Après l’expulsion d’un squat Rom dans une propriété appartenant à un retraité maghrébin à Garges-les-Gonesse, en région parisienne, par une bande ethnique locale armée à l’appel d’un blogueur de Lyon (Bassem), c’est un squat artistique d’Aubervilliers qui vient de subir les foudres d’une vingtaine de personnes armées de marteaux, masses, disqueuses et même d’une mini-pelle après plusieurs mois de tapage nocturne et de laisser-aller des autorités.
Le 14 février 2018 au matin, le squat d’artistes La Récré, ouvert le 9 décembre dans un hangar situé rue des Écoles à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis), a vu débarquer « vingt personnes armées de masses, haches, disqueuses et même d’une pelleteuse. Pendant que certains coupaient les cadenas laissant accès à la pelleteuse, d’autres ont sauté les murs d’enceintes et sont entrés de force dans le bâtiment. Ils ont attaqué les espaces d’habitation et d’ateliers et tout saccagé sur leur passage ». Ils sont revenus le 16 et « ont arraché les fusibles alimentant le bâtiment en électricité ».
Les assaillants ont « frappé plusieurs personnes du lieu et ont proféré des menaces de mort. Trois habitants ont dû aller à l’hôpital ». Ils ont dit qu’ils représentaient une entreprise voisine – les squatteurs affirment même qu’un de ses gérants était sur place, « armé d’un merlin – une hache pour découper du bois – il a frappé à deux reprises un des habitants » et se sont dits locataires des lieux. Jusqu’alors, le squat « artistique » avait organisé de nombreuses soirées sur place, illégales, bruyantes et plus ou moins mal fréquentées, sans que les autorités ne s’en émeuvent. Nous avons contacté ladite entreprise – citée dans le communiqué des squatteurs – qui n’a pas fait de commentaires.
Lorsque les squatteurs ont déposé plainte, ils ont été quelque peu surpris de la réaction de la police : « lors du dépôt de plainte, un agent de police a signifié aux squatteurs que c’était normal, qu’ils étaient à Aubervilliers ici » ; et lorsqu’ils sont arrivés sur place séparer les assaillants des squatteurs, qui ont appelé la police malgré leurs convictions anarchistes, « ils ont conseillé aux squatteurs de plier bagages », ce que la plupart ont fait, même si le squat est toujours occupé à ce jour.
La Maison Rouge à Saint-Denis : collectif de squatteurs vs. le collectif d’Ali
Ce n’est pas la première fois qu’en banlieue parisienne, un « collectif » de squatteurs, militants et plutôt blancs mais accueillant des clandestins noirs, se retrouve en butte aux gros bras, proches ou non des propriétaires. En mars 2016, Streetpress se faisait l’écho des malheurs des squatteurs du 1, rue Désiré Lelay (dit la Maison Rouge ou Chez Désiré dans le milieu), dans le centre historique de Saint-Denis, confrontés à de gros bras qui débarquent plusieurs fois par semaine. « Un dénommé Ali, « crâne rasé et à la forte carrure », serait, selon les habitants [les squatteurs], responsable de ces méfaits. Depuis l’installation de la petite troupe, celui qui se présente comme un ami de la proprio, débarque plusieurs fois par semaine, accompagné de gros bras ».
Sur la vidéo mise en ligne par les squatteurs, ces gros bras sont armés de pied de biche, ont un fort accent arabe. Les squatteurs ont porté plainte, malgré leurs convictions militantes, et continuent à occuper la maison, au grand désespoir de la propriétaire, citée dans l’article : « Ce sont des enfants de bonne famille, des étudiants Erasmus, des gens entretenus par la société. Je n’ai plus accès à mon bien et ces sales gosses viennent me donner des leçons de morale ».
La Récré à Saint-Ouen : squat artistique ou business ?
Un commentaire de squat.net, qui met en ligne le communiqué du réseau inter-squat de Paris au sujet de l’attaque du squat de la Récré à Aubervilliers, laisse interrogatif : « réseau mal-nommé « intersquat-paris » (dans lequel se trouve plusieurs lieux crapuleux qui n’ont rien à voir avec la pratique du squat mais beaucoup avec celle du bizness – mais cela est une autre histoire ».
