite dans la Constitution, la spécificité du peuple breton est naturellement reconnue, et le concert d’Alan Stivell à l’Olympia en 1972 peut être considéré comme un des actes fondateurs du renouveau de la Bretagne dans la seconde partie du 20e siècle.

Un renouveau qui ne s’est toutefois pas traduit, à la différence de l’Irlande, par le réveil d’un peuple, politiquement parlant : jamais les Bretons ne sont parvenus à obtenir un statut d’autonomie spécifique comme l’appelaient de leurs vœux les nationalistes bretons.

Jamais pour le moment encore, les mouvements politiques bretons ne sont parvenus à peser sur le vote de la population en leur faveur. Jamais les combats politiques sur l’indépendance, sur l’autonomie, et cela malgré des sondages prometteurs, n’ont provoqué le réveil de ce peuple.

Sans doute l’amateurisme du mouvement politique breton, son entêtement à se voir comme représentant d’un peuple colonisé de Palestine ou d’Algérie, son assujettissement aux dogmes de la République française (droits de l’homme, république, immigration ouverture au monde…) sont-ils des pistes de réflexion pour comprendre ce blocage devenu presque mental.

La Bretagne n’a toutefois pas dit son dernier mot.

Conclusion

En conclusion, ces deux exemples témoignent du renouveau celtique au 20e siècle, en Bretagne comme en Irlande.

Mais il serait impossible de conclure sans évoquer l’actualité en ce début de 21e siècle, venue d’Écosse.

Le 18 septembre 2014, les Écossais se sont en effet prononcés contre le référendum sur l’indépendance de leur nation (44,7 % pour le oui). Mais, car il y a un, mais : 71 % des 16-17 ans, 48 % des 18-24 ans, 59 % des 25-34 ans et 52 % des 35-44 ans ont voté pour l’indépendance

Ceux qui ont permis le maintien de l’Écosse au sein du Royaume-Uni sont en effet les retraités et les immigrés, deux freins à l’indépendance du pays de William Wallace.

William Wallace, un nom qu’aujourd’hui tout le monde connaît suite à l’interprétation de sa vie qu’en a faite Mel Gibson dans son film légendaire, Braveheart, sortit en 1995. Comme avec Alan Stivell à l’Olympia, on peut d’ailleurs se demander si ce film, qui retrace la guerre médiévale entre Écosse et Angleterre, n’a pas contribué à faire émerger la génération indépendance qui s’agite aujourd’hui.

Car il est évident, malgré ce premier échec au référendum, que le réveil de l’Écosse est en marche.

Un réveil qui, comme les Irlandais, comme les Bretons, comme les Celtes, et comme tous les petits peuples d’Europe, ne pourra se prolonger et se renforcer que si ces derniers prennent conscience du nécessaire besoin d’unité au sein de la civilisation européenne.

Une unité dans la diversité pour parer à des menaces bien plus grandes que celles représentées par l’empire britannique ou par l’état jacobin français pour les exemples que nous avons évoqué.

Cette menace, c’est celle de la submersion migratoire et à terme, de la disparition ethnique et culturelle de tous ces peuples, nos peuples d’Europe.

Oui, l’Irlande, comme la Bretagne, comme l’Écosse, doivent pouvoir être des nations libres et souveraines. Mais elles doivent aussi chacun apporter leur pierre à notre édifice commun nommé Europe.

Car l’Europe, aujourd’hui, nous appelle tous pour la défendre !

Yann Vallerie

Crédit photos : DR
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