Ces menaces qui pèsent sur les écoles privées hors contrat

Mercredi 21 février, le Sénat a adopté à une large majorité la proposition de loi visant à mieux encadrer le régime d’ouverture des établissements hors contrat. Résultat : les personnes désireuses d’ouvrir  de tels établissements pourraient se voir mettre encore plus de bâtons dans les roues qu’actuellement .

Portée par Françoise Gatel, sénatrice (UDI) d’Ille et Vilaine et soutenue par le ministre de l’Éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, la proposition adoptée par le Sénat a pour principales  dispositions :

  • le texte instaure un guichet unique pour la remise des déclarations.
  • Le délai d’opposition du maire, des représentants de l’État et du procureur de la République a été harmonisé et allongé à 3 mois. Auparavant le maire, par exemple, ne disposait que de 8 jours.
  • Les motifs et modalités d’opposition à une ouverture ont été clarifiées et élargies : La protection de l’enfance et la jeunesse peut désormais être invoquée ainsi que l’accessibilité des locaux et l’insuffisance de qualification du futur dirigeant de l’établissement
  • Le dossier de déclaration a été étoffé : les modalités de financement de l’établissement devront être indiquées ainsi que l’objet de l’enseignement
  • Le contrôle est renforcé puisque le texte établit qu’un contrôle est obligatoirement réalisé dès la 1ère année de l’exercice de l’établissement
  • Le texte renforce enfin les moyens d’action des autorités publiques en cas d’infractions avérées: l’Éducation nationale doit désormais prévenir le Préfet et le Procureur de la République qui peuvent déclencher des poursuites ; le texte permet au représentant de l’Éducation Nationale de vider une école de ses élèves par mise en demeure des parents.
  • Les peines et amendes associées aux délits constatés sont substantiellement augmentées
  • Le texte étend aux directeurs et enseignants du second degré général les conditions d’âge et de nationalité qui n’existaient jusqu’alors que pour leurs homologues du second degré technique
  • Il est ajouté la notion de « 5 ans d’expériences au moins » dans les fonctions de direction ou de l’enseignement (nouveauté pour le 1er degré)

Françoise Gatel a déclaréréagi après l’adoption de ce texte :

 « Je me réjouis que mon texte ait été voté, a déclaré Françoise Gatel après l’adoption de ce texte. C’est un texte de raison au service de la République et de tous ses enfants. La liberté est indissociable de la responsabilité. A ce titre, nous devons veiller à protéger les enfants contre l’endoctrinement, l’amateurisme, les phénomènes sectaires ou de radicalisation religieuse. Le texte adopté est un texte responsable et équilibré, dont l’enjeu est de prévenir les dérives et rendre effectif le contrôle de l’ouverture des établissements privés hors contrat tout en préservant la liberté d’enseignement. C’est une belle avancée pour tous les maires et autorités publiques dépourvus aujourd’hui de moyens d’action en cas de déviances graves, sachant que le nombre d’établissements a augmenté de 60% ces dernières années ».

Anne Coffinier, de la fondation pour l’école, souligne tout le paradoxe du soutien du ministre, aux antipodes des annonces appelant à plus de liberté scolaire qu’il avait énoncé il y a plusieurs mois : « Le ministère de l’Éducation nationale apporte son soutien actif à une proposition de loi sénatoriale d’origine centriste  qui vise à briser l’essor des écoles hors contrat. Toutes les ingéniosités techniques sont déployées pour rendre quasi impossible la création d’écoles réellement libres, donc porteuses de vraies alternatives pédagogiques. Les délais d’opposition seraient triplés, le gouvernement prendrait la main en faisant basculer dans le domaine réglementaire leurs conditions de création, qui jusqu’alors relevaient de la loi – la moindre des choses pour une liberté de rang constitutionnel »

Et Mme Coffinier de s’interroger : « Quelle est la visée d’une telle proposition de loi? Toute liberté peut donner lieu à des abus, mais ce n’est pas une raison pour la supprimer. Pour prévenir des dérives, il faut diligenter des contrôles une fois que les écoles existent, pas en amont, sur la foi d’un dossier purement administratif. Oserait-on soumettre la presse à un régime d’autorisation préalable, comme sous Napoléon III? C’est ce que la proposition de loi soutenue par la Rue de Grenelle cherche de facto à instituer pour les écoles privées hors contrat.»

