Installé sur l’ex-ZAD de Notre-Dame des Landes, ce paysan s’est tu toutes ces années, car il était opposé à l’aéroport. Le projet enterré, il aimerait que l’ex-ZAD revienne à l’état de droit. Nous l’avons interviewé – sous couvert d’anonymat – il dit ses quatre vérités et dénonce avec force nombre de dérives de la lutte anti-aéroport.
Breizh Info : Pourquoi ne parler des dérives sur la ZAD que maintenant ?
Cyril (* le nom a été modifié) : Il y a six mois, je n’aurai rien dit ; cela aurait pu être instrumentalisé par les pro-aéroport et ce n’était pas mon objectif. Beaucoup de paysans étaient contre l’aéroport, mais pas pour les zadistes ou certaines dérives. Ils ne voulaient pas s’afficher avec des gens qui enfreignaient la loi, mais ne voulaient pas non plus de guérilla interne sur la ZAD.
Breizh Info : Quel est votre objectif ?
Cyril : Reconstruire. Ramener l’égalité. Quand la préfète dit que tous les agriculteurs sur la zone sont illégaux, c’est faux. Nous avons une légitimité, même s’il n’y a aujourd’hui plus de baux sur l’ex-ZAD.
Breizh Info : Que faites-vous des ex-zadistes qui se sont installés comme agriculteurs sur l’ex-ZAD ?
Cyril : On n’a rien contre. On n’a pas pour objectif de faire la guerre aux zadistes. On demande simplement l’égalité, c’est à dire qu’ils aient des contrôles sanitaires, soient astreints au respect des normes. D’un côté nos fermes sont contrôlées, de l’autre les fermes installées sur la ZAD n’en ont pas.
Breizh Info : Quelles dérives dénoncez-vous ?
Cyril : L’Etat s’est désengagé. Des agriculteurs se sont faits déposséder de parcelles qu’ils exploitaient et l’Etat refusait de rentrer sur zone pour maintenir l’ordre légal.
Breizh Info : Dans quel cadre des agriculteurs se sont faits déposséder de leurs parcelles ?
Cyril : Si Copain44 [collectif d’agriculteurs anti-aéroport, proche de la Confédération Paysanne] décidait de garder ou de prendre telle ou autre parcelle, ils la gardaient ou la prenaient. Certains agriculteurs qui s’opposaient à ça ont été harcelés, forcés à quitter la ZAD.
Breizh Info : Vous êtes-vous fait prendre de la terre ?
Cyril : Oui, plusieurs hectares, à deux reprises. Mais on est beaucoup de paysans sur la ZAD à avoir subi des avanies ou s’être fait prendre de la terre sous un prétexte ou un autre, soi-disant « pour les besoins de la lutte ».
Breizh Info : Qui est le responsable de la situation ?
Cyril : L’Etat qui a fermé les yeux. Les zadistes en ont profité. Et il y a d’autres responsables : des groupes, apolitiques ou pas qui ont profité de ça pour imposer leur vision de l’agriculture. Comme ils n’ont plus la majorité à la Chambre d’Agriculture, ils essaient de surfer sur la situation pour la reprendre.
Breizh Info : vous parlez de la Confédération Paysanne ?
Cyril : Oui, je veux bien les citer. La Confédération Paysanne et Copain 44. Je dénonce leurs méthodes de gangsters et leurs ambitions politiques.
Breizh Info : Quand vous parlez de méthodes de gangsters, vous voulez dire quoi ?
Cyril : Par exemple quand quatre ou cinq personnes de Copain 44 vont chez un agriculteur, qui les reçoit seul, et lui disent « demain on vient récupérer la parcelle que tu exploite à tel endroit, tu ne rentres plus dedans ; on a décidé qu’on en a besoin donc on le fait », et derrière ils envoient les zadistes.
Breizh Info : Il y-a-t-il des agriculteurs qui ont refusé ?
