Notre-Dame-des-Landes – ZAD : la face cachée de la contestation paysanne

L’aéroport de Notre-Dame des Landes est enterré et sur l’ex-ZAD, les langues se délient. Un paysan s’est confié à Breizh-Info, accusant le collectif paysan Copain 44, proche de la Confédération Paysanne, et cette dernière aussi, d’avoir fait pression sur des agriculteurs de l’ex-ZAD pour les déposséder de parcelles qu’ils exploitaient.

Nous avons mené l’enquête : de nombreux agriculteurs se sont faits déposséder de leurs parcelles. Pas au hasard : selon des documents internes qui nous ont été transmis, ce sont les paysans qui ont les meilleures terres de la ZAD qui ont été le plus persécutés. Même s’ils étaient contre l’aéroport.

L’AMELAZA, pour porter la voix des paysans qui se sont faits prendre des terres au nom de la lutte

Une association des exploitants légaux de la ZAD, l’association pour le maintien des exploitations légales sur l’ancienne zone aéroportuaire (Amelaza) vient d’être lancée à la mi-janvier par Mickaël Mary, exploitant installé depuis 2005 à l’est de la ZAD et ancien secrétaire des Jeunes Agriculteurs (FNSEA) de Loire-Atlantique en 2014-2015. Selon nos informations, elle compte déjà une trentaine d’adhérents.

« Beaucoup d’entre nous se sont vu prendre des terres par les zadistes, au nom de la lutte », nous confie un agriculteur. « Il y a encore eu des prises de terre à l’automne 2017 ; Mickaël Mary en est à plus de 11 hectares, en deux fois [2015 et 2017], Christophe Civel qui exploite à l’est de la ZAD s’en est fait prendre aussi cet automne, il y avait aussi un projet d’élevage ovin imposé par Copain 44 sur les terres d’un agriculteur de Notre-Dame des Landes mais lui a réussi à défendre ses terres ».

Nous avons contacté divers agriculteurs de la ZAD pour en savoir un peu plus. « Les zadistes ont travaillé pour deux exploitations en particulier, qui se sont agrandies », confie un agriculteur. Alors même que les « six points pour l’avenir de la ZAD », Copain 44, Acipa et zadistes se sont accordés sur le principe que les exploitations existantes ne doivent pas s’agrandir, plusieurs – situées du bon côté de la lutte – en ont en fait profité.

« L’exploitation de Sylvie et Marcel Thébaut [le Liminbout, nord-ouest de la ZAD] s’est agrandie sur 20 hectares jadis exploités par la ferme de Bellevue, avant 2013 », nous explique un paysan. « Et celle de Fresneau s’est agrandie un peu dans la ZAD et surtout à l’extérieur, avec les terres de Héridel » [au Chantier Frais, à l’ouest de la ZAD]. Légalement du reste, puisque les fermes de l’intérieur de la ZAD avaient une priorité pour prendre des terres à exploiter en-dehors afin de sécuriser leurs exploitations, au cas où l’aéroport se fasse. « Maintenant qu’il ne se fait pas, les rendra-t-il ? », s’interroge l’agriculteur.

Au cœur des récriminations des agriculteurs, les actions de Copain 44. « Ceux qui venaient nous trouver dans nos fermes et nous dire qu’ils prennent telle ou autre parcelle, ce sont toujours les mêmes. Des gens de l’extérieur qui viennent nous donner des leçons », s’insurge un agriculteur. Au fil des entretiens, les mêmes noms reviennent toujours, « Cyril Bouligand, Julien Durand, c’est un ancien agriculteur très militant à la Conf, Vincent Delabouglise… qu’ils cèdent donc une partie de leur ferme aux zadistes et montent l’exemple ! ».

Un paysan de la ZAD de NDDL : « J’accuse la Confédération paysanne et Copain44 »

En guerre contre les « incontrôlables » de la ZAD, notamment autour de la RD281, Julien Durand n’est pas spécialement bien vu par ses ex-collègues : « il veut tout régenter mais en fait il en fait des tonnes parce qu’il ne contrôle pas grand chose », dit l’un d’eux. « Son objectif est de faire chier les agriculteurs du coin », affirme un autre, plus direct. « Sous couvert de la lutte, ces types de Copain 44 viennent dans vos fermes vous [prendre] de la terre, ils feraient mieux de s’occuper de leurs fermes pourries », s’insurge un autre, qui affirme s’être renseigné sur le compte de plusieurs éminences de Copain 44.

