Augustin Morvan, une laïcité « à la Bretonne »

Le Dr Augustin Marie Morvan est dans le Finistère, une figure historique de la fin du XIXème siècle. Élu de la Gauche Républicaine, le parti qui a mis en place l’école laïque et obligatoire, il a mené de front une riche carrière médicale, et une carrière politique longue de 30 ans, entre 1857 et 1897. Il appartient également à l’histoire de la laïcité en Bretagne, développant une laïcité originale, à la Bretonne, à la fois moderne pour l’époque, modérée, enracinée et respectueuse du Christianisme Breton.

A l’origine de la Loi Morvan-Roussel sur la protection de l’enfance malheureuse mais aussi d’une loi sur l’assistance publique obligatoire (ancêtre de la Sécurité Sociale), le docteur-Député a traversé les grands débats de son siècle sur la laïcité et sur l’assistance publique, privée ou confessionnelle. Sa laïcité lui a valu une chute politique brutale, orchestrée par les milieux conservateurs et une presse Quimpéroise hostile.

Issue du Léon, le pays des prêtres, son histoire préfigure un sécularisme social qui aura finalement prévalu dans la Bretagne du XXème mais est maintenant réinterrogé sous de nombreux aspects.

Une carrière médicale impressionnante

Augustin Morvan est d’abord une sommité médicale : il commence ses études de médecine à Brest,  les poursuit à la Faculté de Paris, avant d’être reçu interne dans le service du chirurgien de l’Empereur. Il découvre la Maladie de Morvan, le myxédème ou hypothyroïdie courante en Bretagne Occidentale, rédige des travaux sur l’hygiène opératoire, la parésie analgésique, la chorée fibrillaire et les arthropathies.

Il est correspondant de l’Académie de médecine, tout en tenant consultation à Lannilis. Il soigne gratuitement les pauvres pendant ses mandats, y gagnant le surnom de « Médecin des pauvres », mais aussi les critiques de ses ennemis : Monarchistes légitimistes, Orléanistes, Bonapartistes de la région de Brest ou de Quimper.

A sa mort en 1897, à un enterrement où se pressent ses nombreux patients, ces derniers sont surpris des honneurs et des plus hautes distinctions envoyées à leur médecin par la lointaine et parisienne Académie de médecine. Dans sa famille Morvan et Laporte, s’illustreront par la suite de nombreux médecins qui tenteront de suivre son exemple.

L’hôpital de Brest, reconstruit en 1945 après les bombardements anglo-saxons, est placé sous son patronage et nommé Hôpital Augustin-Morvan. Intégré au CHU, l’Hopital Morvan est devenu peu après un hôpital spécialisé en pédiatrie : la mémoire du Dr Morvan est honorée à la fois pour ses nombreuses découvertes, mais également comme celle du médecin des enfants pauvres du Léon.

« Le père des putains »

Le député Morvan est un député particulier: né à l’Aber Wrac’h à Foz Nevez, il est confronté à la réalité du terrain. Elu Maire en 1848, de 1856 à 1867, puis en 1880, il est salué de tous pour son action municipale : réélu en 1862 avec 97% des voix, il est Conseiller Général de 1864 à 1871.

Patricien et clinicien au contact de la population, il développe des convictions à rebours de son milieu familial Léonard, rural et catholique, que hantaient encore les souvenirs de la Terreur de 1793. Il intègre la Gauche Républicaine, un courant républicain dit modéré, à gauche, en début de IIIè République.

Les Républicains Modérés diffèrent à l’époque des Radicaux, l’extrême gauche de l’assemblée nationale, et des Monarchistes libéraux raillés à la République. Quand Augustin Morvan est élu Député du Finistère, le Finistère est représenté en 1871 par 5 députés de Gauche Républicaine contre 12 Monarchistes.

Pour Augustin Morvan comme pour ses amis, leur vision de l’équilibre politique s’appuie sur un alliance tacite entre la petite bourgeoisie urbaine et une paysannerie rurale qu’il convient d’aider dans son quotidien.

A ce titre, le député Morvan s’investit dans son madat de parlementaire : ses activités sont consacrées par la fameuse loi Morvan-Roussel sur la protection de l’enfance malheureuse, loi qu’il a personnellement conçue. Il est à l’origine de la loi sur l’assistance publique obligatoire, qui va faire couler beaucoup d’encre. Son engagement est de « protéger les pauvres » qu’il recontre chaque jour dans sa commune, les enfants abandonnés et, bravant l’opinion publique, il révolutionne l’esprit social de cette fin de siècle en se penchant sur la triste situation des « filles-mères ». Les filles mères sont alors une catégorie de la population exclue, pour des raisons morales, de toute bienfaisance privée et confessionnelle.

Son activité parlementaire, son rôle dans l’assistance sociale rendue obligatoire et gérée par les pouvoirs publics , son soutien aux « filles-mères », lui vaut une haine féroce de la part de l’ensemble des Royalistes et du haut clergé Quimpérois.

Plusieurs forces s’affrontent sur le cas Morvan : d’un côté, le journal L’Électeur Brestois le soutient, de l’autre Feiz ha Breizh et l’ensemble de la presse Quimpéroise le fustigent, le qualifiant de vendu, d’opportuniste, et de père de toutes les putains.

