Ce mardi 20 mars, à 12h, suite à la semaine de blocage et à la montée des tensions avec la présidence, les étudiants se réunissent à nouveau en AG, à Censive en amphithéâtre 2. Le campus avait pourtant enfin rouvert lundi. La réaction du président Olivier Laboux au sujet du caractère extrêmement minoritaire des bloqueurs – le dernier blocus a été voté à 38 voix pour et 40 abstentions – semble s’être retournée contre lui : environ 600 personnes y sont présentes, des étudiants de Lettres, Langues et Sciences Humaines en grande majorité, quelques scientifiques, des représentants du personnel et des personnes extérieures à l’université. Le collectif Nantes Libre, opposé aux blocus, a de son côté lancé une pétition en ligne.
Suite au retour sur la journée du 15 mars, la proposition de soutien inconditionnel envers tout étudiant arrêté, quelle qu’en soit la raison est votée – pour rappel, 200 étudiants et militants d’ultra-gauche avaient rejoint la manifestation peu fournie des retraités et s’étaient opposés à la police au pied de la Tour Bretagne ; trois avaient été arrêtés, deux pour outrage, un troisième pour jets de projectiles. Une majorité se prononce favorable, malgré un fort taux d’abstention ou vote blanc.
Ensuite, la Coordination Nationale des Luttes qui se tenait à Rennes 2, les 17 et 18 mars, et à laquelle des militants de l’ultra-gauche nantaise participaient, présente son communiqué. Celui-ci est adopté par vote à une très grande majorité avec un moindre taux d’abstention cette fois, notamment le principe de solidarité entre les différentes universités de France.
La fac du Mirail placée sous tutelle à Toulouse radicalise les bloqueurs à Nantes et ailleurs
D’ailleurs, un exemple concret se présente quelques instants plus tard, quand un étudiant annonce que l’université de Toulouse est passée sous tutelle du rectorat et que la police intervient sur le campus pour évacuer la faculté. L’université du Mirail est en effet totalement bloquée depuis trois semaines par des centaines d’étudiants et une partie du personnel ; le ministre de l’Enseignement supérieur Frédérique Vidal a dissous ses conseils, un administrateur provisoire a été nommé, l’université est sous tutelle administrative. Une opération policière a été rapidement annoncée, puis démentie alors que les bloqueurs rejoints par une partie du personnel dans cette université très militante occupent plusieurs bâtiments.
Une manifestation sauvage a été organisée dès mardi soir dans Paris, avec une marche dans le Quartier Latin, en soutien à Toulouse II. Le blocus de l’université de Nantes est voté pour dès le lendemain mercredi en solidarité par trois quart des participants – soit 450 personnes qui décident pour les 9313 étudiants du campus Tertre (hors faculté de Droit). Le blocus n’est plus voté par 40 personnes mais reste tout de même très minoritaire. De même pour la SNCF, obligée de ne faire grève que deux jours sur cinq par compromis entre les divers syndicats, les étudiants seraient prêts à aller bloquer les gares les jours où ils n’y a pas grève en soutien aux cheminots.
Puis la question lycéenne est mise en jeu, avec de rares lycéens ultra-politisés qui aimeraient que des étudiants viennent aider à bloquer leur lycées. Notamment, pour le 22 mars, Jules Verne et Clémenceau auraient bien tenté un blocus avec l’appui des militants d’extrême-gauche de la faculté. Cependant, les étudiants estiment qu’il serait trop risqué de bloquer les lycées avec seulement deux lycéens. Par contre une AG mixte étudiante-lycéenne est votée pour mercredi 21 à 18h en amphi D et E.
Le personnel administratif « en grande souffrance » à cause des blocus
Enfin, le sujet assez épineux du blocus est remis sur la table. Pour les militants d’ultra-gauche – dont le noyau dur ne compte qu’une dizaine d’étudiants sur le campus Tertre, « le blocus, ça marche ! », et ils en veulent pour preuve qu’après une semaine de blocus, l’AG rassemble énormément de monde, et que les « répressions » policières à leur égard, montreraient qu’ils sont « une puissance qui les fait flipper ! ». Et cependant, dans l’amphi, un quart des personnes environ, se prononçaient contre les blocus, tout en étant d’accord qu’il fallait se battre contre la loi ORE (plan Vidal).
Un représentant du personnel intervient contre ces blocus répété, évoquant un « personnels administratifs […] en grande souffrance, […] des gens qui sont au bord de la dépression nerveuse ». Elle demande notamment, au moins à défaut de cesser les blocus, de prévenir le personnel « pour qu’ils aient le temps de s’organiser un minimum, au moins leur laisser une demie journée que les enseignants chercheurs ne se retrouvent pas avec tout leur matériel bloqué dans leur bureau pendant plusieurs jours, parce qu’ensuite ils sont dans l’incapacité de répondre à leurs missions qui ne sont pas celles de l’enseignement mais celles de la recherche et qui font que l’université de Nantes passe pour des branleurs parce qu’on est incapable de répondre ».