Il se trouve en effet qu’ouvrir des squats peut être l’occasion de se faire pas mal d’argent, tout en surfant sur les problèmes, réels, des gens à la rue, ou sur l’image médiatique un brin bohème du squat artistique, lieu de rencontres et d’extase de la bourgeoisie cosmopolite urbaine – ou des fils de notables qui viennent s’encanailler à peu de frais et dans l’illégalité. Ceci explique peut-être aussi pourquoi les autorités préfèrent regarder ailleurs et laisser les riverains supporter squats, dégradations et décibels.
Deux sortes de grandes dérives existent. Dans les squats classiques, certains marchands de sommeil peuvent ainsi exiger plusieurs centaines ou milliers d’euros comme droit d’entrée. Ou un loyer modique, par exemple 3 € par jour dans cet ex-immeuble de bureaux aménagé illégalement en chambres, avec électricité, à Montpellier en 2016 ; de gros bras logés, eux, gratuitement, suffiront à convaincre ou à dégager les récalcitrants. L’autre dérive est celle des pseudo-squat artistiques et vrais boîtes de nuit clandestines : drogue, alcool et décibels y circulent en liberté pendant que le tenancier empoche les entrées (payantes, 5 voire 10€), les consommations (souvent de l’ordre de 2 à 4€) et les loyers des squatteurs, artistes ou clandestins.
Un certain Jean-Claude Danho, alias Malandjo a eu finalement affaire à la justice pour un squat transformé en boîte de nuit illégale à Villejuif en 2012-2013. Jusque là, « l’homme qui fait danser la République dans les squats d’artistes », comme il se décrivait en 2014, avait fait de même à Paris (2009-2010) puis à Ivry (2011-2012) où la presse locale lui avait offert une tribune complaisante. En bénéficiant d’un relatif laisser-aller des autorités, jusqu’à l’expulsion.
Les artistes devaient verser un loyer et faire eux-mêmes les travaux : « en plus du loyer que nous versions (50 € l’atelier plus 150 € pour dormir sur place), nous devions réhabiliter l’espace qui nous était accordé pour pouvoir en disposer », expliquait ainsi au Parisien le photographe Yann Merlin. Mais une fois les travaux effectués, des soirées ont été organisées – jusqu’à 1600 personnes le 1er mai – soi-disant pour équiper les artistes, qui n’en ont jamais vu la couleur. Et il était mal vu de poser des questions : « certains ont tenté de s’opposer à ces pratiques. Résultat, deux plaintes pour coups et blessures ont été déposées (constatations à l’appui), ainsi qu’au moins trois mains courantes à la suite des menaces ».
Originaire de Côte d’Ivoire, Malandjo avait aussi eu une activité de marchand de sommeil ; il avait alors été dénoncé par la mairie PCF. « Des familles d’immigrés ont séjourné dans le bâtiment désaffecté en l’échange d’un loyer », reprend Lionel Chabert, directeur de cabinet du maire (PCF) de Villejuif, Claudine Cordillot. Le montant mensuel demandé aurait avoisiné 400 € ». Le bâtiment appartenait, lui, au conseil général, était prévu pour la construction… d’une mosquée. Et était, comble de l’ironie, une ancienne gendarmerie.
Si ses activités lui ont apporté de l’argent, Malandjo fraie aussi au sein de l’ultra-gauche. En 2016 cet Ivoirien, « danseur, chanteur, antiraciste militant » présent en France depuis l’âge de cinq ans, est interviewé par El Diario alors qu’il fait partie de Nuit Debout, membre de la commission France-Afrique et toujours là pour parler aux médias – ce qui est plutôt mal vu dans le milieu, où il est de bon ton de se méfier des « journaflics » et des chefs. Il a même animé des conférences, ainsi le « 201 mars », autrement dit le 17 septembre 2016, sur « l’arnaque des impôts ». Un sujet qu’il connaît bien ? Néanmoins sa tentative de récupérer Nuit Debout en juillet 2017 a été condamnée par le milieu, et il s’est fait traiter de facho entre les lignes. Fermez le ban.
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