La marque de vêtements Saint James est l’un des fleurons de la mode bretonne. Mais, alors qu’elle reposait jusqu’ici sur de forts symboles de traditions et d’identité, elle s’apprête à sortir une collection mettant en exergue le sort des migrants. Barbelés à l’appui.
Sami Nouri, créateur afghan
Alors que différents articles de presse se sont déjà intéressés à son cas, c’est l’émission 66 Minutes diffusée sur la chaîne M6 dimanche 11 mars qui l’a fait découvrir auprès du grand public. Il est vrai que le parcours de Sami Nouri appartient à ces histoires dont les médias français raffolent.
Le jeune homme de 21 ans est en train de se faire une place de choix dans le monde de la mode. Né en Afghanistan, Sami Nouri finit par s’installer en France après une longue partie de sa vie passée en Iran puis en Turquie et un parcours d’exilé à travers l’Europe. C’est sous le patronage de son père qu’il a appris la couture dans le petit atelier familial.
Un destin bousculé par une capacité de travail indéniable et une persévérance dans un secteur de la mode où le réseau et l’entre-soi ne laissent que peu de place aux créateurs non issus du « sérail ».
Barbelés pour symbole
Voilà désormais que les portes commencent à s’ouvrir pour Sami Nouri. Ainsi, le 3 mars dernier, le créateur a présenté sa collection de prêt-à-porter haut de gamme dans les salons de l’hôtel Trianon de Versailles. Une présentation qui se déroulait en parallèle du calendrier officiel de la Fashion Week parisienne.
Pour l’anecdote, l’homme avait convié pour l’occasion le duo de chanteurs Madame Monsieur. Ces derniers représenteront la France au prochain Eurovision avec leur titre Mercy, un morceau évoquant la question des migrants.
https://www.youtube.com/watch?v=c-5UnMdKg70
Par ailleurs, la collection est marquée par la prédominance d’un symbole explicite : les barbelés. Des fils de barbelés stylisés et censés évoquer le parcours de Sami Nouri, s’inspirant ainsi de son exil.
La collaboration Saint James
Le reportage de M6 met aussi en lumière la collaboration en cours entre Sami Nouri et la marque britto-normande Saint James. Un partenariat déroutant pour quiconque connait un minimum le cœur de cible traditionnel de l’enseigne à l’effigie du Mont-Saint-Michel. Ce sont effectivement les valeurs d’authenticité, de localisme et de tradition qui ont fait la renommée de la griffe.
Alors que les récentes (et excellentes) collections L’Atelier et le partenariat avec la jeune marque tendance Le Slip Français ont ouvert les portes d’un nouveau public, moins tradi et plus urbain, à Saint James, ce nouveau choix marketing est beaucoup plus hasardeux.
Sami Nouri a ainsi dessiné plusieurs modèles de marinières pour la marque. Des marinières qui se voient ornées de barbelées, elles-aussi.
Luc Lesénécal fait fausse route
Interrogé par l’équipe de 66 Minutes, le président de Saint James Luc Lesénécal justifie ce choix déroutant : « Le barbelé est une façon de détourner aussi la rayure. Cela permet de donner des petites touches d’élégance, de force, avec quelque chose d’authentique ».
Une faute de goût décevante de la part du patron de Saint James. Un homme qui a par ailleurs grandement contribué au nouvel essor de la marque et au renouveau de son image depuis 2013. Mais il en va de la modernité comme du reste : il faut savoir trier le bon grain de l’ivraie !
Où est donc l’élégance et l’authenticité de ces marinières en faisant référence aux parcours des migrants ? De plus, la présence de ces barbelés sur une pièce estampillée Saint James fait davantage songer à une soumission grossière et tardive au conformisme ambiant plutôt qu’à un symbole de force ou à un quelconque esthétisme.
Faute marketing ?
Mais il se pourrait bien qu’il s’agisse également d’une faute en termes de stratégie marketing. Alors que Saint James était l’une des dernières griffes européennes à n’avoir pas encore succombé au passage obligatoire par les cases « diversité » et « politiquement correct », voilà une nouvelle collection qui va décevoir bien des fidèles. Des fidèles qui assurent la pérennité de la marque et la bonne santé des ventes. Mais qui pourraient bien bouder ces nouvelles créations.
En définitive, Luc Lesénécal ne devrait pas perdre de vue que le succès de Saint James s’est bâti sur une histoire bien particulière : celle des marins bretons et de leurs traditions ancestrales bien ancrées sur nos côtes de la Manche. Pas sur le sort de migrants franchissant des barbelés. Aussi tragique soit-il.
Crédit photo : Breizh-info.com
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