Avant de conclure : « À l’heure où la qualité de l’enseignement est le fer de lance de l’économie, il ne faut pas que le ministre de l’Éducation nationale laisse l’administration étouffer la liberté de la société civile. À lui de protéger les écoles indépendantes, précieux aiguillon de la réforme, soupape de sécurité de tout le système scolaire, lieu d’accueil des différences. Dans le monde entier, les écoles indépendantes sont à l’avant-garde de l’innovation. Il serait absurde que le corporatisme de l’administration de l’Éducation nationale obère les chances de la France de retrouver sa force intellectuelle et son audace d’innover.»

L’hypocrisie pour ne pas évoquer les problèmes liés aux écoles coraniques

Pour Jean Thomas Lesueur, de Causeur, cette volonté d’encadrer les écoles hors contrat relève d’une hypocrisie, qui consiste à englober tout le monde là où ce sont quasi exclusivement les écoles coraniques qui inquiètent vraiment :

« Ajouter de nouvelles réglementations et de nouvelles contraintes à notre arsenal n’y changera rien. C’est se tromper de combat que de chercher à entraver un modèle en plein essor. A moins qu’il n’y ait des raisons moins avouables, comme le laisse entendre l’affirmation confondante du sénateur socialiste David Assouline : « Notre timidité à cet égard fait le lit des fondamentalismes issus de toutes les religions, qui régulièrement s’unissent pour mener des combats contre le progrès, comme lors des manifestations contre le mariage pour tous »…

Si le législateur souhaite s’attaquer au mal qui ronge notre société, qu’il le fasse clairement et efficacement : c’est en démantelant les écoles coraniques, en faisant la chasse aux madrasas illégales implantées sur notre sol et en évaluant, sur pièce, le contenu pédagogique de chaque établissement que l’Etat protègera les enfants, rassurera les familles et œuvrera pour le bien du pays. Mais imposer aux écoles hors contrat toute une série de normes ex ante ne conduira encore une fois qu’à tuer dans l’œuf une vitalité et des initiatives innovantes, que tel service administratif obscur pourra juger bonnes ou mauvaises. Au contraire, évaluer régulièrement les méthodes pédagogiques employées dans toutes les écoles françaises – privées et publiques, d’ailleurs – se révèlera bien plus utile pour les élèves.

Finalement, l’école privée hors contrat dérange parce qu’elle réussit et qu’elle s’efforce d’apporter des réponses nouvelles et originales aux maux d’un système éducatif ankylosé. Mais, de grâce, laissons pour une fois l’idéologie de côté, épargnons du travail inutile à l’administration de l’Education nationale et laissons vivre et fleurir la liberté scolaire afin de nous attaquer à un problème, bien réel cette fois : le fondamentalisme musulman.»

 Les écoles hors contrat scolarisent environ 65 000 élèves de primaire et secondaire sur les 12,5 millions d’élèves scolarisés en France. Ce qui représente 0,5% des effectifs mais ils sont en hausse depuis quelques années (+26% entre 2011 et 2014). On en dénombre aujourd’hui environ 1 300 sur le territoire, dont 300 confessionnels (quelque 160 établissements catholiques, 50 juifs, 40 musulmans et 30 protestants).

La grande majorité ne revendiquent aucune appartenance religieuse et mettent en avant des pédagogies alternatives, type Montessori ou Steiner, pour les «déçus» du système scolaire classique. D’autres visent des publics spécifiques (bilingue par exemple).

Les établissements hors contrat ne reçoivent pas d’argent public, à la différence du privé sous contrat (ce qu’on appelle dans le langage courant «les écoles privées») et ont une gestion autonome, y compris en terme d’enseignement tant que celui ci ne comporte rien «de contraire à la République et au respect des lois» et que les élèves maîtrisent le socle commun de connaissances.

Avec cette proposition de loi, qui concerne l’un des des secteurs les plus dynamiques de la société civile, c’est bien une forme de guerre contre l’enseignement libre qui est menée, portée par une sénatrice bretonne qui a manifestement oublié la douloureuse relation entre la Bretagne et l’école publique de France …

Verdict dans quelques semaines après le débat à l’Assemblée nationale ..

Crédit photo : DR
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