Cyril : Bien sûr. Auquel cas ils cultivent à votre place, ils charruent et sèment. Si on re-charrue par-dessus et qu’on re-sème, ils s’attaquent à d’autres parcelles. C’est une pression continue. Il y en a qui sont venus dans des fermes armés de battes. C’est une sorte de mafia qui se livre à l’expropriation.
Breizh Info : Savez-vous qui est derrière ?
Cyril : Copain44 n’est pas une asso mais un collectif, donc il n’y a pas de responsable. Un coup ils en envoient un, un coup un autre. Seulement on sait qui est derrière ça ; ce sont toujours les deux ou trois mêmes qui signent les communiqués de presse, qui s’affichent. C’est un mouvement soi-disant « collectif » mais derrière ce sont deux ou trois personnes qui décident, qu’on retrouve à la Confédération Paysanne, au GAB44…
Breizh Info : Est-ce que des gens ont tiré profit de la situation ?
Cyril : cela a fait beaucoup de mal dans notre campagne, mais d’autres en ont profité. J’ai vu des charrettées de foin complètes partir on ne sait où en juin, des trafics divers. Des bêtes qui n’ont pas de boucles [aux oreilles], c’est une anomalie grave quant à la traçabilité de la viande. On ne sait pas si elles ont été traitées au vermifuge ni quand, mais la DSV a préféré regarder ailleurs.
Breizh Info : selon les zadistes eux-mêmes, « 270 [hectares] ont été arrachés à la gestion de la Chambre d’agriculture par le mouvement pour y mener des expériences agricoles collectives ». Soit 270 hectares des 1650 de l’ex-emprise aéroportuaire, c’est une toute petite surface qui semble cumuler les problèmes ?
Cyril : Le peu que c’est est déjà insupportable. Je suis en ferme, je dois respecter toute la loi, je n’ai pas le droit à l’erreur. Le type à côté fait ce qu’il veut car l’Etat a peur. De même, pour être paysan, il faut avoir fait certaines démarches, certaines formations. Et eux font ce qu’ils veulent car l’Etat a peur. Et Copain 44 insiste encore dans les « six points pour l’avenir de la ZAD » pour que ce ne soient pas les instances officielles et légales qui redistribuent la terre !
Breizh Info : Les zadistes de leur côté disent qu’ils sont là depuis des années, pas seulement 2012 ; certains étaient là bien avant, et qu’ils sont aussi légitimes à avoir voix au chapitre dans la gestion de l’après-aéroport
Cyril : les zadistes de 2009, car effectivement il y avait des zadistes avant l’opération César, ne sont pas les mêmes que ceux qui sont arrivés en 2012-2013. Une poignée d’agriculteurs a été embêtée tous les jours.
Breizh Info : comment cela se passe aux abords des lieux périphériques où se sont réfugiés certains zadistes qui avaient été en délicatesse avec l’ACIPA ou les structures paysannes ?
Cyril : C’est hors ZAD. Les agriculteurs autour arrivent à ne pas trop se faire grignoter de terres ; au Haut Fay par exemple ils n’exploitent presque rien en-dehors du bâtiment et des parcelles immédiatement proches. Ceux qui vont là-bas arrivent à les faire reculer, on sait leur parler, il faut beaucoup discuter, négocier. Le problème, ce sont ceux qui les dirigent et qui ont des ambitions politiques.
Breizh Info : Lesquelles ?
Cyril : Michel Tarin était proche d’Europe-Ecologie les Verts. D’autres sont plus proches de la France Insoumise. Des élections diverses approchent, certains vont sortir du bois. Les plus dangereux sont ceux de Copain44.
Breizh Info : Tout cela a évidemment provoqué des tensions dans l’agriculture locale ?
Cyril : Evidemment ; tout le monde a eu sa part de problèmes, ça fait des tensions au quotidien dans les coopératives, ils participent à détruire l’agriculture. Quand on en rencontre certains en réunions de secteurs, dans les CUMA etc. c’est difficile de garder son sang-froid. Par exemple pour la CUMA de Notre-Dame des Landes, c’est chaud.
Breizh Info : Croyez-vous dans la parole de l’Etat ?
