Notre époque en perte de repères tangue telle la nef des fous. Elle cherche où accoster, à trouver des havres bien abrités, des havres de paix.
On lit plus que jamais Confucius, Lao Tseu, les écrits bouddhiques, tantriques, zen… On remet au goût du jour les stoïciens… Montaigne redevient accessible, dans un français moderne.
Les gourous contemporains se multiplient. On ne lit plus Lanza del Vasto et Paolo Coelo fait un peu vieillot mais on peut goûter aux réflexions des « Trois amis en quête de sagesse » aux « Révélations du maître de sagesse » s’y ajoute une myriade de livres bas de gamme car il ne faut pas oublier les sous-développés du bulbe.
Un ami me donne « Les sept secrets du temps ». Je connais l’auteur, Jean-Marc Bastière, j’ai souvent travaillé avec lui. Vais-je lui ourler des compliments tout faits, du boniment sans avoir ouvert le bouquin ? L’amitié a ses règles. Je lis, juste un peu inquiet et je suis vite rassuré, c’est bon et même très bon.
Cet essai, bien ramassé, se lit d’une traite. L’écriture est simple, fluide et forte à la fois. Les images sont heureuses, les métaphores bienvenues en prise sur le quotidien de chacun de nous. Bastière est de culture et de foi catholiques mais cela reste en arrière-plan avec une grande ouverture, les auteurs classiques, le roman, l’art… Tout est puisé à de multiples sources et nous revient un peu à la Cioran, comme des aphorismes.
– « Qu’est-ce que le temps ? Un fantôme. Un esprit. Un poltergeist. Nul ne l’a vu mais on le reconnaît aux traces qu’il laisse derrière lui. Quand il passe, tout change. Nos vies s’infléchissent… Bruits, murmures et gémissements apparaissent dans son sillage. Comme ce tube du temps jadis que l’on se remet à chantonner sur un quai de gare désert. »
– « Panique à courir après le temps qui court toujours plus vite que nous, qui nous échappe, qui nous fausse sans cesse compagnie. Panique à prendre conscience qu’il nous reste si peu de temps. Désespoir face à l’inéluctable. Comme Dorian Gray face à son portrait. »
– « Le temps, ce n’est pas que de la haute intensité, ce sont aussi les basses tensions. Comme ces jardins zen où le vide importe autant que le plein dans l’harmonie de tout. »
Mais cet essai n’est pas gémissant. Il déborde de vitalité. Ce n’est pas que du remue-méninge pleurnichard, du ronchonnement dans le vide. Il est mené avec entrain. De l’alacrité pour vivre avec du sens dans la tête.
Et cette exigence :
« Nous couper de notre passé, c’est nous rendre esclaves, nous soumettre à toutes les manipulations. Faire mémoire, ce n’est pas collectionner les petits mots ou les photos racornies, c’est se rappeler qui nous sommes, faire remonter ce qui est, à jamais.
« Si nous savons échapper aux sortilèges mélancoliques ou aux régressions mortifères, le passé peut devenir source de vie. »
Voilà le fil rouge du livre. Une invitation à faire comme le corsaire Pasolini : « A l’abordage ! »
Jean Heurtin
*Jean-Marc Bastière, Les Sept secrets du temps. Stock.