« Bloquer tout le monde » et amphis réquisitionnés de force
Les étudiants de lettres, en même temps que tenter de mobiliser les lycées, cherchent aussi à entrainer les sciences. Et ils ont laissé entendre la possibilité que, pour jeudi, les facultés scientifiques soient aussi bloquées. « Juste parler pour ceux qui sont en fac de sciences ! C’est important aussi qu’on fasse un blocus en fac de sciences, par ce que je veux dire, jeudi, faut mobiliser tout le monde… On a voté un blocus, et il faut un max de monde, ce serait bien que tout le monde soit là dès 7h ! Il faut bloquer tout le monde, c’est-à-dire lettres, sciences humaines, sciences, on s’en fout, mais tout le monde… qu’on puisse tous se retrouver à 10h30 », déclare une étudiante scientifique à l’allure très BCBG – peu probable qu’elle soit forcée de travailler pour payer ses études.
L’AG fait une coupure à 14h, pour aller réquisitionner de force les amphis D et E du campus Tertre pendant l’intercours. Les têtes du mouvement, militants d’ultra-gauche, se dirigent résolument vers le bureau, et prennent le micro, arrêtant le professeur qui n’avait pas terminé. Ils comptent y dormir, afin d’être directement sur le campus mercredi. Et pourtant, l’amphi pour l’AG du midi leur avait été donné rapidement et sans faire de problème. C’est la diplomatie de l’extrême-gauche, « ouverte au dialogue et pacifique » . Mais sur ses positions.
« Plusieurs dizaines de manifestants bloquent le campus Tertre, réactions critiques des étudiants
L’Université de Nantes a diffusé ce mercredi matin un court point d’information : « suite au blocage mis en place ce matin par plusieurs dizaines de manifestants, les cours ne peuvent se tenir ce matin dans les bâtiments suivants : bâtiment Tertre, Censive, Igarun, Faculté des langues et cultures étrangères, Recteur Schmitt (sauf pour les étudiants du Service Universitaires des Langues). Les personnels ont accès aux bâtiments ».
Les cours sont aussi suspendus dans le même périmètre l’après-midi. Ce qui fait réagir les étudiants : « Donc « plusieurs dizaines de manifestants » empêchent des milliers d’étudiants d’avoir cours ? Sympa », s’interroge l’un d’entre eux. « Si on peut appeler ça se battre… Faire c**** tout le monde plutôt », assène un autre. « Ils généralisent surtout leurs combats aux autres étudiants. Ils croient penser pour le bien de tous en agissant ainsi alors que leur opinion est loin d’être majoritaire », résume le premier. Un autre encore ironise : « les mecs veulent un diplôme pour pas être au chômage et ils vont pas en cours mdrrrrrrrrr ».
Alors qu’une étudiante trouve « vraiment énervant » qu’il n’y ait pas de cours, un autre est plutôt blasé : « Comme d’hab, protestations, tout ça tout ça, fin la fac de lettres tu sais ». Une mère réagit : « gestion de cette situation lamentable…..une fac débordée par une dizaine de manifestants……pppfffff en tant que parents nous trouvons cela complètement surréaliste et inacceptable comme situation ». Un étudiant s’énerve : « Il y en a marre. Et nos études de quelle manière on les mènent ? Nous sommes privés de formation par un groupuscule ».
Un autre parent d’étudiant en a après la gauche en général et rappelle le saccage du château du Tertre par les squatteurs et l’ultra-gauche : « Nous sommes à Nantes la capitale du vivre ensemble ou tout le monde il est beau tout le monde il est gentil, évidemment sous la coupe d’une très gentille maire socialiste qui laisse les migrants envahir une maison de retraite après les avoir laisse occuper le château du tertre et bloquer les facs, le tout dans une insécurité grandissante que ces chers élus nous masquent avec leur transition énergétique et tout le touin touin écolo habituel si cher à la gauche si bienveillante ».
L’université des bloqueurs : atelier d’autodéfense en manif et cours de lancer de pavés
La fac est effectivement bloquée mais pas fermée – même si les entrées côté campus du bâtiment Censive sont barricadées, les bloqueurs organisent des activités pour les étudiants : « – 9h: Réunion sur les inégalités scolaires ; 10h: Comité de mob’ ; 12h: Formation: « De windows à Linux, protège-toi! » (amène ton PC) ; 14h: Présentation d’une école alternative, le lycée expé’ ; 16h: « Regard sociologique sur les inégalités scolaires » et atelier d’autodéfense en manif ». Un autre demande s’il y a « un créneau de libre à 17h petit cours de « lancé de pavés » ? ». Un autre demande pourquoi les facs de droit et STAPS (sport) sont épargnées sur le campus, un étudiant lui répond : « en éco droit et staps il y’a une très faible concentration de glandu ? Parce qu’ils ont autres choses à faire que de rien foutre de leurs journées ? ».