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Au cœur de la ZAD des fermes tournent en-dehors des règles et des normes

A Saint-Jean du Tertre, bâtiments et terres – 14 hectares au total – étaient exploités avant 2014 par le GAEC du Sillon, de Saint-Etienne de Montluc. Puis le collectif Copain44 y a installé Willem Doedens en avril 2014. Fils de paysans des Côtes d’Armor et diplôme d’histoire, il y élève 23 bovins dont 10 vaches laitières. En 2016, ils étaient 15 et lui avaient tous été donnés. L’exploitant est déclaré à la MSA, il a fait des études au centre de formation agricole du Rheu et des stages en ferme, les vaches ont des boucles, le camion de collecte de lait passe – pour la coopérative Biolait – et pourtant quelque chose cloche. « Il a obtenu la certification Ecocert mais n’a pas d’autorisation de s’installer. Il est sur les terres d’autrui, sans aucun titre. », explique un agriculteur voisin.

Et pourtant elle tourne. De l’autre côté de la ZAD, la conserverie de la Noë-Verte, installée en octobre 2015, a aussi annexé des parcelles agricoles qui juste là étaient cultivées par un agriculteur pré-existant. « Du jour au lendemain, on m’a dit, tu n’y rentre plus », nous explique celui qui s’en est fait prendre encore d’autres, dans le même secteur, à l’automne 2017.

La conserverie, comme d’autres fermes de la ZAD, produit des biens sans aucun contrôle, sanitaire ou autre. Idem pour les deux auberges, les Q de Plomb au Liminbout et la Black plouc Kitchen, une table d’hôtes (sur réservation) dans une roulotte ouverte à l’automne 2014. On peut y manger tous les dimanches à 13h et les premiers ou troisièmes jeudis du mois à 20 heures. On s’en doute, aucun contrôleur n’a été assez mal intentionné pour se pointer sur la ZAD et y vérifier, si les normes sociales, sanitaires, fiscales sont respectées.

« C’est toute une économie parallèle qui a été mise en place », se confie un habitant historique de Vigneux-de-Bretagne. « Comme l’État a la trouille de ces gens là, il a préféré regarder ailleurs, et jusqu’alors les agriculteurs aussi se sont tus, car ceux qui ne le faisaient pas pouvaient se retrouver tabassés ou avec quarante zadistes le lendemain dans leur cour ».

Début 2015, un paysan historique de Notre-Dame des Landes est d’ailleurs tabassé par un zadiste alors qu’il va faire du bois dans sa parcelle ; ledit zadiste est toujours sur place, près des Planchettes. La victime n’a jamais osé porter plainte, par peur de pressions… et évite de démarrer une tronçonneuse à l’est de la ZAD.

Le(duc)., La(misse) Et S(erge), cibles des zadistes

C’est un document d’une demi-douzaine de pages, sobrement intitulé « Réunion : stratégies autours des prises de terre », compte-rendu d’une réunion entre zadistes et membres du collectif Copain 44. Pourtant il est crucial : il permet de comprendre les logiques de l’accaparement de certaines terres, au nom de la lutte, et que les intéressés ne reculeront devant rien pour s’imposer, quand bien même les agriculteurs auxquels appartiennent ou qui exploitent lesdites terres ne sont pas d’accord.

Le document liste les besoins en terre. Notamment « une parcelle en friche au nord de la Bellish », ou encore « 12-15 hectares ou 9 hectares » pour le projet de faire de la bière sur la ZAD. Mais encore « 3,5 hectares au-dessus de l’Epine » pour de l’élevage et un « projet de maraîchage pas abouti » sur « une parcelle à droite de la route qui va à la Frémière ». Mais il y en a bien d’autres. Sème ta ZAD vise « 50 hectares de terres labourables ». Une ferme intéresse les zadistes : celle de J, « 80 hectares dont 40 sur ZAD. Bâtiments et terrain hors zone à vendre pour 250.000 € ». Selon nos informations, une ferme correspondant à cette description est bien à vendre sur la ZAD.

Il indique aussi quelles sont les trois principales cibles des zadistes. S. à qui on prend des terres « par opportunité ». Mais aussi La.(misse) qui « sont pro-aéroport » tandis que « Le.(duc) est anti-aéroport et anti-ZAD ». Qu’importe finalement puisque la réunion préconise d’avoir « un traitement identique entre Leduc et Lamisse même s’ils ne sont pas dans le même mode face au mouvement d’occupation ».