Les milieux monarchistes utilisent cette expression dans tout le Finistère et jusque sous les fenêtres de sa maison : « Lannilisiens, vous avez élu un maire indigne, vous avez voté pour le défenseur des putains. Le docteur Augustin Morvan, est le père des putains » clament les Monarchistes sur la grande place de Lannilis.

Lorsque Augustin Morvan meurt peu à peu de paralysie à la suite d’un accident cérébral, son biographe, l’Officier Jacques Arnol, en évoque l’interprétation qu’ont pu faire alors ses ennemis politiques : celle « d’une punition divine ».

Une laïcité modérée

Augustin Morvan est issu de l’aristocratie paysanne particulière au Léon.

A titre personnel, Augustin Morvan est pratiquant et se rend à la Messe dominicale. Maire, ses relations sont exécrables avec le clergé et la hiérarchie basés à Quimper mais il maintient de bonnes relations avec celui de Lannilis dont il obtient régulièrement le soutien sur des affaires municipales. Cette situation prend fin en 1880 lorsqu’il soutient les lois de l’assistance publique généralisée à tous et des aides médicales d’État : la rupture politique avec l’église devient alors définitive.

Anecdote parlante, c’est sur les conseils de l’Abbé Abgrall, le recteur de Lannilis qui se désole de le voir toujours célibataire à 45 ans, qu’il se marie. Il se marie avec Rosalie Kermaïdic, la fille de son premier amour, un amour contrarié, qui a donc vingt cinq ans de moins que lui, et qui est décrite comme une « véritable poupée » : cette union fait jaser jusqu’en préfecture du Finistère.

Ironie de l’histoire, sa femme lui interdit de se représenter lors des élections Législatives de 1880 qui ont eu lieu à la suite du décès de son successeur, le Député De Kerjégu : en effet, elle apprend la candidature de Monseigneur Freppel, évêque d’Angers, ancien professeur à la Sorbonne, que les catholiques de la région désirent vivement voir accéder au Parlement pour y défendre la cause des religieux menacés d’expulsion par un sectarisme ministériel virulent. Mme Morvan, ne peut admettre que son mari se présente contre un évêque et le docteur s’incline aussitôt.

Cependant, en période électorale, le docteur n’hésite pas à attaquer le Clergé, prétendant, par exemple, que deux séminaristes Lannilisiens se sont cachés durant les hostilités. Or, Lannilis ne compte à l’époque que 2 séminaristes : les abbés Yves Kerandel et Jean Fily. Ici le docteur est victime de sa partialité, juge l’historien Yves Nicolas en 1969. En effet, de par le Concordat, le clergé n’est pas astreint au service militaire : les séminaristes n’ont pas à se cacher. Sans doute auraient-ils pu s’engager volontairement comme le font plusieurs de leurs collègues Quimpérois, mais ils sont faibles de santé et meurent par ailleurs très jeunes. Enfin, le député Morvan oublie volontairement qu’un autre député du Finistère, le vicaire général du Marc’hallac’h, s’est, en 1870, engagé pour la durée des hostilités bien qu’âgé onze ans de plus que lui-même, lequel n’en a pas fait autant.

L’historien Yves Nicolas soupçonne dans sa famille un esprit réfractaire à l’église, constatant que « les enfants de la famille parviennent tous à des carrières intellectuelles, mais ne fournissent aucun sujet au clergé ». Sans exception, les enfants, petits enfants, arrière petits enfants, d’Augustin, sont médecins ou officiers ; mais ceux de sa petite sœur Marie Victorine sont sans exception médecins, officiers, avocats et avocate, ou… religieuses.

Un siècle d’avance sur la social démocratie Bretonne

Augustin Marie Morvan est aussi l’histoire d’une sécularisation de la société Bretonne, qui prend le soin de ménager l’Eglise, tout en restant intransigeant vis-à-vis de la main-mise du public sur l’aide sociale.

Intransigeant également est son engagement pour les familles monoparentales constituées d’une mère très jeune et de son enfant, à l’époque isolées et proscrites par la morale chrétienne.

C’est aussi l’histoire d’un homme qui travaille, jusqu’à son accident cérébral et sa longue descente aux enfers, sur des études médicales, et qui croit dans le progrès scientifique et à l’importance de l’hygiène.

Progressiste, laïc à la fois modéré dans la vie privée et intransigeant dans la sphère publique, Augustin Morvan semble avoir un siècle d’avance sur les mouvements politiques qui vont triompher en Bretagne après 1945. A son époque, en Bretagne, socialisme et marxisme n’ont pas d’expression électorale, et le docteur s’éteint également au début de l’Affaire Dreyfus. On ne connaît pas son avis sur la question, bien que sa correspondance fasse apparaître de très profonds ressentiments envers presse et milieux réactionnaires de Quimper qui rallieront les anti Dreyfusards.

A cette heure, les sociaux démocrates, les démocrates chrétiens et le christianisme social Breton, se sont fortement affaiblis et paraissent dépassés. De nombreuses voies politiques sont à explorer, mais le souci du collectif si présent chez le Dr Morvan reste toujours, dans un monde breton devenu très matérialiste, une source d’inspiration.

Yann Vallerie

Crédit photo : DR
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