Bien protégé par des militants placés un peu partout, le comité de mobilisation décide en (très) petit comité, des suites de l’action et des actions adoptées pendant la manifestation du 22 mars. Le même planning prévoit pour le vendredi un « pique-nique en regardant le patriarcat et le capitalisme brûler ». Et la « Révolution ». Rien que ça !
Sur la page Facebook du collectif d’ultra-gauche Université de Nantes en lutte, un étudiant – qui travaille pour payer ses études et s’inquiète pour son année demande quand le blocus sera fini. Un militant lui répond : « dans l’idéal c’est bientôt fini, on attends que le projet de loi ORE soit avorté, qu’on donne plus de moyens aux universités, potentiellement qu’on enlève pas le statut de cheminot, qu’on donne de meilleures conditions de travail aux EHPAD, au travail en général, qu’on embauche plus de profs, que l’État donne un logement (et des papiers) aux exilés, qu’il déclare la guerre à la Turquie et quelques autres trucs, mais une fois qu’on a ça on arrête ». Bref, jamais.
Collectif Nantes Libre : « Olivier Laboux, le président de l’Université, semble totalement dépassé »
Le collectif Nantes Libre, opposé aux blocages, a lancé une pétition en ligne. La situation de l’Université de Nantes, perturbée depuis plusieurs semaines, semble aussi commencer à intéresser certains élus nantais, étonnamment silencieux depuis le début des blocages. Sébastien Pilard, Laurence Garnier ou encore Julien Bainvel ont ainsi soutenu cette pétition. « Il est intolérable que les manifestants empêchent les autres étudiants d’étudier », a ainsi tweeté Sébastien Pilard. Pour Julien Bainvel, « Rien ne justifie les blocages. L’accès à @UnivNantes doit être rétabli ». Et Laurence Garnier s’est fendu d’une réaction-slogan : « Oui à la liberté de manifester, oui aussi à la liberté d’étudier ».
Mais la droite nantaise, restée de marbre après que clandestins et ultra-gauche aient saccagé le château du Tertre occupé de novembre à mars, se réveille un peu tard… peut-être parce qu’il n’y a pas d’échéances électorales bientôt, donc pas de raison de se mobiliser ?
Je vous invite à signer la pétition de @NantesLibre pour demander la fin des blocages et la reprise des cours à l’université de Nantes !
Il est intolérable que les manifestants empêchent les autres étudiants d’étudier. #Nanteshttps://t.co/SQhm2hG2iG— Sebastien Pilard (@spilard) 19 mars 2018
Oui à la liberté de manifester, oui aussi à la liberté d’étudier. https://t.co/fNgS4Cnjam
— Laurence Garnier ن (@LGarnier44) 21 mars 2018
Rien ne justifie les blocages. L’accès à @UnivNantes doit être rétabli. Les étudiants qui le souhaitent doivent pouvoir suivre leur scolarité normalement. https://t.co/NdDIISEeME
— Julien Bainvel (@julienbainvel) 21 mars 2018
Le collectif Nantes Libre a aussi « contacté l’ensemble des associations étudiantes et BDE présents sur le campus afin d’organiser un rassemblement [contre les blocages]. Malgré les beaux discours, ils ont tous refusé de se mobiliser, y compris InterAsso (qui dixit ne souhaite pas de « rapport de force ») ». La plupart des collectifs refusent de prendre position sur des événements politiques et laissent leurs membres décider à titre individuel.
Le collectif Nantes Libre nous a transmis une déclaration : « depuis plus d’une semaine, des barricades sont déposées pratiquement chaque matin sur le campus de l’université de Nantes afin d’empêcher des milliers d’étudiants d’accéder à leurs bâtiments. Les revendications des mouvements contestataires se multiplient, dépassant le cadre universitaire, voire le cadre national. De nouvelles raisons pour bloquer sont quotidiennement inventées et les étudiants sont chaque jour davantage exaspérés ».
Le collectif Nantes Libre fait état d’un climat délétère : « les partisans des blocages sont de plus en plus agressifs et toute contradiction est censurée, même au sein du personnel de l’université. Pour autant, Olivier Laboux, président de l’université, semble totalement dépassé par les évènements et cède à chaque caprice des activistes. Il refuse de protéger ses étudiants et laisse l’anarchie s’installer sur le campus. C’en est trop ! Si le président de l’université n’agit pas très vite, seule une intervention des forces de l’ordre pourra débloquer la situation »
Ou une dissolution des conseils de l’Université et un placement de l’Université de Nantes sous tutelle, comme au Mirail… Faudra-t-il que le président Olivier Laboux démissionne ou le soit d’office par le Ministère pour que les étudiants nantais puissent revenir à leurs études et passer leurs partiels dans de bonnes conditions ? Pour que le personnel ne soit plus « en grande souffrance » et que la recherche scientifique puisse continuer ?
Hélène Lechat
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