20/02/2018 – 07h00 Nantes (Breizh-info.com) – Dans la nuit du 2 au 3 décembre, un chauffeur Uber charge trois clients éméchés place Sait-Pierre, devant la cathédrale. Problème : ce ne sont pas les bons. Le ton monte, il les vire, puis fonce sur eux avec son véhicule, blessant deux d’entre eux. Lorsque la police arrive, il s’avère que le chauffeur conduisait sans permis. Il a été condamné à six mois de prison ferme, mais le fait divers a marqué les nantais. Depuis le début de l’année, une cellule spécialisée de la police fait la police des taxis, pour appliquer la loi et faire le ménage dans le maquis des VTC à Nantes.
« Ils sont cinq, ils tournent la nuit et font beaucoup de ménage », c’est ainsi qu’un chauffeur de taxi nantais résume le travail de la cellule spécialisée en charge des taxis et autres VTC. Des opérations de contrôle sont aussi réalisées aux abords des lieux où une grande partie de la clientèle est chargée. Ainsi, « le dernier jeudi de janvier [le 25], ils sont passés au Hangar à Bananes pour faire un contrôle », explique un autre artisan taxi. La pêche a été bonne : « il y a eu 7 VTC contrôlés, dont deux conduisaient sans permis et un n’était pas en règle avec l’assurance ».
Eric Naulleau, qui a lancé le hashtag #BalanceTonUber après l’agression de son fils par un chauffeur Uber, n’est pas le seul à se plaindre du travail de certains chauffeurs VTC. Les taxis eux aussi se plaignent de cette « concurrence déloyale. Y en a qui roulent bourrés, ils font n’importe quoi », explique cet artisan originaire d’un « quartier sensible » à l’ouest de Nantes. « La moitié, ce sont des gars des cités, j’en connais certains, ils ont fait sept ou huit piges de placard [prison, NDLA] pour stups ou escroquerie, maintenant ils sont VTC ».
D’autres « sont des retraités qui tournent pour compléter leur pension. Certains ont un boulot en semaine et ils font quelques courses la nuit ou le week-end, ça leur permet de gratter quelques billets et leur paie leurs sorties », précise un autre artisan taxi, qui constate toutefois qu’il y a « beaucoup trop de bordel », à Nantes particulièrement.
En théorie, l’activité doit être déclarée – le chauffeur VTC a le choix entre le statut d’auto-entrepreneur, s’il fait des profits modestes, ou la société par actions simplifiée unipersonnelle ou SASU qui lui permet de déduire ses frais et récupérer la TVA. Mais certains ont décidé de ne rien déclarer, ce qui n’est pas sans risque en cas de contrôle fiscal. « UBER exige un RIB pour verser l’argent », nous explique l’un d’eux, qui tient en toute logique à rester anonyme, « il suffit de donner le nom d’un cousin et roule ma poule ». Jusqu’au prochain contrôle fiscal. Le stratagème est aussi employé dans le monde des coursiers à vélo.
Mais le problème fiscal se double d’une dimension politique. « Il ne faut pas tourner autour du pot, il y en a qui sont défavorablement connus et peu insérés dans le tissu social », nous explique un policier nantais. « Quand ils ont travaillé, ça n’a pas souvent été légal ni déclaré. Là, ils font un métier qui leur donne l’occasion de tourner dans une belle caisse. C’est toujours mieux que de les voir multiplier les aller-retours en cabane ou de retomber dans la drogue ». Une sorte de « part du feu » au détriment des contribuables… et de la sécurité des usagers des VTC, parfois.
Cependant, la loi Grandguillaume est entrée en vigueur le 1er janvier et a déjà conduit à la disparition de milliers de chauffeurs de VTC, selon Yves Weiselberger, président de la FFTPR, un des syndicats d’entreprises du secteur, cité par le Canard Enchaîné (7.02). Chez Uber, ce sont ainsi 5000 des 25.000 chauffeurs qui se sont évaporés, à la grande joie des taxis. Et de 3 à 4000 chauffeurs qui travaillaient au noir auraient disparu suite à la nouvelle loi. Pour obtenir une carte de VTC, « les chauffeurs doivent désormais produire des bulletins de salaire sur une année entière. Ou passer un examen dont les questions – parfois ubuesques – ont été mises au point par les chambres artisanales où dominent les taxis », relève le Canard. Résultat : moins de 20% de réussite.
Le problème, c’est que la dimension politique du problème n’a pas tardé à ressurgir, explique l’hebdomadaire satyrique. Le 9 février, au ministère des Transports, une réunion a eu lieu sur le sujet : « que faire des chauffeurs illégaux, provenant essentiellement de cités difficiles qui avaient trouvé du travail grâce aux VTC ». Question subsidiaire : mieux vaut-il avoir des chauffeurs travaillant au noir qui parfois brutalisent leurs passagers et le Code de la Route, que des délinquants ? Choisir entre deux options également mauvaises, c’est un travail que le premier ministre Edouard Philippe connaît bien. Il l’a bien fait pour Notre-Dame des Landes…
Louis Moulin
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