Cyril : Franchement, j’ai du mal à discuter avec ses représentants, on ne sait plus s’ils vont tenir ce qu’ils ont promis. Ils n’ont pas tenu leur parole à plusieurs reprises.
Breizh Info : Ces derniers mois, zadistes et paysans qui les soutiennent ont de multiples fois brocardé les « cumulards » qui ont eu les indemnités pour leurs terres et continuent à les exploiter, en vertu de baux précaires. Que pouvez-vous en dire ?
Cyril : Dans notre immense majorité, nous n’étions pas propriétaires mais locataires ; nous avons donc eu non des indemnités d’expropriation mais des indemnités d’éviction. Rien ne nous oblige légalement à les rendre. Elles étaient calculées à partir de la marge brute à l’hectare pour permettre à nos exploitations de tenir pendant trois ans si on se faisait prélever les surfaces, acheter l’aliment etc. On avait aussi une priorité pour trouver des terres à l’extérieur de la ZAD, certains s’en sont servi pour acheter des terres, ce qui sécurisait leur exploitation si l’aéroport se faisait, mais ils ne se sont pas agrandis pour autant.
Breizh Info : en somme, si on vous somme de rendre les indemnités d’éviction, vous vous retrouvez sans rien ?
Cyril : C’est un gros bordel. Si on nous demande d’acheter les terres, on se servira des indemnités d’éviction. Mais là on nous demande de redonner l’indemnité d’éviction pour être locataire, c’est du grand n’importe quoi ! Et locataire de qui ? Mon plus gros propriétaire, c’était le conseil général [qui a réclamé les 895 hectares qu’il avait acquis pour le compte de l’Etat, ce qui ne lui en donne pas la propriété pour autant], s’il faut chercher les propriétaires précédents pour savoir s’ils veulent reprendre leurs terres ou non, ça va prendre des années !
Breizh Info : Que se passera-t-il si vous n’êtes pas entendus ?
Cyril : Il y a actuellement un problème pour la pérennité des exploitations, pour les successions – certains partent à la retraite et veulent transmettre – et les agrandissements. En gros, si on n’est pas entendus, c’est une trentaine d’exploitations agricoles qui vont fermer.
Breizh Info : La réouverture de la RD281, ex-« route des chicanes », s’avère très laborieuse et fat émerger toutes les divisions internes du mouvement, notamment entre partisans de la négociation et ceux qui veulent rester dans l’illégalité, zone non motorisée et reste de la ZAD, ceux qui suivent l’ACIPA et ceux qui refusent… comment pensez-vous que ça va évoluer ?
Cyril : tout ça va très mal finir. Maintenant qu’il n’y a plus d’aéroport, ceux qui ont subi depuis des années, qui se sont faits marcher sur la gueule au nom de la lutte n’ont plus l’intention de se laisser faire. Jusque-là les zadistes ont toujours fait le coup de force, mais ils n’en ont pas le monopole… Il y a un vrai ras-le-bol.
Breizh Info : Que demandez-vous ?
Cyril : Payer un fermage pour nos terres et ne plus être emmerdés.
Breizh Info : Notamment par Copain 44 ?
Cyril : En effet. Que les gangsters de Copain 44 retournent à leurs exploitations voir leurs parcelles en friche, à Fay-de-Bretagne par exemple et qu’ils arrêtent de nous donner des leçons. On en a rencontré, on a demandé d’où ils venaient, y en a du sud-Loire, d’Ille-et-Vilaine, un de Couëron qui fait peur à tout le monde, sans oublier des jeunes coqs qui veulent être plus royalistes que le roi… C’est dingue que d’autres agriculteurs viennent donner des leçons, c’est à s’en dégoûter du métier. Ce n’est pas la Gestapo, ce sont des agriculteurs qui débarquent dans ta ferme te donner des leçons et prendre tes terres ! Je n’accepte pas ça.
Propos recueillis par Louis-Benoît Greffe
Crédit photo : Léo Leibovici (Notre Dame des Landes, une zone humide à défendre)
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