La célèbre marque de guitares Gibson, prisée par les plus grands groupes de rock de la planète, connait aujourd’hui de très graves difficultés financières. La fin d’un symbole qui marque aussi la fin du rock ?
La Les Paul au placard
Gibson fait partie de ses icônes éternellement associées à la pop culture. Fondée en 1902, la société américaine grandit progressivement avant de commercialiser la Gibson ES-10 en 1936. Un modèle considéré comme la première guitare électrique commercialement réussie.
Arrivent ensuite les années 1950 et l’ère du rock and roll. Gibson est aux avant-postes pour fournir aux groupes les meilleures guitares de l’époque. Chuck Berry, Bob Dylan, B.B. King alignent des accords sur des modèles de la marque. Sans oublier Franck Zappa, Jimmy Page (Led Zeppelin) ou encore Carlos Santana.
Plus sulfureux, les Stones puis Oasis, via les mains de Noël Gallagher, ne manqueront pas de faire bon usage des Gibson. Même les mods de The Who (Pete Townshend) s’attacheront les services de l’enseigne. Seulement voilà : tout cela, c’était avant !
Un demi-milliard de dettes
Avant que Gibson ne soit en proie à de sérieux problèmes de trésorerie. Jugez plutôt ! Le groupe Gibson Brand Incorporation a désormais 520 millions de dollars de dettes qui arrivent à échéance. Alors que la firme a racheté par le passé plusieurs sociétés importantes du secteur musical américain, les choses ont depuis fortement changé.
La bonne santé financière affichée jusqu’à la fin des années 2000 est désormais un lointain souvenir. Il y a quelques jours, des investisseurs se seraient penchés au chevet de Gibson afin de redresser la barre. Mais la tendance n’est pas à l’optimisme pour autant. Par ailleurs, plusieurs entreprises d’instruments appartenant au groupe Gibson sont également largement dans le rouge.
« Rock is dead »
Et si le vestige des années 1990, Marilyn Manson, avait eu raison au moins une fois ? La chute de Gibson, au-delà d’un compte de résultat en berne et d’un bilan à la limite du dépôt, ressemble effectivement à un arbre malade ne cachant même plus une forêt du rock au bord de l’agonie. Les nouveaux investisseurs potentiels seraient d’ailleurs plutôt frileux tant les espoirs de redresser les bénéfices de la société sont minces.
Car il faut dire que le contexte est pour le moins défavorable. Les fermetures de salles de concerts s’enchaînent (-35 % en Angleterre en l‘espace de 10 ans). Cependant, la hausse de la pression immobilière ou la complexité de la législation sur le bruit n’expliquent pas tout. Les goûts musicaux ont changé. Fortement. À tel point qu’un concert de rock aujourd’hui n’attire en majorité qu’un public trentenaire, au minimum.
Le NME rend l’âme
Une évolution à laquelle se sont adaptées radios, médias mais aussi les clubs. Entendre un morceau de rock dans une boîte généraliste aujourd’hui relève de l’exception. Même le Seven Nation Army des White Stripes, incontournable à la fin des années 2000, est synonyme d’un temps révolu pour les clubbers de 2018.
La situation est identique outre-Manche, au pays du rock. Des stations comme Radio 1 ne diffusent dorénavant quasi-exclusivement que du hip-hop et ses dérivés. Dans cette situation, seuls quelques grands noms arrivent encore à surnager. Les frères Gallagher avec leurs prestations scéniques ou un concert des Stones parviennent toujours à remplir des salles ou des stades. Mais avec un public ne se renouvelant absolument pas.
De quoi expliquer également la désuétude de la scène rock indépendante, retournée à un entre-soi certes underground et parfois qualitatif, mais ne permettant pas de se constituer un public solide.
Et le famous NME (New Musical Express), ce journal hebdomadaire musical britannique qui a fait les beaux jours du rock anglais depuis 1952 ? Il tire lui aussi le rideau ! Après être devenu gratuit en 2015 alors que ses ventes baissaient dangereusement, le NME a sorti son dernier numéro papier le 9 mars 2018. Ne restera plus que la version en ligne. Loin du prestige de la belle époque.
Hip-hop et vocodeur
Enfin, cette forte régression des ventes de guitares s’explique aussi d’un point de vue technique. Avant de parvenir à une production audible, un amateur de rock doit investir dans une guitare puis apprendre à aligner trois accords (au minimum). Dans la majorité des cas, il cherchera à monter un groupe. Ce qui implique musiciens, matériel et local de répétition. En somme, un chemin long et souvent pavé d’embûches. Si un bon rocker a souvent du coeur, il doit surtout avoir du souffle !
Dans le même temps, avec un simple ordinateur, un vocodeur et un budget ridicule, il est tout à fait possible aujourd’hui de réaliser un morceau de hip-hop ou un set de musique électronique. Tout seul et depuis son salon.
Une fois tout cela précisé, se rendre dans un magasin de guitares pour acheter une bonne vieille Gibson risque d’attirer désormais davantage les antiquaires que les futurs artistes rois de Spotify et d’iTunes. Rappelons au passage que le rap a été la musique la plus vendue en France en 2017.
Toutefois, si Gibson venait à disparaître dans quelques mois, les guitaristes en devenir pourront toujours se consoler sur l’application GarageBand. Ou comment créer un rock band avec son ordinateur. Notre époque a aussi ses bons côtés !
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