« Comment réagir contre la montée de l’extrême droite en France et en Europe » : ce vaste programme était le thème de la conférence-débat organisée le 28 mars à Nantes par le Collectif unitaire nantais contre l’extrême droite et ses idées. Celui-ci regroupe des syndicats (CGT et Solidaires), le Nouveau parti anticapitaliste et diverses associations d’extrême gauche comme le MRAP, ATTAC, la Ligue des droits de l’homme etc. Ni le PS, le PC et la France insoumise n’y sont représentés. Les débats étaient animés par un vieux militant trotskyste, le responsable de Solidaires Jean Brunacci. L’invité vedette était Bernhard Schmid, avocat, ancien juriste du MRAP national, membre du collectif VISA (Vigilance et initiatives syndicales antifascistes).
En introduction, Bernhard Schmid opère une distinction entre extrême droite et populisme, ce dernier étant « une méthode et non un contenu ». Selon lui, les populistes peuvent être de gauche ou inclassables comme le Mouvement 5 étoiles en Italie. Il estime que le FN n’est pas populiste. Il développera ensuite une analyse assez fine de l’histoire de ce parti : d’abord pro Reagan et libéral puis devenu antiaméricain lors de la 1ère guerre d’Irak en 1991. Il fut un vrai «front», parvenant à regrouper catholiques intégristes et une nouvelle droite non chrétienne, Jean-Marie Le Pen en faisant la synthèse. En dépit de ses scores électoraux plus importants de 2014 à 2017, le FN de Marine Le Pen est, souligne Schmid, dans une impasse, incapable de choisir entre deux lignes : « alliance avec la société bourgeoise et conservatrice » compatible avec le libéralisme économique et une ligne plus sociale qui fut celle de Florian Philippot surfant sur « la colère des exclus », ce que Schmid n’hésite pas à appeler « le fascisme en mouvement ». Pour lui le FN mariniste n’a pas d’alliés, il échoue à tous les seconds tours des élections et « rien n’est sorti de son dernier congrès ».
Selon Schmid, la situation en Europe est beaucoup plus inquiétante, l’extrême droite y progresse partout : Hongrie, Pays-Bas, Suède, Autriche, Allemagne, Italie… Elle participe même au pouvoir comme en Bulgarie et surtout en Autriche avec le FPÖ « directement nazi ». Et en Italie, « le pire n’est pas à exclure » suite aux dernières élections.
Les urgences pleines de victimes des « fachos » ?
La seconde intervention fut celle d’une militante du NPA. Elle portait sur l’extrême droite en Bretagne et Pays de la Loire. Ignorant totalement un Front national « plus faible qu’ailleurs », l’intervenante, passablement excitée, dressa le tableau apocalyptique d’une région où « les groupuscules ultra radicaux » tiennent quasiment le haut du pavé, comme à Nantes depuis 2016. Ce sont « des fils de bonnes familles, aristos, cathos tradis qui font le coup de poing ». Ils bénéficient de réseaux médiatiques comme le site Breizh Atao qui n’hésite pas à dénoncer nommément des « camarades ». Ils sont les auteurs « d’actes violents racistes et fascistes envers les migrants », ajoutant même : « la police protège les fachos, et il y a une collusion avec la BAC et les CRS ». Notre militante NPA les voit aussi « déambuler en ville, casqués, cagoulés avec des barres de fer multipliant passages à tabac et lynchant les jeunes Maghrébins ». Emportée par sa vision proprement hallucinatoire, elle ira jusqu’à affirmer que « les urgences en sont pleines ! » (sic).
Pire encore : les « fachos » ont aussi réussi à infiltrer le mouvement breton et à envahir les tribunes des stades de Nantes, Rennes et Angers, et tout cela « avec la complicité de l’appareil d’État ». Pas moins !
Former une « milice » ?
Après avoir bien chauffé le public – majoritairement formé d’anciens soixante-huitards et de quelques « antifas », certains spectateurs réagirent en proposant de former une « milice » -terme plutôt malheureux et immédiatement condamné – dont l’action pourrait se résumer ainsi : « pour un œil les deux yeux, pour une dent toute la gueule ! ». Pour un intervenant il faut associer au combat antifasciste « les gays et les meufs » (sic), ajoutant que le GUD est le service d’ordre du FN, tout en citant quelques noms pour faire bonne mesure.
Beaucoup plus posée une sympathisante d’Amnesty international propose mais sans succès de « discuter avec ceux qui ont voté FN dans un espace de dialogue sur les peurs et les colères ».
Se revendiquant de sa judaïté, une intervenante affirme que « l’antisionisme est la forme nouvelle de l’antisémitisme ». Que n’avait-t-elle pas dit là !
Plus intéressante et significative, l’intervention de la responsable de la compagnie du Théâtre d’ici et d’ailleurs. Celle-ci a présenté à plusieurs classes de jeunes scolaires de la maternelle au primaire de la ville de Carquefou un spectacle militant et de « sensibilisation » sur les Roms intitulé « A ciel ouvert » dans le cadre de la semaine d’éducation contre le racisme et l’antisémitisme. Soulignant que « c’est surtout le privé qui a répondu », elle se félicite que cela ait très bien marché sur « les bouts de chou » et que les maires de Carquefou et de Sainte Luce sur Loire (mairies de droite NDLR) aient soutenu le spectacle en y assistant.
L’abandon de la défense de la classe ouvrière pour des combats sociétaux
Quelles conclusions tirer de cette soirée ? Aucune explication politique sociologique ou culturelle n’a été donnée sur ce que les organisateurs appelaient « la montée de l’extrême droite ». Si cette extrême gauche garde encore quelques expressions de son passé marxiste – « la bourgeoisie, l’appareil d’État … » – elle a clairement abandonné la défense de la classe ouvrière pour des combats sociétaux avec en premier lieu la défense et la promotion des migrants, comme l’a fort bien analysé Jean-Claude Michéa. Un intervenant l’a d’ailleurs reconnu : « le mouvement ouvrier et ses organisations est en pleine déconfiture », le représentant de la CGT déplorant que dans certains départements comme le Var ou le Vaucluse « des sections entières sont gangrenées », alors que pour un autre « la mouvance Dieudonné Soral a fait beaucoup de dégâts » même chez certains jeunes issus de l’immigration.
Constatant que: « le ventre est encore fécond d’où est sorti la bête immonde » (Brecht) ces militants veulent « faire un travail idéologique de masse avant de s’auto armer ». Sans percevoir que le mot révolution, si chargé d’histoire, a aujourd’hui changé de camp.
Lise Eon
Crédit photo : Breizh-info.com
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