La « gauche » à la sauce UDB

On attendait avec curiosité la sortie du livre – projet « S’émanciper. Un projet de société vu de Bretagne ». Puisque l’Union démocratique bretonne se proposait de mettre des « propositions précises sur la table », on allait voir ce qu’on allait voir… Tous ceux qui suivent avec intérêt l’action de l’UDB pouvaient s’imaginer qu’ils allaient en savoir d’avantage sur les thèses défendues par le parti. A la vérité, la déception fut grande lorsque Le peuple breton (mars 2018) nous donna un avant-goût du livre grâce à un entretien avec le porte-parole de l’UDB, Nil Caouissin. En effet, on reste dans les généralités et on n’en sait guère plus après la lecture de ces cinq pages.

C’est particulièrement vrai avec ce qui constitue la colonne vertébrale de la maison : son appartenance à la gauche. Depuis sa création en 1964, l’UDB se veut « de gauche », leitmotiv qui l’a fait passer sous les fourches caudines de l’«union de la gauche», avec les résultats que l’on sait. Vivre en concubinage avec le PCF et le PS ne lui a apporté que quelques miettes, à savoir des sièges de conseillers municipaux ; ce n’est pas avec un pareil résultat que l’on peut pousser la réunification ou bien la régionalisation. Rappelons qu’aujourd’hui, l’UDB n’est plus présente au conseil régional de Bretagne.

Très modestement, Nil Caouissin se propose de « réinventer la gauche » (sic) ; on lui fera remarquer que ce thème est très à la mode dans les débris du PS. Après une cinquantaine de lignes, l’intéressé s’interroge gravement : « Posons-nous d’abord la question de ce qu’est la gauche. Pour l’UDB, c’est l’engagement pour la justice et contre toutes les formes de domination. On ne voit pas bien comment ce combat pourrait être périmé. » Voilà une réponse qui ne mange pas de pain et qui permet de faire dans l’imprécision quant au positionnement politique. Bref, « à gauche », tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil ! On ne saura donc pas si l’UDB se réfère à la gauche social-libérale, à la gauche social-démocrate, à la gauche morale, à la gauche collectiviste… Le mystère demeure. On peut donc en conclure que l’UDB est un PS en réduction dans lequel cohabitent les différentes familles qui composent la gauche.

L’actualité étant l’actualité, Nil Caouissin s’autorise une incursion sur le terrain politique en se félicitant qu’ « en faisant une OPA sur la droite du PS, Macron a libéré la gauche de véritables boulets comme Manuel Valls ou Gérard Collomb ». C’est oublier qu’en politique, l’essentiel est de survivre. C’est ce qu’ont compris sept mariolles en Bretagne. Députés sortant du PS en mai 2017, ils se trouvent réélus sous l’enseigne LREM le 18 juin suivant. C’est ainsi que Richard Ferrand (Carhaix), François André (Rennes –Montfort-sur-Meu), François de Rugy (Nantes – Orvault), Yves Daniel (Châteaubriant), Sophie Errante (Vertou), Hervé Pellois (Vannes), Gwendal Rouillard (Lorient) ont sauvé leur peau. Savoir se reconvertir est un métier ! En rejoignant le « parti central », ils ont montré que leur attachement à la gauche appartenait à l’histoire ancienne.

La lecture de l’entretien accordé par Nil Caouissin achevée, on trouve un grand plaisir à se replonger dans un ouvrage que gagneraient à consulter les dirigeants de l’UDB : Les mystères de la gauche. De l’idéal des Lumières au triomphe du capitalisme absolu (Climats). Grâce à Jean-Claude Michéa on entre dans le vif du sujet avec ce rappel : « Il y a longtemps que le clivage gauche – droite, en France comme ailleurs, ne correspond plus ni aux grands problèmes de notre temps ni à des choix politiques radicalement opposés. » (Tribune de Cornelius Castoriadis, Le Monde, 12 juillet 1986).

Il ne reste plus à Michéa qu’à constater « le ralliement progressif – depuis maintenant plus de trente ans – de la gauche officielle (en France comme dans tous les autres pays occidentaux) au culte du marché concurrentiel, de la « compétitivité » internationale des entreprises et de la croissance illimitée (ainsi – bien sûr –qu’au libéralisme culturel qui en constitue simplement la face « morale » et psychologique) ». Voilà qui présente le mérite de la clarté.

Nil Caouissin, lui, préfère délayer des amabilités qui ne dérangent personne : « Les courants les plus novateurs et dynamiques à gauche aujourd’hui aspirent beaucoup moins à une intervention autoritaire de l’État, mais plutôt à des formes d’autogestion qui rencontrent les luttes défensives de communautés locales ou de peuples indigènes. »

En des temps anciens, l’UDB utilisait le slogan «Bretagne colonie», thème choc pour un parti «de gauche». Aujourd’hui il est question d’aller à la «rencontre» des peuples indigènes ; ça fait d’avantage croisière pour touristes en mal d’exotisme que lutte des classes pour militants révolutionnaires !

Bernard Morvan

Crédit photo : DR
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