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L’une de ces trois cibles est évoquée de façon elliptique : « pas prendre des terres qu’à S. Il y a d’autres connards à qui prendre des terres ». Il pourrait s’agit de Serge Durand, qui exploitait jusqu’en janvier 2013 la ferme de Bellevue, occupée dès son départ par Copain 44 et remise en service – elle produit du « fromage, fromage blanc, crème, beurre, yaourt », non pasteurisés, pour le « non-marché » de la ZAD (magazine de la Confédération Paysanne, Campagnes solidaires n°313, janvier 2016, page 15). Non-marché qui comme la ferme échappe à toutes normes aussi. Tout comme la production de pâtes alimentaires, huile de tournesol et de légumes aux Fosses Noires : « ni SIRET, ni statuts, ni label », résume Campagnes solidaires. Autrement dit, au black.

L’autre cible, Dominique Leduc « n’exploite plus, mais il en a vu tant et plus », nous explique ainsi un agriculteur. « On lui a mis le feu dans les bâtiments, crevé les pneus de ses véhicules etc. ». Tout ça bien qu’il soit « anti-aéroport et anti-zadiste », précise le compte-rendu de réunion sur les prises de terres. La vraie raison ne serait-elle pas liée à la terre ? « C’est lui qui a l’une des meilleures terres de la ZAD : « 20 hectares de terres drainées à la Grée », donc moins humides que d’autres. En mai 2014 son ancienne ferme est occupée par un collectif en délicatesse avec l’ACIPA, le CLCA – dès le lendemain les squatteurs se voient demander de quitter les lieux par le bureau de la ZAD.

Les terres de Leduc intéressent du monde, notamment « Mika  : envie à long terme de faire des céréales, oléagineux et légumes de plein champ […] sur 40 hectares. Pas besoin d’avoir cet espace pour tout de suite. Projection en partie sur les terres de Leduc et possiblement dans l’est de la ZAD ». Ces terres intéressent aussi « Sème ta ZAD pour les rotations de légumes ». Proposition est faite pour que « Mika sème des céréales dans des parcelles à l’est de la ZAD pour la saison 2017-2018 pour ensuite se recentrer sur les terrains de la ferme de la Grée ».

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Qu’importe si les agriculteurs ne sont pas d’accord : les terres sont prises quand même

Parmi les projets des zadistes listés, le « projet ovin de R. : Vues sur les terres d’Y.[ves] Auger. Il y a 20 hectares encore en activité, R. en aurait besoin de trois pour l’instant. Il y a des chantiers à prévoir comme la pose de 900 m de grillage à mouton, l’installation de sa yourte et un point d’eau ». Le problème, c’est que l’intéressé, propriétaire d’une partie de ces 20 hectares situés près du moto-cross, n’est « pas d’accord ». Mais qu’importe : « attention à ce que les discussions avec lui se passent au mieux, mais cela ne freinera pas la prise de terre pour autant. Y. Auger a 70 ans et est bien connu localement, impliqué dans des assos du coin ».

Habitant de Notre-Dame des Landes, Yves Auger ne s’est pas laissé faire, selon nos informations. « C’est d’ailleurs son opposition qui a été un peu le point de départ de l’AMELAZA », affirme un adhérent. « Cela nous a poussé à nous regrouper car on se fait tous manger chacun dans notre coin ». Résultat : le projet ovin sur les terres d’autrui est pour l’heure en suspens. «Yves n’a pas lâché, il est toujours sur ses parcelles et ne va pas se laisser faire », confirme un autre agriculteur.

Le document évoque d’ailleurs les agriculteurs dans la foulée : « stratégie de prendre des terres à plusieurs personnes en même temps, ça évite que les agris ne se victimisent en disant que le mouvement d’occupation ne s’en prend qu’à eux et qu’il y a d’autres qui ont vendu beaucoup plus facilement à AGO » [Vinci]. Plus loin, l’intervenant a été visionnaire : « prendre des terres à plein d’endroits et d’agris différents peut éviter l’argumentaire victimisant des agris mais peut aussi les amener à se serrer les coudes face à la ZAD ». Ce qui s’est effectivement produit avec la création de leur association au début de janvier 2018.

MàJ 14/3/2018 – Le projet d’élevage de moutons porté par un zadiste et Copain 44 sur les terres de Yves Auger – contre lequel celui-ci était opposé – est abandonné.

Emilie Lambert

Notre-Dame des Landes : la face cachée de la contestation paysanne (partie 2)

Crédit photo : DR
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