Impossible de feindre l’étonnement lorsque Jean-Yves Le Drian a annoncé qu’il quittait le PS : « Le responsable du PS aujourd’hui, M. Rachd Temal, a déclaré il y a peu de temps ‘aucun ministre ne pourra voter’ et ‘il n’y a aucun socialiste au gouvernement’, donc j’en prend acte » (Jeudi 8 mars 2018).
Le départ s’est effectué par étapes. On avait déjà remarqué que lors de la campagne des régionales de décembre 2015, le discours du président du conseil régional sortant n’avait rien de particulièrement « socialiste ». Le programme brillait même par sa brièveté : « Pour la Bretagne avec Jean-Yves Le Drian ».
L’année suivante on remarque le recentrage de son lieutenant lorientais qui a hérité de se circonscription, Gwendal Rouillard, officiellement PS : « Je pense que le moment est venu pour la France d’avoir un gouvernement centre-gauche, centre-droit. ». Avec les centristes, « nous avons de nombreux points d’accord et je souhaite qu’on puisse gouverner ensemble » (Ouest-France, mercredi 14 septembre 2016). La messe est dite : Rouilllard joue au « rassemblement » au centre de l’échiquier politique parce que cela correspond à la vision du boss Le Drian. Si le patron donne le feu vert, le vassal n’a plus qu’à exécuter.
Après quoi, Jean-Yves Le Drian se rallie tout naturellement à Emmanuel Macron à la présidentielle, abandonnant à son triste sort le Breton de Saint-Renan et de Trappes, Benoît Hamon, candidat de la rue de Solférino. Fort civilement, celui qui était ministre de la Défense, explique : « Benoît Hamon est dans une logique que je respecte, qui a toujours existé au sein de la gauche, mais je constate que la mise en œuvre d’un tel projet ne correspond pas à la réalité des faits et à la capacité à faire. » (Ouest-France, vendredi 24 mars 2017). Le Drian et Hamon ne jouent pas dans la même cour !
Du flair politique, Jean-Yves Le Drian n’en manque pas. Qui connaît mieux que lui la carte électorale bretonne ? Qui sent mieux que lui le sentiment dominant chez les électeurs bretons ? Poser ces questions, c’est y répondre. Il a joué gagnant : en Bretagne (5), au premier tour de l’élection présidentielle, Macron fait la course en tête avec 28,94% des suffrages exprimés (23 avril). Au second tour, il écrase marine Le Pen avec 75,87% des suffrages exprimés (7 mai).
Un mois plus tard, on assiste à un raz-de-marée de la nouvelle majorité en Bretagne (5) : 30 sièges pour les marcheurs (LREM), 4 pour le MoDem et seulement 3 pour la droite. Un petit détail qui se passe de tout commentaire : à Lorient, le fidèle Rouillard est réélu avec l’enseigne LREM ! Il a franchi le Rubicon.
Voilà donc Jean-Yves Le Drian devenu un sans –parti puisqu’il a annoncé qu’il ne rejoindrait pas LREM. Pas tout à fait : « Mon parti, désormais, c’est la Bretagne comme cela l’a toujours été ». Car, si le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères demeure « social-démocrate » c’est parce qu’il se veut « régionaliste ». Mais ce n’est pas tout : « Je vais continuer bien sûr à agir pour la région, au sein de la majorité conduite avec talent par Loig Chesnais-Girard » (Ouest-France, vendredi 9 mars 2018).
C’est l’occasion pour une ennemie fidèle de Le Drian de se réveiller. Elle s’appelle Marylise Lebranchu, ancien député de Morlaix (1997 – 2017), et surtout secrétaire d’État aux PME (1997 – 2000), puis ministre de la Justice (2000 – 2002), alors que Lionel Jospin occupait Matignon. Parallèlement conseiller régional de Bretagne (1986 – 2015), elle rêvait de devenir présidente de la région à une période où son job de ministre en faisait la personnalité la plus importante du PS breton. Elle se voyait donc diriger la liste de gauche aux élections régionales de 2004 et elle ramait pour y parvenir.
Bien entendu, lors des sessions, Josselin de Rohan (RPR) qui présidait la région à cette époque, ne manquait pas une occasion de mettre en valeur le ministre Lebranchu, au détriment de Jean-Yves Le Drian, qui présidait le groupe socialiste. Dès l’ouverture de la séance, de Rohan donnait la parole à Lebranchu. Après un speech dynamique, cette dernière quittait l’hémicycle pour rejoindre Paris où ses responsabilités ministérielles l’attendaient. Il était clair qu’elle entendait s’imposer comme le leader de la gauche bretonne.
Ratage complet puisqu’aux élections régionales de 2004, Jean-Yves Le Drian parvint à conserver la direction de la liste de gauche et à l’emporter. Mme Lebranchu eut droit à un lot de consolation : première vice-présidente chargée de la politique territoriale et du développement de la démocratie régionale ; ce qui correspond à pas grand-chose en termes de budget.
Il lui faut attendre les régionales de 2015 pour connaître un enterrement définitif : elle figure à la dernière place de la liste Le Drian dans le Finistère. Notons qu’elle a reçu le prix Duguesclin de la société civile bretonne « récompensant » la personnalité qui a le plus agi contre les intérêts de la Bretagne (21 février 2015).
Après le départ de Le Drian du PS, l’ancien ministre de la justice va donc réagir en deux tweets : « Mais Jean-Yves Le Drian tu étais déjà parti depuis ton entrée au gouvernement ». Et : « Plus facile d’être ministre que de se battre pour que le socialisme réécrive un projet de société » (Ouest-France, vendredi 9 mars 2018).
Réécrire « un projet de société » pour le « socialisme », vaste programme. Des retraités de la politique ou des semi –retraités comme Lionel Jospin ou Martine Aubry n’y ont pas songé. Pourtant ce n’est pas le temps qui leur manque pour s’attacher à cette rude tâche. Il y a bien sûr Bernard Poignant (PS), ancien député-maire de Quimper et ancien conseiller de François Hollande, à avoir tenté de se persuader que « l’idée socialiste ne disparaîtra pas ». Mais comme il attend « des socialistes qu’ils respectent les engagements européens de la France et qu’ils acceptent l’économie ouverte dans le monde », on est d’avantage dans du social-libéralisme que dans du « socialisme » (Ouest-France, 27-28 janvier 2018).
Mais rien n’interdit à la très disponible Marylise Lebranchu de retrousser ses manches et de se mettre au travaille. On a hâte de savoir ce qu’elle entend par « socialisme » en 2018. Un essai consacré au « socialisme breton » serait également très utile ; cet ouvrage rendrait un fieffé service aux dirigeants de l’UDB dont le positionnement reste pour le moins flou.
Bernard Morvan
Photo : philippe Grangeaud/Solfé Communications / Wikimedia (cc)
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